CHINAHOY

4-January-2018

Deux images de la Chine : l’imaginaire et la réelle

 

 

 

ZHENG RUOLIN*

 

 

J'ai vécu en France pendant une vingtaine d'années, et j'ai été le témoin direct de la montée de l'importance de la Chine dans les médias français, occupant progressivement le centre de leur attention au lieu de rester dans un coin. Cependant, que la Chine soit dans un coin ou au centre, les Occidentaux posent toujours une seule et même question : « Pour l'Europe, la Chine est-elle une chance ou une menace ? »

 

Au seuil d'une nouvelle année, nous aimons faire la rétrospective de ce qui s'est passé et envisager l'avenir. Respectant cette tradition, je voulais expliquer aux lecteurs occidentaux que la Chine est absolument une chance pour l'Europe et non une menace. La raison est très simple : entre la Chine et l'Europe il n'existe aucun conflit, qu'il soit d'ordre géopolitique, commercial, militaire ou financier. Depuis des milliers d'années, la Chine garde son art de vivre à travers « l'harmonie respectueuse de la diversité » de Confucius. La Chine vise toujours à « rechercher des vues identiques tout en mettant de côté les divergences », en d'autres termes, c'est « la coopération gagnant-gagnant ».

 

 

Le 17 novembre 2017, des piétons profitent de la bonne qualité
de l'air dans la rue de Qianmen à Beijing.
 
 
 

Cependant, mon intention a changé après la rétrospective 2017 faite par des médias français dans les reportages et commentaires portant sur l'un des événements majeurs survenus en Chine : le XIXe Congrès du PCC et le deuxième mandat de Xi Jinping. Puisque les Français ne peuvent pas connaître la Chine réelle à travers les médias, il est vain de souligner que la Chine n'est pas une menace. La presse française et certains sinologues butés font flèche de tout bois pour créer une « image imaginaire de la Chine » dans la tête des Français. Voilà la clé du problème.

 

Je suis rentré en Chine il y a quatre ans, et en 2017, j'ai prêté une nouvelle attention aux articles parus dans la presse française sur la Chine. Par rapport à mes expériences s'étalant sur plus de vingt ans en France, j'ai noté que certains médias à grande diffusion font des articles de plus en plus objectifs sur la Chine et qu'ils commencent à prendre au sérieux les idées de la Chine sur la mondialisation, comme l'initiative « la Ceinture et la Route ». La presse française ne comprend pas le sens de « la Ceinture et la Route », donc en ajoutant le mot « nouveau », elle l'explique comme « la nouvelle Route de la Soie », puisque tous les Français connaissent la Route de la Soie. De plus, certains médias français ont commencé à voir des questions du point de vue de la Chine. Un exemple : la politique de l'enfant unique. Selon eux, c'était une politique nationale de la Chine, qui suivait une évolution interne portée par les changements dans la société chinoise. Selon la même logique, l'abandon de cette politique a été possible car la société a changé.

 

 

Le 21 octobre 2017, au Musée mémorial de l'histoire de la révolution dans
le Fujian, l'Exposition de la lutte pour l'intégrité dans les rangs du PCC
attire beaucoup de visiteurs.
 
 
 

Cependant, dans la majorité de la presse française, il est incroyable qu'après tant d'années, certains « sinologues » français n'ont en rien changé leurs impressions sur la Chine. Selon eux, « tout va de plus en plus mal ».

 

Quand j'étais journaliste en France, j'ai acquis la compétence de distinguer « la France théorique et la France réelle ». La France que j'ai lue dans les livres est à une grande distance de celle que j'ai observée sur place.

