CHINAHOY

3-March-2014

« Heureusement que la Chine était là ! »

––– Interview de l'ambassadeur du Togo en Chine

 

L'ambassadeur du Togo en Chine, M. Nolana Ta-Ama, donnant une interview exclusive à La Chine au présent. (Photo par Wang Wenjie)

 

Propos recueillis par ANAÏS CHAILLOLEAU, membre de la rédaction

Nichée dans le Golfe de Guinée, la République togolaise est l'un des plus petits pays d'Afrique avec sa superficie de 56 785 km² et sa population estimée à 6 millions d'habitants. Néanmoins, cette ancienne colonie joue un rôle important dans les échanges commerciaux en Afrique de l'Ouest. Un avantage que les Chinois présents au Togo ont bien compris et cherchent à exploiter, aidant par là même cet État francophone à se développer par le biais de dons, d'envoi d'équipes et de matériel médicaux, de construction d'infrastructures ou encore de prêts économiquement intéressants.

C'est ce que nous a expliqué plus en détails son Excellence M. Nolana Ta-Ama, ambassadeur du Togo en Chine et doyen du corps diplomatique africain, qui nous a fait l'honneur d'accepter chaleureusement notre interview. Il nous a fait part de son attachement pour la Chine, nous a décrit les liens qui unissaient la Chine et le Togo dans les divers secteurs, et enfin, nous a informé de ses projets futurs.

Vous êtes arrivé en Chine en 1997. Quelle fut votre impression sur ce pays à l'époque ?

Honnêtement, pour un diplomate comme moi qui avait servi mon pays en France et à New York aux États-Unis, c'était un déchirement de venir vers l'inconnu, cet inconnu décrit négativement dans la presse occidentale. J'ai pu, en arrivant, me rendre compte qu'on était très loin des clichés véhiculés par les médias occidentaux. C'était un pays où il faisait bon vivre. Il y avait tout le nécessaire, de quoi manger et de quoi s'habiller, et il était fort possible aussi de sympathiser avec les Chinois (le Chinois de la rue, du bureau, des commerces…). J'ai eu vite fait de perdre ces illusions et de me dire que j'étais chanceux d'avoir été envoyé ici pour y vivre une expérience des plus souhaitables pour un diplomate.

Depuis 17 ans, vous êtes témoin du développement continu des relations sino-africaines. Pourriez-vous décrire les progrès accomplis ces dernières années dans les relations bilatérales ?

Je suis arrivé à un moment où les relations Chine-Afrique étaient plutôt fondées sur une histoire et une destinée communes, sur le fait que les deux parties avaient toutes deux lutté pour leur libération politique et recherchaient la meilleure voie de développement, resserrant davantage leurs relations.

Les relations Chine-Afrique ont évolué par l'envoi des équipes médicales venues pour soigner nos peuples africains. Par ailleurs, les États africains manquaient de structures adéquates pour exercer leur souveraineté. La Chine les a aidés par la construction de grandes infrastructures, de stades omnisport, de routes, de lieux de travail… On peut citer en exemple la construction dès les années 1970 d'un très grand chemin de fer reliant la Tanzanie et la Zambie, qui a permis de désenclaver ces deux pays.

En fait, la Chine a réalisé que l'Afrique avait contribué à son entrée en 1971 dans la communauté internationale rassemblée à l'ONU, laquelle a reconnu l'importance vitale de la Chine pour le monde et lui a redonné la place qu'elle occupait auparavant au Conseil de sécurité. Et depuis, au sein de l'ONU, la Chine et l'Afrique marchent main dans la main pour exprimer le point de vue du tiers-monde dans les problèmes internationaux.

C'est donc en l'an 2000 que nous avons rationalisé notre relation à travers la création d'un forum, le Forum sur la coopération sino-africaine. Tous les trois ans, nous tenons une réunion ministérielle et nous fixons les projets et les souhaits que nous voudrions voir grandir dans les trois prochaines années, pour améliorer la coopération entre le continent africain et la Chine. Et je me rends compte que, de forum en forum, nous atteignons notre objectif : celui du resserrement de la coopération pour le développement de nos deux pays, en vue d'atteindre également d'ici 2015 les Objectifs du Millénaire pour le développement fixés par l'ONU.

 

Le 25 avril 2012, l'ambassadeur de Chine au Togo Wang Zuofeng et le président togolais Faure Gnassingbé ont assisté à la cérémonie d'inauguration du Centre pilote des techniques agricoles construit au Togo avec l'aide chinoise.

 

Dans quels domaines la Chine et le Togo ont-ils renforcé leurs échanges et leur coopération ces dernières années ?

Tout a commencé par la santé, par l'envoi des équipes médicales. Au Togo, elles sont présentes dans deux villes : à Lomé et à Kara (la capitale du Nord). L'avantage de ces hôpitaux chinois, qui combinent médecine traditionnelle chinoise et médecine occidentale, c'est que le coût des soins est relativement bas par rapport aux hôpitaux publics, sans parler des cliniques privées. Ce sont des hôpitaux à la portée de tout pouvoir d'achat. Nous applaudissons le rôle indéniable qu'ont joué ces équipes médicales dans le renfort de la lutte contre le paludisme.

