CHINAHOY

4-February-2015

Les saveurs de la Chine

 

Un repas traditionnel sur une grande table à Zhangjiajie, dans le nord-ouest du Hunan. (QIN YUAN)

 

Un petit creux ? Alors engagez-vous dans un voyage gustatif aux quatre coins de la Chine, pays qui mêle si délicieusement les saveurs !

LI YUAN, membre de la rédaction

Le vaste territoire de la Chine abrite des climats, des produits et des traditions variés, qui ont donné naissance à des saveurs tout aussi nuancées. Un vieil adage dit que l'on trouve « le riz dans le Sud et les nouilles dans le Nord ». Au niveau des saveurs, on pourrait également distinguer « le sucré au Sud, le salé au Nord, l'aigre à l'Est et l'épicé à l'Ouest ». Cet éventail de saveurs provient des différences entre les ingrédients, mais aussi de la sagesse chinoise qui implique de manger les produits locaux : « À la montagne, on mange les produits de la montagne, et à la mer, on mange les produits de la mer ».

Le sucré

Le sucré est chez l'homme la première sensation gustative qu'il peut ressentir avec le bout de la langue. En Chine, les habitants de Shanghai, du Guangdong, du Zhejiang et du Jiangsu aiment particulièrement manger sucré.

Le goût sucré provient principalement du saccharose extrait de la canne à sucre. En Chine, celle-ci est cultivée dans la région de Lingnan, où la fertilité des terres et la générosité du soleil nourrissent une végétation luxuriante.

À Shantou dans le Guangdong, le canard fumé est la spécialité locale, en plus des ingrédients marinés au charbon utilisés pour le faire griller, mais la canne à sucre n'est jamais loin. La cassonade est un élément important pour la préparation de la marinade. Ce sucre facilement extrait de la canne est non raffiné, ce qui lui permet de conserver une grande partie de ses nutriments. En Chine, le sucre non raffiné est considéré comme un fortifiant, et beaucoup de femmes en prennent à la suite de leur accouchement. Les habitants de Chaoshan l'utilisent, quant à eux, pour le marinage des aliments. Pour préparer le canard fumé, on utilise une marinade de sucre roux, de cinq épices, de vinaigre et de sel. Pour le fumage, on utilise le résidu fibreux de la canne passée au moulin pour en extraire le suc, la bagasse. On obtient alors une viande tendre et gorgée des saveurs de la canne tendre, enrobée d'une peau croustillante.

Dans la province du Jiangsu, qui n'est pourtant pas productrice de canne à sucre, la ville de Wuxi a pourtant opté pour une cuisine sucrée, notamment représentée par ses fameuses côtes de porc braisées (Jiang paigu). Au-delà de l'attention toute particulière accordée aux ingrédients et à la cuisson, celles-ci sont particulièrement renommées pour leur fort goût sucré. La recette traditionnelle préconise en effet d'utiliser une quantité de sucre équivalant à un dixième du poids des côtes, méthode que l'on retrouve peu dans les autres régions de la Chine. Les ingrédients mijotent à feu doux, ce qui permet aux assaisonnements de pénétrer en profondeur dans les chairs. Les arômes prennent alors toute leur force, et l'on goûte la saveur sucrée à travers le salé.

Dans le Sud du pays, les gens utilisent la canne à sucre pour réaliser toute sorte de mets sucrés, parmi lesquels on peut trouver les crêpes à la ciboule de sucre (Tangcong baobing). Leur préparation nécessite de réduire à feu vif de l'eau et du sucre dans une casserole, afin d'obtenir un sirop. La température est essentielle dans le processus de caramélisation du sucre et le cuisinier doit avoir une grande expérience pour déterminer la température et l'état de cuisson du sirop. Il faut ensuite étirer sans cesse la pâte pendant son refroidissement progressif, afin d'obtenir des petits tubes de « ciboule de sucre », aussi fin que des « ailes de cigales ». Pour les habitants de Chaoshan, il s'agit d'un aliment essentiel pour les fêtes et le culte des ancêtres. Ils expriment, par son intermédiaire, leur reconnaissance et leurs attentes d'un avenir heureux.

Le salé

Une des missions particulièrement importantes du sel est de relever les saveurs intrinsèques des produits utilisés et de donner corps aux éléments. Dans le dictionnaire de la cuisine chinoise, le salé est la saveur suprême.

Dans le Nord de la Chine et dans les plaines intérieures, le salé est la saveur privilégiée. Pour éviter les pénuries pendant la saison froide, le sel est utilisé pour préserver et conserver les denrées alimentaires. Cette habitude de manger salé s'est progressivement ancrée dans les gènes de ces populations et transmise de génération en génération.

