CHINAHOY

19-October-2011

Centenaire de la Révolution de 1911 : Portrait de Sun Yat-sen

BHANUPHOL HORAYANGURA* 

Sun Yat-sen est le premier leader chinois à avoir reçu une éducation à la fois traditionnelle et occidentale dès son plus jeune âge. Sa vision peut se résumer par « tianxia weigong », littéralement le monde (ou le pays) pour tous. Ce principe est toujours d’actualité et peut s’appliquer à des problèmes internationaux majeurs comme l’écart entre le Nord et le Sud. Les concepts de bo’ai, fraternité et de datong, grande harmonie, inspirés des philosophes Confucius et Mencius ainsi que de la morale chrétienne, sont également très présents dans sa pensée. Ses Trois principes du peuple (nationalisme, démocratie et bien-être du peuple) sont les trois piliers de son programme politique et le moteur de sa révolution contre le pouvoir mandchou. Ce « triple démisme », comme on a appelé sa doctrine, est, selon toute vraisemblance, inspiré par son éducation à Hawaï et peut-être également par ses études de la pensée d’Abraham Lincoln, qui a déclaré dans son discours de Gettysburg en 1863 « le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ne disparaîtra jamais de la face du monde.  » 

Sun Yat-sen et Soong Ching Ling (au premier rang, 4e et 5e à partir de la droite) avec des amis au Japon en avril 1916

Jeunesse et éducation

Sun Yat-sen, de son vrai nom Sun Wen, naît en 1866 dans le village de Cuiheng dans la province du Guangdong. Il est le troisième fils de Sun Dasheng, qui partira ensuite gagner sa vie comme cordonnier à Macao. La pauvreté conduit son frère aîné, Sun Mei, âgé de seize ans, à suivre leur oncle à Honolulu pour travailler dans une plantation de légumes. Là-bas, il économise chaque sou et finit par ouvrir un élevage de bétail sur l’île de Maui au sud d’Oahu. Après quelques années de dur labeur, son affaire fructifie et Sun Mei a besoin de nouvelles mains pour l’aider dans son travail.

Sun Mei décide de faire venir des travailleurs de Chine et demande avec insistance à sa mère de venir le rejoindre accompagnée de son jeune frère de 13 ans. La traversée du Pacifique dure vingt jours et donne amplement le temps au jeune Sun de réfléchir à son avenir et à celui de la Chine. Il débarque à Hawaï, portant toujours la natte, signe d’allégeance aux Mandchous. Il est fort impressionné par ce qu’il découvre dans ce bastion occidental : un gouvernement organisé, des services postaux et une bonne qualité de vie. Il en déduit que c’est le résultat d’une bonne administration publique basée sur la loi et l’ordre.

Après avoir travaillé pour l’entreprise familiale pendant quelque temps, il confie à son frère son peu d’intérêt pour le commerce et son désir de poursuivre ses études. Il obtient son consentement pour entrer à l’école Iolani fondée par le roi Kamehameha IV en 1862, l’une des premières et plus réputée écoles de Hawaï.

Lorsque le jeune Sun entre dans cette école, les cours ont déjà commencé depuis deux semaines, de plus, il ne maîtrise pas l’anglais. Le professeur le laisse écouter les cours pendant les dix premiers jours et Sun Yat-sen apprend rapidement à saisir cette langue et rattrape ses pairs en sciences naturelles, politique, économie, droit et sciences sociales. Il continue à étudier le chinois en parallèle.

Sa natte attire les moqueries de ses camarades et l’entraîne dans de nombreuses bagarres. Il décide de la couper en signe de libération envers la domination mandchoue. En septembre 1882, il gagne le prix de grammaire anglaise du roi Kamehameha et reçoit un livre sur la Chine en récompense.

Sun Yat-sen poursuit ensuite ses études au lycée Oahu, l’ancêtre du lycée Punahou où le président américain Obama étudiera un siècle plus tard. C’est dans ce lycée que Sun est influencé par le christianisme et les concepts d’égalité et de fraternité qui deviendront les bases de ses idées révolutionnaires contre la dynastie mandchoue.  

Lorsqu’il retourne dans son village natal en 1884, l’atmosphère est demeurée étonnamment inchangée. Les extorsions et la répression des Mandchous sévissent comme avant son départ pour Hawaï. Cela ravive son envie de renverser la dynastie, mais comme la majorité des personnes est encore attachée aux vieilles idées et pratiques, il sent que le temps n’est pas encore à la révolution. Il part alors pour Hong Kong, entre à la Diocesan Boys' School et devient chrétien. Plus tard, à l’École centrale de Hong Kong, il étudie les révolutions françaises du XIXe siècle et d’autres révolutions européennes.