 

Je me souviens de la crise de l'euro en octobre 2009, quand je suis rentré en Chine pour les vacances. Mes amis m'ont dit : « La France est en crise, quel malheur ! » J'ai rapidement pris conscience que, selon eux, l'image de cette « crise » était comme une image classique dans le film l'Homme au Million, réalisé par Ronald Neame et adapté du roman de Mark Twain : le héros interprété par Gregory Peck, affamé, tente de ramasser discrètement par terre une poire sans y parvenir. Bien que la France ait connu une crise financière, la situation réelle était très éloignée de cette image. Même les gens les plus pauvres pouvaient aller au « Resto du cœur ». Résultat, quand les touristes chinois sont allés en France, ils ont trouvé que les médias chinois fabriquaient des « mensonges ». Tout est bon en France.

 

Concernant la Chine, je n'avais pas conscience de ce problème. Bien que je sois rentré en Chine une fois tous les deux ou trois ans pour rencontrer mes parents, rendre compte de ma mission ou passer des vacances, j'ai dû me tenir informer des nouvelles sur la Chine à travers la presse française, en particulier, j'ai écouté les interprétations et les commentaires des soi-disant « sinologues » sur la « réalité » de la Chine.

 

J'ai alors cru que la Chine de la presse française était une Chine réelle, mais j'ai fait une erreur, et une erreur énorme. Après avoir vécu trois ou quatre ans en Chine, lorsque je suis rentré, j'ai pris conscience qu'il existait « deux images de la Chine » : « l'imaginaire » dans la presse française et « la réelle » où je vis.

 

Avec le temps, ce phénomène des « deux images de la Chine» n'a pas disparu, au contraire, l'écart est devenu de plus en plus grand et évident. Le développement de la Chine peut être décrit comme un « changement permanent », tel que je l'ai mentionné naguère dans un article de ma rubrique. Mais dans la presse française, la Chine, au lieu de se développer, serait même en pleine régression. Donc pour les gens qui connaissent la Chine seulement par les médias français, plus ils en apprennent, plus ils s'éloignent de la Chine réelle.

 

En 2017, le grand événement en Chine est le XIXe Congrès du PCC. Des grands médias français ont rapporté et fait des commentaires sur cet événement, comme C à dire de France 5, Une semaine dans le monde de France 24, Les Décodeurs de l'Éco sur BFM Business, Un monde à vif de Mediapart, etc. Mais le plus amusant est de voir les sinologues français faire des interprétations diamétralement opposées à presque tout ce qui se passe dans la réalité chinoise.

 

Je peux donner plusieurs exemples :

 

La lutte contre la corruption en Chine est bien accueillie presque à l'unanimité par toute la population chinoise. Mais dans la bouche de certains « sinologues » français, cette lutte est devenue « une époque terrible », « un nettoyage » et « une dispute pour le pouvoir politique ».

 

Il existe le problème de la pollution de l'air à Beijing, mais est-il aussi grave au point de « ne pas pouvoir respirer » et que « tous les étrangers refusent de prendre un emploi à Beijing » comme le racontent des journalistes français ? François Bougon, journaliste, sait pertinemment que la réponse est « non », mais il a répondu à cette question avec des mots vagues, disant que l'air de Beijing ressemble parfois à une « airpocalypse ». C'est comme si je disais aux Chinois qu'il s'agit de la normalité lorsque Paris a limité un jour la vitesse des voitures à cause de la pollution de l'air. « Tu sais quoi, la pollution de l'air est très grave à Paris, à tel point que la vitesse des voitures est limitée à moins de 30 km/h. » En lisant cette phrase, quelle est votre impression sur Paris ?

 

Par rapport au régime occidental, celui de la Chine possède une supériorité principale : l'efficacité, sans grande contestation. Mais pour certains « experts » français, la Chine est un régime d'« immense bureaucratie », et les fonctionnaires incarnent l'« immobilisme partout », donc la Chine est dans une « grande crise ».

