CHINAHOY

3-January-2018

Une stèle en hommage aux travailleurs chinois de la première guerre mondiale

 

 

 

MA HUIYUAN, membre de la rédaction

 

 

Le 10 décembre 2017 s'est déroulée dans les jardins du palais Saint-Vaast de la ville d'Arras la cérémonie d'inauguration d'une stèle érigée en hommage aux travailleurs chinois du « Chinese Labour Corps » qui se sont engagés au service de la France, aux côtés des forces de l'empire britannique, pendant la Première Guerre mondiale. Au centre de la partie supérieure de la stèle, on peut lire en chinois le vers « 月是故乡明 » ( La lune de notre pays natal est celle qui brille le plus). La stèle porte également les inscriptions : « Hommage aux travailleurs chinois venus dans notre région et dans les Flandres au sein du “CHINESE LABOUR CORPS” pour aider les forces de l'empire britannique engagées dans la guerre 1914-1918, aux plus de 2 500 morts qui reposent chez nous et souvenons-nous aussi des travailleurs engagés au service de la France. Nous nous souviendrons d'eux. »

 

 

Des membres de la communauté chinoise en France
assistent à la cérémonie d'inauguration.

 

 

Alain Bessaha, directeur de Cabinet du préfet du Pas-de-Calais, Frédéric Leturque, maire de la ville d'Arras, Serge Barcellini, président de Souvenir Français, Xavier Deneuville, président de Souvenir Français d'Arras, les représentants de la ville de Weifang ainsi que les représentants de l'Association des Chinois en France ont assisté à l'inauguration.

 

Pour Li Xiang, jeune homme originaire de la province du Shandong qui a porté ce projet et conçu la stèle, la cérémonie a été un grand moment d'émotions car il a enfin vu son souhait le plus cher se réaliser, celui d'« ériger une stèle pour les travailleurs chinois en France ».

 

 

La stèle de commémoration des travailleurs chinois

 

 

Du camp de concentration de Weifang au cimetière chinois de Nolette

 

Né en 1986 à Weifang dans la province du Shandong, Li Xiang a depuis toujours entendu parler du camp de concentration de Weifang et ce passage de l'histoire de la Seconde guerre mondiale lui est familier : en mars 1942, l'armée japonaise a établi à Weifang le « Weixian Internment Camp » où ils ont emprisonné 2 008 européens et américains, parmi lesquels on a dénombré 327 enfants. Comme les prisonniers du camp souffraient de privations, les paysans locaux et la force contre l'agression japonaise leur ont fait parvenir des vivres clandestinement. Des organisations antijaponaises se sont par ailleurs chargées d'expédier le courrier des prisonniers et les ont aidés à s'évader. Arthur W. Hummel, ambassadeur des États-Unis en Chine dans les années 1980, fut l'un de ces prisonniers. Les habitants ont également réussi à faire parvenir aux prisonniers le matériel parachuté par l'armée américaine. Grâce à l'aide des Chinois, la plupart des prisonniers ont survécu à leur captivité et ont été libérés le 17 août 1945.

 

En 2009, Li Xiang est venu en France pour ses études. Dans le restaurant chinois où il travaillait, il a fait la connaissance d'un vieux monsieur, André Coilliot, avec lequel il s'est lié d'amitié. Cet historien local était président de l'association Souvenir Français d'Arras dont il est aujourd'hui président d'honneur. André invitait régulièrement Li Xiang chez lui et aimait lui montrer ses collections d'objets des deux guerres mondiales. Leur amitié a beaucoup influencé Li Xiang qui a commencé à étudier l'histoire et a décidé d'adhérer à l'association Souvenir Français.

 

 

Les différentes associations ont rendu hommage aux travailleurs chinois.
 
 

« Il y a trois ans, le jour de la fête de Qingming, André m'a raconté que dans la ville de Noyelles-sur-Mer, il y avait un cimetière chinois, le plus grand cimetière des travailleurs chinois en France. Nous y sommes allés ensemble et nous y avons rencontré beaucoup de Chinois et de Français qui venaient fleurir leurs tombes. » Ce jour-là, Li Xiang a découvert que tous les ans, lors de la fête de Qingming, les Chinois vivant en France se rendaient au cimetière chinois de Nolette pour rendre hommage aux défunts de leur patrie. Sur chaque stèle funéraire de Nolette figure le nom d'un défunt, son lieu de naissance, son numéro et la date de sa mort. Sur la partie supérieure, on peut lire ces inscriptions en chinois et en anglais : though dead he still lives,  a noble duty bravely done. « Parmi les 842 travailleurs qui ont servi la France pendant la première guerre mondiale et qui reposent au cimetière chinois de Nolette, plus de la moitié étaient originaires de la région de Weifang dans la province du Shandong, ma ville natale. Cela m'a profondément touché », nous a confié Li Xiang.

 

En découvrant ces stèles funéraires oubliées, Li Xiang a décidé de faire connaître leur histoire à plus de monde. Avec l'aide d'André Coilliot, il a donc commencé à faire des recherches sur l'histoire des travailleurs chinois en France. Pour lui, le monde ne doit pas oublier que des travailleurs chinois ont contribué à la paix et il faut leur redonner leur place dans l'histoire.

 

En fait, pendant la première guerre mondiale, environ 140 000 travailleurs chinois ont été envoyés en Europe pour soutenir les forces alliées. On leur a confié des tâches variées, allant du transport de matériel à la construction de fortification en passant par le chargement et le déchargement du ravitaillement. 90 000 d'entre eux étaient originaires de la province du Shandong. Ces jeunes Chinois avaient signé un contrat de cinq ans avec les gouvernements français et anglais qui prévoyait une rémunération de 1,5 francs par jour. Et ils avaient embarqué pour l'Europe, quittant un foyer que la plupart d'entre eux ne reverraient jamais. Selon les rapports historiques, plus de 20 000 travailleurs chinois ont perdu la vie ou ont disparu pendant la première guerre mondiale. Aujourd'hui, il existe en France et en Belgique 69 cimetières chinois, dont 32 français, où reposent 1 874 anciens travailleurs chinois.