  En 1885, la guerre sino-française tourne court pour le gouvernement des Qing qui doit signer l’humiliant traité de Tianjin. En 1886, Sun Yat-sen entre à l’université médicale de l’hôpital de Guangzhou et commence à plaider pour des changements politiques. L’année suivante, il entame ses études à l’université de médecine pour les Chinois à Hong Kong. En juin 1892, il en sort diplômé avec d’excellents résultats et devient interne à l’hôpital Chinghu à Macao. En décembre de la même année, il ouvre une pharmacie occidentale et chinoise à Macao puis la transplante à Guangzhou pour servir de camouflage à sa campagne révolutionnaire.   

Sun Yat-sen et Soong Ching Ling à Tokyo en octobre 1915, peu après leur mariage

La révolution

Début 1894, Sun Yat-sen présente ses idées de reformes à Li Hongzhang, le gouverneur général de Tianjin, sans résultat apparent. En octobre de la même année, il retourne à Honolulu pour créer la Xingzhonghui (la société pour le redressement de la Chine) qui sert de base pour ses collectes de fonds et ses activités révolutionnaires. Même si de nombreux Chinois d’Hawaï contribuent à l’effort financier, les fonds étaient trop maigres pour acheter des armes. Sun Mei pense émettre 6 000 dollars d’obligations, mais ses efforts échouent.

En septembre 1896, Sun Yat-sen est kidnappé par les officiels de la délégation chinoise lors d’un voyage à Londres. Heureusement, il est sauvé par son professeur anglais Sir James Cantlie. En 1897, il passe beaucoup de temps dans le British Museum, comme l’avait fait Karl Marx avant lui, afin d’étudier l’histoire politique et la philosophie. Il écrit les grandes lignes de ses Trois principes du peuple. En juillet 1897, il se rend à Yokohama et établit l’école Est-Ouest. Il se lie d’amitié avec Miyazaki Tonezo et commerce à utiliser le pseudonyme Nakayama (Yat-sen). Plus tard, il organise un mouvement contre les Qing au Japon, aux Philippines, au Vietnam, à Singapour et à Hong Kong, puis à Bruxelles, Paris et Berlin pour inviter davantage d’étudiants chinois d’outre-mer à se joindre à sa cause.

 Sun émet des obligations en son nom propre en 1904 afin de ramasser des fonds pour préparer une action révolutionnaire à Guangzhou, qui échoue avec l’exécution de soixante-douze participants. En août 1905, il fonde la Tongmenghui (la ligue unie) dont il devient le président. En novembre 1905, le Journal du Peuple, la voix de la ligue, est publié à Tokyo. Sun Yat-sen plaide pour ses Trois principes du peuple dans l’éditorial du premier numéro. Quelques années plus tard, Sun Yat-sen ouvre des branches de la Tongmenghui à Singapour, en Malaysie, et au Vietnam. Le 22 mai, 1907, il organise la troisième révolte à Huanggang (Guangdong) qui est étouffée en six jours. D’autres rebellions sont également neutralisées dans d’autres provinces cette même année. Nullement ébranlé, Sun Yat-sen continue sa campagne de récolte de fonds en Asie du Sud-Est qui est un succès grâce au fort soutien des Chinois d’outre-mer.

En mai 1909, Sun Yat-sen continue sa campagne en Europe et aux États-Unis. La branche de la Tongmenghui de New York est établie le jour de Noël 1909, et des branches sont mises en place à Chicago, San Francisco et Honolulu en 1910. Le 13 novembre 1910, un meeting se tient à Pennang pour préparer une nouvelle révolte à Guangzhou, la dixième dirigée par Sun Yat-sen. Elle a eu lieu le printemps suivant et a entraîné la mort de quatre-vingt six personnes, dont soixante-douze ont pu être identifiées et sont devenues les « martyrs de la révolte de Huanghuagang ». Un cimetière est construit en ce lieu à leur mémoire en 1912, après la chute des Qing, et Sun Yat-sen préside la cérémonie de commémoration.

Le 10 octobre 1911 – date retenue par l’histoire pour devenir la fête nationale de la République de Chine – la révolte de Wuchang éclate et provoque une flambée d’actions révolutionnaires à travers le pays qui ont finalement raison du dernier régime féodal chinois. Le 29 décembre 1911, après une lutte politique compliquée, Sun Yat-sen est élu président par intérim de la République de Chine.