Une assistance dans le domaine de l'agriculture a également été offerte par la Chine, qui a appris au peuple africain quelle était la meilleure façon d'irriguer un champ, de sorte à pérenniser la production dans le secteur vivrier, du riz et de la canne à sucre. La Chine et l'Afrique travaillent sur la base d'une coopération d'amitié, où le plus fort tire le plus faible vers le haut.

Depuis 2000, le Togo, à l'instar des autres pays africains, a bénéficié des décisions de la Chine en matière de réduction de la dette, de tarif zéro pour nos importations et de crédits à taux préférentiels. Ces faveurs aident tous les pays d'Afrique, dont le Togo, à développer leurs infrastructures de communication, les technologies de l'information et leur réseau routier. Au Togo, des infrastructures d'accueil de masse ont été établies, dont un stade. Un projet de construction de l'Assemblée nationale est actuellement en cours.

Bien que nous n'ayons pas de mines à exploiter au Togo, nous avons une forte présence chinoise qui exploite la richesse commerciale de notre pays. En effet, nous sommes une plaque tournante commerciale pour la sous-région de l'Afrique de l'Ouest grâce à nos infrastructures portuaires, à notre zone franche ainsi qu'à la petitesse de notre pays (moins de 100 km de large), où le transfert des produits commandés par les pays enclavés, comme le Burkina Faso, le Mali ou le Niger, se fait plus rapidement.

Comment promouvoir la compréhension culturelle entre les peuples togolais et chinois ?

Pour ce qui est de la compréhension culturelle, je vous parlais tantôt du Forum sur la coopération sino-africaine. Celui-ci a inclus la coopération culturelle comme contenu à part entière de la coopération entre les deux peuples. Il y a par exemple des échanges entre artistes : les Togolais qui viennent se former aux spécificités artistiques chinoises, et les Chinois qui s'intéressent à l'art africain.

Je citerai en outre l'Africa Center de Shanghai, que le Togo, comme beaucoup d'autres pays africains, a rejoint en novembre 2010. Il transfèrera son patrimoine culturel dans cet Africa Center, que nous appelons communément Touchroad. Nous, ambassadeurs africains, nous sommes réunis avec les dirigeants de ce centre pour spécifier nos souhaits respectifs quant aux activités qui y seront présentées. Celles-ci seront lancées bientôt. Ce centre contribuera profondément au rayonnement de l'Afrique en Chine.

J'ajouterai qu'à l'instar de tous les pays d'Afrique, on observe une augmentation du nombre d'étudiants togolais qui partent en Chine. La jeunesse togolaise est avide de parler le chinois, une langue qui prend de plus en plus d'importance.

La Chine et le Togo travaillent à entretenir leur coopération. Ce que nous, le peuple togolais, retenons, c'est surtout d'indéfectible attachement de la Chine à notre pays et la présence permanente de la Chine à nos côtés, quels que soient nos heurs ou nos malheurs. Tout le peuple togolais se dit : « Heureusement que la Chine était là, sinon, peut-être nous serions-nous effondrés. » Et quelqu'un qui vous aide à tenir debout, vous ne l'oubliez pas.

M. l'Ambassadeur, votre mandat touche bientôt à sa fin. Dans quel état d'esprit vous trouvez-vous ?

Je répondrai sans hésiter que c'est dans un état de pleine satisfaction que je quitte ce beau pays, et ceci pour deux raisons. D'abord, parce que j'ai eu la chance de connaître ce grand pays qu'est la Chine, pour voir quel est le caractère du peuple chinois, et surtout, pour éviter les idées reçues. Et je pars aussi dans un état d'esprit serein parce que non seulement, j'ai servi mon pays dans ses relations avec la Chine, mais je le dis sans gêne, j'ai aussi servi l'Afrique à travers mon rôle de doyen, qui m'a permis d'être à l'avant-poste dans la formulation de la coopération Chine-Afrique. Je remercie mes autorités de m'avoir fait confiance durant si longtemps. J'espère que je me suis acquitté des tâches qu'elles m'ont assignées avec le professionnalisme qu'on attend d'un ambassadeur.

Je vais partir en retraite vers le 5 février. Comme le dit l'humour français, la retraite pour un diplomate, c'est l'autorisation que l'on donne à un haut fonctionnaire d'aller « se rouiller » : le fonctionnaire retraité détient souvent les bonnes réponses, mais plus personne ne lui pose de questions… C'est le côté humoristique de l'affaire ! Mais moi, après mon départ, j'ai bien l'intention de mettre à la disposition de qui le voudra mes compétences pour renseigner sur les réalités de la Chine et de l'Asie. Si le gouvernement estime qu'il peut avoir besoin de ces informations de ma part, c'est avec la plus grande joie que j'accepterai toujours d'être à son service.

 

La Chine au présent

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