En route!
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L'auteur, en compagnie de jeunes enfants
béninois. La maîtrise du français a permis
de nouer une conversation chaleureuse avec ces enfants. |
Les échanges de la Chine avec la francophonie,
ce sont aussi des expériences de tous les jours que des Chinois
vivent dans des pays d'expression française, expériences
qui amènent les gens à découvrir la richesse
de la culture d'un pays grâce aux contacts que permet la maîtrise
de la langue qui y est parlée. L'article qui suit est celui
d'une jeune diplomate chinois qui a vécu quelques années
à l'ambassade de Chine au Bénin.
" Imagine que nous
filons à toute vitesse en 4x4 sur la savane, avec le soleil
doré qui se couche à l"horizon et les antilopes
qui gambadent de tous côtés en soulevant un nuage de
poussière derrière la voiture..."
S'apercevant que j'étais déjà plongée
dans la situation rêvée qu'il venait de décrire,
mon fiancé me demanda sans tarder : " Marions-nous et
nous partirons en Afrique! "
" D"accord! ", lui répondis-je.
C'est ainsi que je me suis retrouvée en Afrique, précisément
à Cotonou, capitale économique de la République
du Bénin, et peu après, je commençais à
apprendre à conduire.
Aide-toi, le Ciel t'aidera
" Tenez le volant à deux mains, pied gauche à
l"embrayage, pied droit à l"accélérateur...",
mon premier professeur, Félix, était un chauffeur
expérimenté. Avant de travailler pour une société
chinoise, il avait travaillé dans une auto-école pendant
douze ans. Il pouvait donc enseigner sa technique à un débutant.
Dès ma première leçon, Félix me demanda
de conduire sur la route.
" Oh, non! ". Je laissai le volant d'un coup. " C"est
pas possible! Je ne sais pas du tout comment faire avancer la voiture.
Laissez-moi au moins m"habituer un peu dans la cour. "
" Madame, on conduit sur la route, pas dans la cour, il faut
donc apprendre à conduire sur la route! ", déclara
mon professeur avec le plus grand sérieux.
" Quelle logique!", pensais-je. Je savais que les élèves
des auto-écoles faisaient des exercices dans les rues, mais
leur véhicule était équipé d'une double
commande; le nôtre n'était qu'un modèle Toyota
bien ordinaire.
Félix insista : " Comptez sur moi, Madame, allez, en
route! "
Je pris tout mon courage et entrepris de faire démarrer la
voiture; celle-ci se mit petit à petit en route, tout en
" hoquetant ".La route devant notre maison était
étroite, et les véhicules de tous genres y roulaient
à grande vitesse. N'ayant pas le courage de m'engouffrer
dans cette circulation, j'essayai de m'approcher du bord de la route,
en roulant comme un escargot. Quand une voiture arrivait d'en face,
j'avais l'impression qu'elle allait se jeter sur moi, je tournais
alors le volant d'un coup vers la droite, blanche de peur.
" N'ayez pas peur! Ce n'est pas grave ", disait Félix
en m'encourageant. En effet, les autres chauffeurs avaient l'air
compréhensifs, ils contournaient tous notre voiture de très
loin pour éviter de nous heurter. Félix était
vraiment excellent, il gardait toujours la main sur le frein à
main, ce qui me rassurait beaucoup. Grâce à ses instructions
explicites, il me semblait que la voiture devenait de plus en plus
docile, cent mètres, deux cents mètres... Au bout
d'une dizaine de minutes, j'étais épuisée et
trempée de sueurs. C'est ainsi que se déroula ma première
leçon de conduite.