Résidence des Sun dans le village de Cuiheng, au Guangdong. Cette maison à deux étages a été construite grâce à l’argent envoyé par le frère de Sun Yat-sen depuis Honolulu.

Président par intérim

Le 12 février, Pu Yi, le dernier empereur, annonce son abdication. Le jour suivant, Sun Yat-sen présente sa démission et recommande Yuan Shikai pour le remplacer comme président par intérim. Le 25 août, la Tongmenghui se transforme en Guomindang ou Parti nationaliste et Sun est élu président du conseil exécutif. En septembre 1912, Sun est chargé par Yuan d’élaborer un projet de construction des chemins de fer nationaux (plan en de nombreux points semblables à celui mis en place par la RPC en 2010).

Peu de temps après, Yuan Shikai dévoile sa soif de pouvoir : en octobre 1913, il ordonne le démantèlement du Guomindang et met Sun et d’autres membres sous avis de recherche. En juin 1914, le Parti révolutionnaire chinois ayant pour but de renverser l’autocratie de Yuan est crée à Tokyo. Sun en est le président.

 Le mois suivant, la Première Guerre mondiale éclate. Le Japon déclare la guerre à l’Allemagne et envahit la province chinoise du Shandong qui est sous contrôle européen. En janvier 1915, le Japon présente ses brutales « Vingt et une demandes » exigeant que la Chine cède une part de sa souveraineté territoriale, politique, militaire et certains de ses actifs financiers. Yuan accepte. Le 12 décembre 1915, il se déclare lui-même empereur. Au début de l’année 1916, des révoltes contre Yuan grondent dans plusieurs provinces et Sun Yat-sen rentre à Shanghai pour prendre la tête de la campagne contre Yuan. En juin 1916, Yuan meurt de maladie et son vice-président, Li Yuanhong prend sa place en tant que président de la République de Chine.

Au sein de tous ces conflits internes, les forces réactionnaires n’abandonnent pas l’idée de rétablir la cour impériale. Ainsi, de nombreux seigneurs de la guerre dans le pays utilisent leurs forces militaires pour menacer le gouvernement démocratique naissant. En septembre 1917, Sun est nommé général en chef par le parlement et émet une déclaration sur la sauvegarde de la Constitution. Le 1er octobre 1917, il lance l’expédition du Nord contre les seigneurs de la guerre, mais les forces militaires prennent bientôt le contrôle sur le parlement et le restructurent pour faire de Sun un gouverneur fantoche. Le 4 mai 1918, Sun annonce sa démission et part pour Shanghai pour se concentrer sur ses écrits.

En 1921, le parlement est reformé et le gouvernement militaire disparaît. Le 5 mai 1921, Sun est reconduit comme président de la République de Chine et un nouveau gouvernement est formé. De 1922 à 1925, Sun s’occupe de la politique intérieure, des affaires militaires, des reformes de l’administration et des relations extérieures. En août, la Banque centrale de Chine est fondée à Guangzhou sous ses instructions.

Le serment écrit par Sun Yat-sen en tant que président par intérim

Mort

La santé de Sun décline brutalement en 1924. Il subit une opération pour soigner son cancer en 1925 qui ne lui laisse pas beaucoup de temps à vivre. Il meurt le 12 mars 1925. Sa disparition prématurée est une perte majeure pour la Chine, le peuple chinois et les défenseurs de la paix à travers le monde.

Site du siège du gouvernement militaire du Hubei mis en place après la révolte de Wuchang

Par nature, Sun Yat-sen était un penseur, un érudit et un académicien impartial autant qu’un planificateur économique moderne. Son livre, Stratégie de construction d’une nation, est une analyse complète qui propose des programmes de développement pour la nouvelle Chine. Parmi ses idées, de nombreuses sont similaires à ce qui a été réalisé plus tard comme le développement des chemins de fer, des autoroutes, des ports, des voies fluviales et le contrôle des inondations et des mines.

 La Chine a fait du chemin depuis le temps de Sun Yat-sen. Le siècle suivant pourrait s’avérer aussi difficile alors que le monde s’ajuste aux complications et aux changements liés à la mondialisation et au resserrement des liens internationaux. Son concept du monde ou d’un pays comme une communauté demeure une voie vers davantage d’harmonie et de démocratie.

*BHANUPHOL HORAYANGURA est un ancien directeur de programmes pour la Banque asiatique de développement en Chine.

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