Le sel est non seulement utilisé en cuisine, mais il leur permet également de faire des pickles, des chut-neys et toute sorte de condiments, comme des moutardes, des sauces soja ou encore de la pâte de soja fermenté. Ces combinaisons de saveurs salées sont l'occasion d'autant de fantastiques expériences pour nos papilles.

Le sauté de porc à la sauce soja (Jingjiang rousi) est un plat typique de la capitale chinoise. Il s'agit d'un émincé de porc agrémenté de sauce soja locale, de pâte de soja et d'autres condiments, sautés dans de la sauce soja, à la manière typique du Nord de la Chine. Au moment de déguster, on place la viande avec un peu de ciboule hachée dans une sorte de petite crêpe de peau de tofu (Dou pi), et tous les arômes du salé se diffusent alors.

Au-delà de l'assaisonnement, le sel peut aussi être un moyen de transformer les aliments. C'est le cas pour le poulet cuit dans le sel (Yanju ji) : le sel permet de conserver toutes les saveurs. Le poulet est emballé dans un papier résistant à la chaleur, puis plongé dans le sel et doucement chauffé. Cela permet de révéler au maximum l'intensité des saveurs du poulet.

La médecine moderne a montré que le sel est un élément essentiel pour le corps humain qui permet à celui-ci de maintenir son équilibre physiologique. Les éléments qu'il apporte, comme le chlore, le sodium et le potassium, ont une influence profonde sur les tissus, les organes, le système nerveux, ainsi que sur certaines fonctions physiologiques, comme la digestion, la pression artérielle ou la sécrétion d'hormones. Conséquence de la prédilection des Chinois pour le salé : les apports journaliers en sel dépassent les normes de santé pour près de 60 % de la population. Ce phénomène a poussé les départements concernés à veiller à ce que les Chinois suivent un mode d'alimentation allégé en sel.

L'acidité

L'acidité est une saveur surprenante, qui peut être ressentie par la langue, mais aussi par le nez. Elle neutralise les odeurs désagréables de la viande et du poisson, et permet d'augmenter la fragrance d'un plat. Dans la cuisine occidentale, c'est le citron qui est le plus souvent utilisé à cette fin. Dans la cuisine chinoise, c'est principalement le vinaigre de céréales qui est versé pour apporter cette touche d'acidité. Comme les matières premières et les procédés employés sont différents, les vinaigres ont des goûts très variés selon leur lieu d'origine. Le vinaigre du vieux Laochen dans le Shanxi a par exemple un goût riche et puissant. Le vinaigre de riz est parfaitement clair, et le vinaigre parfumé de Zhenjiang est légèrement sucré.

Les habitants du Shanxi ont la réputation d'apprécier particulièrement l'acidité. Ce penchant est en relation directe avec les caractéristiques du sol, de l'eau, du climat, et des céréales secondaires (autre que le riz et le blé) qui sont un élément essentiel de leur vie. À la dureté de l'eau du Shanxi, c'est-à-dire sa forte alcalinité, s'ajoute l'importance des céréales secondaires, comme le sorgho ou l'avoine, relativement lourdes à digérer. Le vinaigre permet donc de ramener un certain équilibre et de favoriser la digestion. Peu importe ce qu'ils mangent, le vinaigre n'est jamais loin pour les habitants du Shanxi, et pour eux, un repas sans vinaigre n'est pas un vrai repas.

Dans les campagnes du Shanxi, quasiment tout le monde fabrique son propre vinaigre, et dans chaque cour intérieure, on peut trouver un à deux fûts de vinaigre. Les habitants des plaines produisent du vinaigre de sorgho, et dans les parties montagneuses, les villageois concoctent aussi des vinaigres de riz, de jujube, de kaki et d'argousier, qui ont chacun leurs particularités gustatives.

Les habitants du Guizhou ont eux aussi un goût prononcé pour le vinaigre, qui se décline dans la soupe aigre qui peut être rouge ou blanche. La soupe aigre blanche est réalisée à partir de la fermentation d'une soupe de riz blanc. Quant à la soupe aigre rouge, celle-ci se distingue par l'ajout de tomates et de piments sauvages, ce qui lui confère un goût nettement plus prononcé.