Vouloir, c'est pouvoir
L'examen de conduite au Bénin est organisé une fois
par mois par le ministère du Transport. Comme en Chine, l'examen
se fait en deux temps : d'abord, c'est l'examen sur le Code de la
route; par la suite, seuls les candidats qualifiés pourront
participer à l'examen sur route. Après mes leçons
avec Félix, je me rendis donc à une auto-école
pour me renseigner. À ma grande surprise, j'appris qu'une
grande réforme serait appliquée à partir de
l'examen prochain. Auparavant, l'examen du Code se faisait à
l'oral, le candidat n'avait qu'à répondre à
trois ou quatre questions. Dorénavant, chacun devra répondre
par écrit à vingt questions, et ceux qui en auront
réussi quatorze auront le droit de passer l'examen sur route
qui sera, lui aussi, beaucoup plus difficile.
Pour l'examen écrit, en toute franchise, je ne me faisais
pas grand souci, ayant subi l'épreuve du système éducatif
chinois dès mon enfance; retenir le Code de la route par
coeur était pratiquement un jeu d'enfant. Pendant l'examen
écrit, je terminai les vingt questions en dix minutes, et
j'obtins 20 sur 20.
Le hic, c'était l'examen sur route. N'ayant aucune idée
des nouvelles méthodes et des nouveaux critères, tous
les candidats et les professeurs s'inquiétaient.
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Félix, le fier moniteur béninois
de conduite automobile. |
Le grand jour arriva enfin. Il commença
par une pluie torrentielle. La place désignée par
le ministère du Transport comme lieu d'examen était
devenue un champ de boue. La mer rugissait à proximité.
Était-ce bon signe ? J'étais inquiète. Enfin,
après deux heures d'attente sous la pluie, l'examen commença.
Chaque candidat devait accomplir une série de manoeuvres
de conduite dans un terrain désigné où des
cônes étaient placés, des manuvres délicates
telles que tourner, faire marche arrière, faire demi-tour,
garer dans une place exiguë... Si la voiture du candidat frôlait
les cônes, l'examen était raté. Un officier
du ministère du Transport s'asseyait dans la voiture, à
côté du candidat, et un autre, les pieds dans la boue,
surveillait soigneusement si les cônes étaient touchés
par le véhicule. Ils avaient tous un air très sérieux,
impartial, ne saluaient pas chaleureusement ni ne plaisantaient,
ce qui est l'habitude chez les Béninois. N'osant pas souffler
mot, les candidats, debout au bord du terrain d'examen, suivaient
très attentivement le déroulement. Une atmosphère
rare et un peu bizarre pour moi qui étais déjà
habituée au vacarme de la rue africaine.
À 14h, ce fut enfin mon tour. La pluie avait repris. La voiture
à trois portes qu'on utilisait pour l'examen était
une bagnole minable dont le volant n'était qu'un tuyau d'acier
et dans laquelle les gouttes d'eau s'infiltraient au travers des
fissures du pare-brise.
Sous les regards de l'officier, je tournai doucement la clé,
le moteur commença à tourner.
" Du calme! ", me disais-je en suivant les instructions
de l'officier qui, assis à ma droite, me regardait d'un air
très sérieux, même un peu froid. " Tournez,
reculez, faites demi-tour, garez..." Tout me semblait plus
difficile à cause de la boue. Finalement, je garai la voiture
justement dans la limite des quatre cônes qui représentaient
un tout petit garage. Je repris ma respiration et me tournai pour
serrer la main de l'officier en guise de salutations, mais il me
dit sèchement : " Vous pouvez maintenant descendre!
" Je le saluai rapidement et déguerpis.
" Les Béninois perdent toute leur gentillesse à
l"examen!, déclarai-je à Félix qui me
rassura en disant que l'air froid de l"officier était
normal parce qu'il voulait démontrer son impartialité
envers tous les candidats, même les étrangers. "
Ne vous inquiétez pas, madame, vous aurez une bonne note!
, me dit-il. En effet, après quelques jours, je reçus
mon permis de conduire des mains du directeur des services de la
route du ministère du Transport.
C'est en forgeant qu'on
devient forgeron
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Une rue de Cotonou, à proximité
du marché Tantokpa, encombrée de voitures d'occasion
et de zémijian. |
Conduire à Cotonou, c'est en même
temps facile et difficile. C'est facile, parce que les véhicules
sont moins nombreux qu'à Beijing et que les règles
de circulation sont moins compliquées. C'est difficile parce
que la route est généralement étroite, et que
des véhicules modernes, des voitures d'occasion, des piétons,
des animaux et des " zémijian " partagent la même
voie.
