CHINAHOY

29-June-2017

Initiative des Nouvelles Routes de la Soie : des opportunités pour l’Europe !

--- Interview d'un spécialiste helvétique de la Chine, Dr. Thomas Wagner

 

 

Thomas Wagner

 

VERENA MENZEL, membre de la rédaction

 

Sous le titre Comment la Chine s'apprête à conquérir le monde avec 900 milliards de dollars, on pouvait lire sur le site de l'influent magazine Der Spiegel, le 15 mai, un reportage sur le Forum « la Ceinture et la Route » pour la coopération internationale à Beijing. À la mi-août de l'année dernière, ce magazine très lu en Allemagne titrait déjà, au sujet de l'initiative chinoise, Objectif : la domination mondiale. La veille, le 14 mai, c'était la chaîne allemande ZDF qui a publié sur son site l'article Contester la Chine désintéressée. Selon l'article, l'objectif chinois derrière « la Ceinture et la Route » serait rien moins que la « mise en place d'un empire » ainsi que le formulent les journalistes qui y voient une « globalisation à la chinoise ». L'initiative des Nouvelles Routes de la Soie doit avant tout apporter « plus de pouvoir à la Chine », affirme le documentaire signé ZDF.

 

C'est clair, le scepticisme et la réserve sont de mise chez les journalistes d'Europe occidentale. Depuis que le président Xi Jinping a annoncé, en 2013, l'initiative de construire conjointement la « Ceinture économique de la Route de la Soie » et la « Route de la Soie maritime du XXIe siècle », les voix critiques se multiplient, et pas seulement en Europe de l'Ouest.

 

Un expert qui connaît ces craintes comme personne, c'est le citoyen helvétique Dr. Thomas Wagner. Diplômé de médecine et juriste, il fut, de 1982 à 1990, maire de la ville de Zürich, avant de se reconvertir, de 1990 à 2002 en tant que vice-maire chargé des transports publics urbains et de la gestion des eaux, de l'électricité et du gaz de Zürich. Depuis, l'homme âgé de 73 ans a pris sa retraite, mais il reste actif en tant que président de la Société Suisse-Chine, une ONG qui existe depuis 1945 et s'occupe d'encourager les échanges économiques et culturels entre la Chine et la Suisse.

 

Le jumelage Zürich-Kunming : histoire d'un succès

 

Déjà en 1982, soit quatre ans seulement après le début de l'ouverture de la Chine et la première année de son mandat de maire de Zürich, Thomas Wagner commença à tâter le terrain en Chine et lança l'initiative du jumelage avec Kunming, capitale de la province du Yunnan dans le Sud-Ouest. Les avis critiques et les doutes ne manquaient pas, à l'époque déjà, en particulier dans les médias, se rappelle-t-il.

 

« À cette époque, la Chine était pour la Suisse et pour l'Occident une terra incognita. Les préjugés étaient nombreux et personne ne connaissait le pays. C'est pourquoi je me suis trouvé, pendant les premières années du jumelage avec Kunming, au cœur de la tourmente : "Qu'est-ce que ça va rapporter ? On va dépenser de l'argent qui ne profitera qu'à d'autres !'' entendait-on glapir de tous les côtés. »

 

Mais Dr. Wagner tint le cap car il avait reconnu l'immense potentiel de ce pays en développement rapide et il était fasciné par les Chinois et leur culture. « Avec le recul, il est clair que c'était une bonne décision, affirme-t-il aujourd'hui. Car la situation s'est complètement transformée depuis. Aujourd'hui, les gens qui me critiquaient alors viennent me voir pour me demander de les aider à ouvrir des portes en Chine. » « Ce résultat montre bien que l'opinion publique peut se tromper et se laisser entraîner dans des raisonnements erronés sur la base de fausses hypothèses », résume-t-il.

 

Ce partenariat de villes Zürich-Kunming existe depuis déjà 35 ans. Les deux parties peuvent dire qu'il a porté des fruits abondants. Grâce à l'aide de Zürich, Kunming s'est hissée au rang de ville modèle sur bien des plans, qu'il s'agisse de l'approvisionnement en eau ou du traitement des eaux usées, du réseau de bus urbain ou la préservation de bâtiments et de paysages classés. Ici aussi, le succès est venu parce qu'on avait Zürich comme modèle.

 

La Suisse a également tiré son projet du projet. Jusqu'en 2002, l'année où M. Wagner quittait son poste au conseil municipal, la ville de Kunming a signé pour plus de 50 millions de francs suisses (environ 45 millions d'euros) de contrats directs. Le retour sur investissement a été impressionnant, affirme sans fausse modestie M. Wagner.

 

Le 7 mai 2017, un cargo de China Cosco Shipping Corporation Limited (COSCO) est parti d'un terminal à conteneurs du port grec du Pirée. Depuis la prise en charge des terminaux II et III par COSCO, ceux-ci jouent un rôle de plus en plus important sur la Route maritime de la Soie.