Pour beaucoup, la soupe aigre du Guizhou se limite à la soupe aigre de poisson. En réalité, il est possible d'utiliser aussi bien du mouton, des abats de bœuf, ou encore des pieds de cochon. Cette dernière version est d'ailleurs très appréciée des habitants du Guizhou. Pour réaliser cette soupe, les pieds de cochon sont d'abord braisés puis frits. Ensuite, on incorpore les pickles de pousses de bambou, de piments et de gingembres, et on laisse mijoter le tout. La saveur aigre ressort délicatement à travers les épices, et le processus de défibrage accéléré par l'acidité du plat donne une viande tendre et délicate.

L'aigre-doux est une saveur légère et subtile, qui s'obtient par l'association des saveurs acide et sucrée. Une étude a montré que 80 % des étrangers choisissent des plats aigres-doux, comme le porc à la sauce aigre-douce (Tangcu liji) ou encore, le porc aigre-doux à l'ananas (Boluo gulu rou), car c'est la saveur chinoise qu'ils apprécient le plus.

Le piquant du piment

En dehors de la saveur acide, une autre saveur favorise l'appétit : le piquant.

Le piquant ne fait pas partie à proprement parler des saveurs, mais il s'agit d'une perception olfacto-gustative entrant en jeu dans la perception du goût. À l'origine, le piquant était défini comme quelque chose d'« âcre » ou de « caustique », propre à une sensation de feu. Aujourd'hui, les piments originaires d'Amérique du Sud, le gingembre d'Asie du Sud-Est et le poivre de Chine sont les épices les plus couramment utilisés en cuisine chinoise.

Vers la fin de la dynastie des Ming (1368-1644), lors de leur introduction en Asie, les plantes du genre Capsicum, avec leurs fruits rouges et verts, étaient utilisées comme ornements. Par la suite, lorsqu'on se rendit compte de la « sensation de feu » qu'ils pouvaient apporter, les piments sont alors devenus des plantes médicinales. Dans le Traité des propriétés médicinales, écrit à la fin du XVIIIe siècle, il est dit de ces plantes qu'elles « stimulent le réchauffeur moyen et chassent le froid de la rate ; dispersent le vent et l'énergie perverse externe du froid ; chassent l'humidité, et provoquent la sudation et la circulation du phlegme ».

Aujourd'hui, des amateurs de saveurs épicées se retrouvent dans les régions où l'on a besoin de lutter contre le froid. Le Sichuan, le Hunan, le Hubei, le Yunnan, le Guizhou et le Jiangxi ont tous un goût particulièrement prononcé pour la saveur piquante des épices, goût qui semble lié à l'humidité constante que connaissent ces provinces tout au long de l'année. La force et l'intensité du piment a aussi donné à la population du Sichuan sa franchise et son caractère vigoureux selon le terme chinois (po la), qui reprend le caractère « épicé ».

Les aiguillettes de porc sauce piquante (Yuxiang rousi) sont un classique de la cuisine du Sichuan. Le fumet de ce plat ne provient pas du poisson, comme pourrait le sous-entendre son nom chinois (yu, poisson), mais d'une combinaison de piments marinés, de ciboule, de gingembre, d'ail, de sucre, de sel et de sauce soja. Les piments marinés du Sichuan, qui procèdent d'une façon innovante d'utiliser le piment, sont doux et tendres. Cette saveur acide et piquante à la fois n'est pas seulement appréciée des Sichuanais, mais jouit d'une grande popularité à travers toute la Chine.

Le Mapo Doufu, ou « Tofu épicé de grand-mère », est également un plat du Sichuan extrêmement populaire, dont l'assaisonnement repose sur la sauce piquante du Sichuan. Le parfum de ses épices est particulièrement prononcé, mais la sensation de piquant reste relativement douce, permettant ainsi de relever à la fois la couleur et les arômes du plat. La rencontre entre la fadeur du tofu et la sauce épicée a su conquérir l'ensemble de la Chine et du monde.

Les amateurs de nourriture épicée sont sans cesse plus nombreux. Douguo, un site chinois de partage de recettes, a publié en 2013 un Rapport sur le développement et les tendances de la cuisine chinoise, dans lequel il établit un classement des 10 grandes tendances gustatives de l'année : la saveur épicée l'emporte haut la main. Selon certaines analyses au sein de l'industrie agro-alimentaire, cet engouement pour la nourriture épicée possèderait un lien surprenant avec le développement de la téléphonie mobile et l'accélération du rythme de vie.