Le mot " zémijian " en langue Fon (langue des Fon,
un des principaux peuples du Sud du Bénin), signifie : tu
peux monter à tout moment et n'importe où. On donne
ce nom aux chauffeurs de taxi-moto. Au nombre de 40 000 à
Cotonou où le manque de transport en commun est évident,
ces taxis offrent un service très pratique et à un
prix accessible à tout le monde. Tous en T-shirt jaune, généralement
très sympathiques et joyeux, ces chauffeurs constituent une
scène typique de la ville africaine. Ils sont partout, et
un petit signe suffit pour qu'ils arrêtent auprès de
vous et vous déposent où vous voulez. C'est très
pratique pour les piétons, mais souvent gênant pour
les conducteurs. Avant mon apprentissage de la conduite automobile,
j'appréciais beaucoup les zémijian pour aller faire
les courses, mais une fois au volant, j'essayais de les éviter
le plus possible.
Un après-midi, je sortis avec ma Toyota. C'était la
saison des pluies, les rues de Cotonou étaient pleines de
trous causés par les eaux torrentielles. À l'approche
du pont Neuf où il y avait constamment une circulation très
dense en raison du grand marché Tantokpa situé à
proximité, je ralentis, en gardant une distance de cinq mètres
d'un zémijian qui transportait une vendeuse de produits plastiques.
Celle-ci portait de nombreux bassins de toutes les couleurs et elle
le faisait par divers moyens : sur la tête, sous les bras,
sur le dos, même le zémijian portait lui aussi deux
grandes bassines entre ses jambes. Un spectacle d'acrobatie saisissant!
À ce moment, un bassin tomba, roula par terre, et la vendeuse
s'écria : " Arrête, arrête! ". Le zémijian
s'arrêta d'un coup, en pleine rue. Les bassines coincées
entre ses jambes tombèrent aussi et roulèrent vers
ma voiture. J'essayai de freiner et de tourner, mais le moteur de
la voiture cala. Je me hâtai de redémarrer, mais sans
succès. À ce moment-là, les véhicules
étaient déjà entassées, des chauffeurs
impatients klaxonnaient. La rue était totalement bouchée.
J'essayai encore une fois, le moteur commença à grogner,
les roues tournèrent en s'enfonçant dans la boue.
J'appuyai à fond sur l'accélérateur, mais la
voiture ne voulait pas bouger. " Viens, on va t'aider! ",
dirent des zémijian en formant un cercle autour de mon véhicule.
Ils poussèrent ma voiture qui sortit finalement de son mauvais
pas. Les zémijian poussèrent des cris de joie. Je
m'arrêtai au bord de la route et pris quelque 500 francs CFA
pour les remercier. " Non, non ". Ils refusèrent
tous. Je me sentais vraiment confuse. " Avez-vous des zoro
?", me demandèrent-ils, en faisant semblant de badigeonner
quelque chose sur le bras. Ah!, le baume! Le baume chinois, en raison
de sa fonction préventive contre la chaleur et les moustiques,
est hautement apprécié par les Africains, et ceux-ci
lui donnent un surnom dans leur propre dialecte. Je leur distribuai
les zoro, et ils furent très contents. " Merci, les
zoro chinois sont bons! " La Chine, c'est bon! ", déclarèrent-ils
tous. Dès lors, je commençai à être plus
tolérante envers mes amis zémijian!
Maintenant, je suis rentrée
en Chine et mon permis de conduire béninois a été
échangé contre le permis chinois. En apparence, mon
permis n'a rien de spécial par rapport aux autres permis
chinois, mais moi je sais qu'en plus de connaître les autoroutes
de Chine, il m'a permis de découvrir la terre rouge de l'Afrique
de l'Ouest.
HUANG CAI
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