 

Il est étonnant que tout ce qui a trait à la Chine soit interprété dans un sens contraire à la réalité. Par exemple, ces dix dernières années, on a pu lire des articles et opinions qui nient l'histoire de la Chine, la culture traditionnelle chinoise et même la nation chinoise, et même jusqu'à la Seconde Guerre mondiale. Cette attitude est similaire au négationnisme dans l'histoire française, et ces opinions ont provoqué une forte protestation dans le milieu culturel chinois et dans celui des historiens. L'Assemblée populaire nationale de Chine a donc adopté une série de lois pour défendre la dignité nationale. Mais aux yeux de certains « sinologues » français, ces lois sont devenues « la réduction de la liberté d'expression ». Certains auteurs, qui ont calomnié des héros chinois de la Guerre de résistance du peuple chinois contre l'agression japonaise avec des mensonges fabriqués de toute pièce, ont été saisis par la justice et perdu leur procès. Il s'agit de condamnations qui méritent d'être encouragées, mais selon certains journalistes français, ces cas sont devenus l'exemple d'« une dissidence réprimée ».

 

Un autre exemple me vient à l'esprit. Les Chinois ont l'habitude d'épargner comme les Français, mais dans la bouche de Valérie Niquet, une « sinologue » française, les Chinois doivent déposer l'argent à la banque, car il n'existe pas de régime de retraite en Chine. La Chine sans régime de retraite ?! Je ne sais pas combien de gens en Europe croient ce mensonge, mais la Chine possède non seulement un régime parfait de retraite pour tous les travailleurs urbains, et depuis 2010, les habitants ruraux profitent aussi du nouveau type d'assurance vieillesse. Plus de 90 % des paysans touchent actuellement la pension de vieillesse. Pour être honnête, la pension de retraite des fonctionnaires chinois est bien meilleure par rapport à celle en France. En Chine, tous les fonctionnaires masculins prennent la retraite à 60 ans, et pour les femmes à 55 ans. La pension de retraite équivaut à 80 % du salaire avant la retraite. Lors de la retraite, le niveau de vie des fonctionnaires n'est pas considérablement diminué. Ils peuvent maintenir leur train de vie. Mais en France, les gens ne recevront une retraite qu'après avoir travaillé plus de 40 annuités, et la façon de la calculer est aussi étrange : 50 % du salaire moyen des 25 meilleures années. Les meilleurs salaires sont aux dernières années de la carrière, donc un fonctionnaire français retraité prendra moins d'une moitié de son salaire. De fait son niveau de vie baisse immédiatement. Mme Niquet ne connaît-elle pas la situation réelle ? Ou bien a-t-elle l'intention de tromper la population française ? Je ne sais pas.

 

On peut affirmer qu'au cœur de la population française, il existe une « Chine imaginaire » différente de la « Chine réelle ». Cette « Chine imaginaire » a été créée imperceptiblement depuis longtemps par les articles sélectifs de la presse française et les interprétations fourvoyées de certains « sinologues » et « experts ». En conséquence, elle est de plus en plus loin de la réalité.

 

Cela me fait penser au film I Origins, réalisé par Mike Cahill. Le héros est un scientifique qui fait des recherches sur un être vivant possédant l'odorat et le toucher mais pas la vue. Sa femme est une chrétienne pieuse et elle veut qu'il se convertisse au christianisme, mais le scientifique dit ne croire que les objets confirmés par la science. Sa femme lui répond : l'être vivant sur lequel tu effectues des recherches ne possède pas la vue, on ne peut pas lui expliquer ce qu'est la lumière. La différence entre les chrétiens et les infidèles est que les premiers peuvent voir la lumière, alors que les derniers ne la comprennent pas. Avec cette histoire, je veux dire aux lecteurs que la lumière, « la Chine réelle », est là, mais comment la voyez-vous ? Pouvez-vous déchirer le voile de la « Chine imaginaire » créée par les médias français ?

 

ZHENG RUOLIN est un ancien correspondant à Paris du quotidien Wen Hui Bao de Shanghai et l'auteur du livre Les Chinois sont des hommes comme les autres aux éditions Denoël.

 

 

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