Le piquant du poivre

En Chine, le piquant se distingue entre le « feu » du piment et « l'engourdissement » provoqué par le poivre. Le poivre constitue l'un des plus anciens assaisonnements dans le pays. Son association au piment constitue la saveur originale poivrée-épicée ou ma-la, une autre spécialité sichuanaise. Une grande majorité des habitants de Sichuan n'aiment pas entendre dire que leurs plats sont forcément épicés, mais force est de reconnaître que la saveur ma-la est une caractéristique essentielle de sa cuisine !

Le poisson cuit dans un bouillon épicé (Shui zhu yu) est un plat représentatif de la saveur ma-la, qui fut tout d'abord popularisé à Chongqing et dans le Sichuan, et dont la préparation est relativement élégante. Il faut tout d'abord découper de fines tranches dans un poisson très frais et les plonger dans un bouillon épicé. Puis, le poisson est recouvert d'une poignée de piments et arrosé d'huile bouillante, qui permet de faire ressortir la fraîcheur des piments, du poivre et du poisson. C'est un plat avec une forte rondeur en bouche et qui, malgré l'huile, ne semble pas gras. Cette préparation permet à la fois de se débarrasser de l'odeur désagréable du poisson et de conserver sa fraîcheur. Cette abondance de piments rouges est un plaisir pour les yeux, et le parfait équilibre entre le piment et le poivre a permis à ce plat de devenir populaire dans toute la Chine.

Plusieurs termes utilisés en cuisine sont aujourd'hui passés dans le vocabulaire courant des Chinois. On peut ainsi citer les feuilletons télévisés GTO (Mala Jiaoshi) et Spicy mother-in-law and daughter-in-law (Mala Poxi), ou ce best-seller de la littérature, Business Wisdom from the Three Kingdom (Shuizhu sanguo). Avec leurs personnages incisifs et vigoureux apparaît entre les lignes ce goût des Chinois pour les épices.

L'umami

La cuisine chinoise peut tout aussi bien donner l'assaut à nos papilles avec ses saveurs épicées qu'apporter sans un bruit du moelleux sur le bout de la langue. La cuisine est parfois comme une audience avec l'Empereur, où la simplicité est de mise. De même, la préservation des goûts originaux est d'une importance capitale. Bien que faisant partie des cinq saveurs, l'umami va encore au-delà.

En chinois, le caractère utilisé pour l'umami peut aussi être transcrit par le mot « fraîcheur » et correspondait à l'origine à la saveur du poisson frais cuisiné. Les habitants du Guangdong et du Jiangsu n'ont pas d'égal dans la façon d'obtenir cette fraîcheur après cuisson. Le poisson à la vapeur (Qing zheng yu) est un plat typique du Guangdong. La préparation de ce plat consiste à soumettre un poisson très frais à une vapeur à très haute température. Celle-ci permet au poisson de ne pas perdre son jus et de garder sa saveur. La réussite de ce plat dépend de la précision de la cuisson, qui varie en fonction de la fraîcheur des ingrédients et de la taille du poisson. Il s'agit d'une expérience gustative exceptionnelle.

L'umami provient d'un élément chimique appelé l'alanine. On peut aussi en trouver d'importantes quantités dans certains types d'algues, comme le nori. Le glutamate se trouve dans les protéines des algues, et les Chinois ont depuis longtemps utilisé le séchage pour en conserver de grandes quantités. Les chiffres montrent que l'algue séchée conserve plus de 25 % de ses protéines. C'est la raison pour laquelle une soupe d'algues, malgré son aspect peu ragoûtant, possède un goût intense. Aujourd'hui, malgré la découverte du glutamate de sodium, les habitants des régions côtières continuent à préférer les aliments naturels pour créer cette saveur.

Au cours de leur histoire, les Chinois n'ont eu de cesse de rechercher l'harmonie. Il s'agit là d'une expérience intérieure, d'une façon d'appréhender les relations, et même d'une ligne directrice pour la diplomatie et la gouvernance du pays. L'umami constitue une harmonie naturelle des 5 saveurs. Ainsi, le goût des Chinois pour l'umami reflète cette attitude nationale, ainsi que leurs aspirations les plus profondes.

Les cinq saveurs rendent possible cette diversité évolutive de la cuisine chinoise. Elles apportent un moyen d'expression particulier pour chaque circonstance de la vie. En cuisine, la meilleure façon pour les 5 saveurs d'exister ne passe pas par la prédominance de l'une, mais par l'équilibre et l'harmonie entre elles. Il ne s'agit pas là d'un état de perfection recherché uniquement par la cuisine ou la médecine chinoises, c'est aussi la poursuite de la Chine dans son comportement au sein de la société et sa gouvernance au sein du monde.

 

La Chine au présent

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