 

Ériger une stèle et retrouver les descendants des défunts

 

C'est à ce moment que Li Xiang a eu l'idée d'ériger une stèle en hommage à ces 140 000 travailleurs chinois. Et aujourd'hui, son vœu a été réalisé.

 

Le 10 décembre 2017, Arras était sous la neige. Un drapeau de la Chine recouvrait la stèle en marbre noir sur laquelle figure le texte gravé en lettres d'or qui débute par le célèbre vers chinois. Le drapeau rouge ressortait dans le paysage enneigé. Li Xiang a passé presque une année à concevoir cette stèle ; il nous a confié : «  Je souhaitais faire apparaître un élément chinois sur cette stèle, j'ai donc choisi de graver ce vers tout en haut. Après avoir discuté avec le professeur de l'Institut Confucius d'Arras, nous avons finalement opté pour “月是故乡明”, car ce vers exprime la nostalgie des travailleurs qui ne peuvent pas rentrer chez eux. »

 

Lorsqu'a retenti le clairon, Li Xiang, le directeur de Cabinet du préfet du Pas-de-Calais Alain Bessaha et le maire de la ville d'Arras Frédéric Leturque ont dévoilé la stèle ensemble.

 

Xavier Deneuville, président de l'association Souvenir Français d'Arras, et Li Xiang ont évoqué respectivement en français et en chinois leur volonté de se souvenir : « Ils ne vieilliront pas comme nous qui leur avons survécu. Ils ne connaîtront jamais l'outrage ni le poids des années. Quand viendra l'heure du crépuscule et celle de l'aurore, nous nous souviendrons d'eux. »

 

Dans son discours, Li Xiang a exprimé sa gratitude à la municipalité d'Arras et à tous ceux qui étaient présents à la cérémonie. « Depuis la création de l'Association d'amitié et de coopération entre les Hauts-de-France et la Chine, l'inauguration de la stèle est notre premier événement commémoratif qui associe la Chine et la France. Nous allons continuer de rechercher les familles des travailleurs chinois. Nous souhaitons rendre service à tous ceux qui sont concernés par ce passé et pouvoir offrir une plate-forme pour aider les Chinois à mieux s'intégrer à la société française. »

 

Li Xiang continue de faire des recherches pour retrouver les familles des anciens travailleurs. Il a expliqué : « Nous publions des informations dans le Soir de Weifang. La plupart des descendants de ces travailleurs que nous recherchons sont leurs petits-enfants et ont aujourd'hui entre cinquante et soixante ans. En 2017, j'ai rencontré quatre descendants d'anciens travailleurs chinois en France. En 2018, lors de la fête de Qingming, plus de familles des travailleurs viendront en France. Nous sommes en train de les contacter. »

 

Patrimoine commun de la France et de la Chine

 

Les deux guerres mondiales sont un souvenir douloureux pour l'humanité. Tous les pays ont payé le prix fort pour la paix. D'après Li Xiang, « L'édification de cette stèle est un hommage aux défunts qui ont sacrifié leur vie pour la paix mondiale et cela permettra aussi de mieux faire connaître ce pan de l'histoire. C'est également une manière de donner l'exemple à nos descendants. » Arras n'est pas la seule à commémorer les travailleurs chinois. Le 11 novembre 2017, une même cérémonie de commémoration a été organisée pour la première fois au Royaume-Uni afin de rendre hommage à leur contribution à la paix mondiale.

 

Lors de la cérémonie d'inauguration de la stèle, le maire Frédéric Leturque a indiqué dans son discours qu'à travers cet événement, Arras faisait un lien entre la Chine, la France, l'histoire de l'Europe et le futur. Après avoir rappelé les mérites des travailleurs chinois, le directeur de Cabinet du préfet du Pas-de-Calais Alain Bessaha a ajouté que la Chine jouait un rôle de plus en plus important dans le monde actuel et qu'il espérait que les Hauts-de-France et le département du Pas-de-Calais multiplieraient les échanges avec la Chine.

 

Pour Li Xiang, la construction de cette stèle permet non seulement de rendre hommage aux ancêtres, mais aussi de favoriser les échanges et la coopération entre la province du Shandong et la ville d'Arras. Il s'agit ici d'échanges entre les peuples, et notamment de permettre aux descendants des travailleurs chinois qui vivent aujourd'hui dans la province du Shandong d'effectuer une visite en France. L'étape suivante sera de multiplier les échanges dans les domaines de l'économie, de la culture, de l'histoire et de l'art afin de renforcer la coopération. À l'heure actuelle, l'université d'Artois d'Arras a déjà signé des accords de coopération avec plusieurs universités chinoises.

 

Même si l'histoire du « Chinese Labour Corps » n'est pas connue de tous, la France n'a pas oublié leurs exploits. Ma Li, historienne et sinologue française d'origine chinoise, maître de conférences à l'université du Littoral Côte d'Opale (ULCO), a écrit en 2012 le livre Les travailleurs chinois en France dans la Première Guerre mondiale. En 2014, à l'occasion du centenaire de la Première Guerre mondiale, Le Monde a publié un article intitulé Noyelles n'oublie pas ses coolies. Laurent Fabius, alors ministre des Affaires étrangères a estimé que l'histoire des travailleurs chinois et leur participation à la Première Guerre mondiale faisait partie du patrimoine commun de la France et de la Chine.

 

 

 

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