 

« La Ceinture et la Route », projet du siècle

 

Aujourd'hui, en 2017, la Chine propose à nouveau de travailler ensemble. Cette fois-ci pas en tant que pays qui ouvre son économie, mais en tant que poids lourd de l'économie mondiale. Afin de booster l'initiative des Nouvelles Routes de la Soie, le gouvernement chinois a invité des représentants de la communauté internationale à Beijing, du 14 au 15 mai, pour participer au premier Forum dédié à cette initiative. Et la communauté internationale a répondu présent. Plus de cent pays ont envoyé des délégations en Chine. Le président russe Vladimir Poutine et le président turc Recep Tayyip Erdoğan se sont déplacés en personne pour prendre la parole aux côtés de Xi Jinping lors de la cérémonie d'ouverture.

 

Parmi les représentants de pays membres de l'UE, on a vu arriver dans la capitale chinoise les premiers ministres polonais, hongrois, tchèque et grec ; l'Italie était représentée par son premier ministre Paolo Gentiloni, l'Espagne par Mariano Rajoy. Angela Merkel et Theresa May ont envoyé des membres de leur gouvernement, et la France en pleine transition présidentielle n'a pas non plus été représentée au plus haut niveau. Pour l'Allemagne c'est finalement la ministre de l'Économie Brigitte Zypries qui prit part au Forum.

 

Dans le cadre de cette initiative, la Chine prévoit d'investir largement dans de vastes projets d'infrastructures. On parle d'un réseau entièrement neuf de routes, de voies ferrées, de ports et d'aéroports entre l'Europe et l'Asie, mais aussi de la mise en place de pipelines et de centrales électriques. C'est ainsi que l'on verra, ces prochaines années et décennies, revivre l'ancienne Route commerciale de la Soie, conformément à la vision du président chinois. Xi Jinping a annoncé qu'environ 900 milliards de dollars seront investis dans ce projet géant, le plus gros programme d'investissement depuis des décennies.

 

En Occident, on se pose des questions sur les différentes façons d'évaluer l'émergence de la Chine. Doit-on craindre cette longue poignée de main tendue à l'Europe ? « Certainement pas », tranche M. Wagner. « Mais on peut l'observer de manière critique, comme c'est d'ailleurs le cas en Europe, ajoute-t-il. Ce serait sûrement une erreur de n'en dire que du bien. »

 

« Je suis d'avis d'accepter les voix critiques, qui sont indispensables. Tout n'est pas bon dans chacun des progrès de l'humanité, même si dans l'ensemble il apporte des améliorations et nous rend plus heureux. On devrait, à mon avis, toujours douter et examiner. Il est dangereux de ne considérer qu'une face de la médaille et de ne penser que d'une façon. Je pense que l'initiative des Nouvelles Routes de la Soie est extrêmement intéressante en tant que telle et qu'on doit en tous les cas la soutenir, affirme le président de la Société Suisse-Chine. Mais il faut également se poser des questions et détecter à temps d'éventuels problèmes futurs. »

 

La Suisse participe à cette initiative depuis ses tout premiers instants. « Par exemple, notre pays a joué un rôle tout à fait central lors de la phase préparatoire à la fondation de la Banque asiatique d'investissement pour les infrastructures (AIIB). Certes, notre participation au capital n'est pas élevée, mais nous avons participé dès sa création. Les bonnes relations qui existent entre la Suisse et la Chine nous offrent la possibilité de participer, au présent et à l'avenir, à divers projets dans le cadre de l'initiative des Nouvelles Routes de la Soie », affirme M. Wagner.

 

D'ailleurs la Suisse endosse souvent, dans toute une série de domaines, une fonction de pionnier de l'Europe de l'Ouest dans ses relations avec la Chine, c'est du moins l'avis de l'ancien fonctionnaire zurichois. Et il semble que l'on voie les choses de la même façon en Chine. C'est ainsi que le président chinois Xi Jinping se rendit à Davos pour y assister au Forum économique mondial en janvier 2017 dans le cadre d'une visite d'État de quatre jours en Suisse, sans profiter de l'occasion pour visiter d'autres pays européens. À Davos il tint un discours enflammé de soutien à la liberté du commerce et pour une prospérité commune. Cela à une époque où de nombreux pays sont tentés par le protectionnisme et les tendances isolationnistes.

 

Au Forum « la Ceinture et la Route » qui s'est tenu à Beijing à la mi-mai, la Suisse était représentée par sa présidente Doris Leuthard, ce que M. Wagner considère comme un signal fort. « Contrairement à des pays importants d'Europe de l'Ouest qui n'ont envoyé que des représentants de second ordre, la Suisse a fait acte de présence. C'est important car cela construit la confiance », conclut-il.

 

Ce concept des Nouvelles Routes de la Soie est encore un peu abstrait pour la population suisse, affirme M. Wagner. « Ce terme est pratiquement inconnu du grand public. Si l'on pose la question à des personnes qui ont affaire en Asie, au contraire, tous connaissent le principe de ''la Ceinture et la Route''. Je crois que l'un de nos devoirs, notamment par l'intermédiaire de la Société Suisse-Chine que je représente, est d'attirer l'attention sur ce programme gigantesque et plein d'avenir. Le fait est qu'il ne s'agit pas simplement d'un projet pour 2017, mais bien d'une entreprise qui se poursuivra pendant des décennies », ainsi qu'il résume l'échelle de l'entreprise.

 

« Car, au-delà de la distance qui nous sépare de la Chine et qui semble importante à première vue, l'initiative des Nouvelles Routes de la Soie offre de grandes opportunités de coopération aux pays d'Europe. Les possibilités pour le marché européen sont immenses, puisque nous disposons en Europe d'une industrie hautement perfectionnée et qualifiée, par exemple dans le domaine du transport ferroviaire, de la construction d'infrastructures et de l'ingénierie, sans compter l'aéronautique. De même, le secteur de la protection de l'environnement est chez nous riche d'expérience et nous pouvons donc influencer les projets de façon à ce que le progrès économique ne soit pas en contradiction avec le progrès écologique, mais qu'au contraire ils se complètent. Je crois que nous disposons en Europe d'une excellence à faire valoir, une culture et un savoir-faire économique, par exemple par nos zones urbaines ou rurales écologiquement protégées », considère-t-il.

 

Et la Suisse, il en est convaincu, aura sa part d'opportunités à saisir dans le projet global, même s'il pourrait s'agir de contrats à petite échelle. « Dans le cas de la petite Suisse, c'est bien sûr des fonctions de niche qui s'offriront principalement, mais elles peuvent s'avérer décisives. Je pense par exemple au domaine du financement, un secteur qui est traditionnellement un point fort de la Suisse, ou encore aux installations électrotechniques, secteur d'excellence helvétique. » Il n'exclut pas non plus des coopérations dans la prise de mesures de sécurité et les technologies de sécurisation, deux domaines où la demande mondiale ne cesse de croître. D'autre part, la Suisse s'enorgueillit de ses excellentes capacités managériales, notamment dans le secteur des transports publics de proximité. Ici aussi les échanges de compétences sont envisageables, affirme M. Wagner.

 

Le 13 mai 2017, le président chinois Xi Jinping a rencontré Mme Doris Leuthard, présidente de la Confédération suisse à la Résidence des hôtes d'État Diaoyutai lors de sa participation au Forum « la Ceinture et la Route » pour la coopération internationale à Beijing.

 

Spécificités et identité des cultures le long des « Routes »

 

« Au-delà de l'aspect purement économique, nous devons aussi faire de notre mieux pour apporter notre expérience suisse dans le domaine culturel », souligne-t-il. « Beaucoup de gens admirent la petite Suisse pour avoir réussi à préserver l'identité de nos cantons et de nos régions, à conserver nos structures et nos traditions. Je considère qu'il est de notre devoir de transmettre cette responsabilité et j'y vois aussi des points de synergie avec l'initiative des Nouvelles Routes de la Soie. »

 

« Car le développement et le réseautage ne doivent pas se faire au détriment des particularités culturelles des différents pays, tempère le Suisse. Il faut se demander à chaque instant quelles seront les répercussions de l'initiative des Nouvelles Routes de la Soie et quelles seront les conséquences de sa réalisation. Qu'est-ce qu'elle signifie pour les cultures des populations qui y vivent ? Y aura-t-il un glissement culturel, une perte d'identité ? Nous devons dans tous les cas rester vigilants et nous efforcer à ce que les spécificités et les identités culturelles soient préservées au long des Routes. »

 

De manière générale, le Dr. Wagner considère que le poids de la Chine n'a cessé de s'accroître en Suisse ces dernières années, mais aussi qu'elle a gagné en influence et en crédibilité. C'est dû en grande partie au soin qui a été mis à développer les relations bilatérales, et M. Wagner y a joué un rôle important avec sa Société Suisse-Chine.

 

« Avec notre Société nous avons endossé un rôle d'intermédiaire pour assembler les personnes idoines sur les projets correspondant à leurs capacités. Je vois dans l'initiative des Nouvelles Routes de la Soie une opportunité nouvelle de s'engager pour notre Société », se réjouit l'infatigable septuagénaire.

 

La façon dont la coopération internationale peut fonctionner et les zones d'ombres qui demeurent dans les relations sino-européennes, tout cela est parfaitement cartographié par ce connaisseur chevronné de la Chine. « Celui qui ne connaît pas la Chine arrive ici et pense qu'il parviendra rapidement à conclure des affaires fructueuses. C'est une erreur. Il faut créer une confiance, travailler vos relations personnelles. Et, bien sûr, vous devez apporter un bon produit et gagner la confiance de vos partenaires chinois, leur appréciation de ce que vous voulez apporter, les convaincre que vous proposez un plus pour le pays et quelque chose qui correspond aux besoins de la Chine. Il faut souvent faire preuve d'une grande patience. »

 

De nombreux Européens se précipitent et cherchent à atteindre leur but au plus vite. Conclure un contrat, le plus juteux possible et qui apporte la réussite, explique M. Wagner. « Mais pour les Chinois, le processus pour y parvenir est au moins aussi important. Renforcer et approfondir la relation personnelle, jeter les bases de sa durabilité, c'est ici beaucoup plus important qu'en Europe », conclut le Suisse.

 

 

La Chine au présent

 

 

 

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