Sommaire de novembre 2001
 

En route!

 

L'auteur, en compagnie de jeunes enfants béninois. La maîtrise du français a permis de nouer une conversation chaleureuse avec ces enfants.

Les échanges de la Chine avec la francophonie, ce sont aussi des expériences de tous les jours que des Chinois vivent dans des pays d'expression française, expériences qui amènent les gens à découvrir la richesse de la culture d'un pays grâce aux contacts que permet la maîtrise de la langue qui y est parlée. L'article qui suit est celui d'une jeune diplomate chinois qui a vécu quelques années à l'ambassade de Chine au Bénin.

" Imagine que nous filons à toute vitesse en 4x4 sur la savane, avec le soleil doré qui se couche à l"horizon et les antilopes qui gambadent de tous côtés en soulevant un nuage de poussière derrière la voiture..."
S'apercevant que j'étais déjà plongée dans la situation rêvée qu'il venait de décrire, mon fiancé me demanda sans tarder : " Marions-nous et nous partirons en Afrique! "
" D"accord! ", lui répondis-je.
C'est ainsi que je me suis retrouvée en Afrique, précisément à Cotonou, capitale économique de la République du Bénin, et peu après, je commençais à apprendre à conduire.

Aide-toi, le Ciel t'aidera


" Tenez le volant à deux mains, pied gauche à l"embrayage, pied droit à l"accélérateur...", mon premier professeur, Félix, était un chauffeur expérimenté. Avant de travailler pour une société chinoise, il avait travaillé dans une auto-école pendant douze ans. Il pouvait donc enseigner sa technique à un débutant.
Dès ma première leçon, Félix me demanda de conduire sur la route.
" Oh, non! ". Je laissai le volant d'un coup. " C"est pas possible! Je ne sais pas du tout comment faire avancer la voiture. Laissez-moi au moins m"habituer un peu dans la cour. "
" Madame, on conduit sur la route, pas dans la cour, il faut donc apprendre à conduire sur la route! ", déclara mon professeur avec le plus grand sérieux.
" Quelle logique!", pensais-je. Je savais que les élèves des auto-écoles faisaient des exercices dans les rues, mais leur véhicule était équipé d'une double commande; le nôtre n'était qu'un modèle Toyota bien ordinaire.
Félix insista : " Comptez sur moi, Madame, allez, en route! "
Je pris tout mon courage et entrepris de faire démarrer la voiture; celle-ci se mit petit à petit en route, tout en " hoquetant ".La route devant notre maison était étroite, et les véhicules de tous genres y roulaient à grande vitesse. N'ayant pas le courage de m'engouffrer dans cette circulation, j'essayai de m'approcher du bord de la route, en roulant comme un escargot. Quand une voiture arrivait d'en face, j'avais l'impression qu'elle allait se jeter sur moi, je tournais alors le volant d'un coup vers la droite, blanche de peur.
" N'ayez pas peur! Ce n'est pas grave ", disait Félix en m'encourageant. En effet, les autres chauffeurs avaient l'air compréhensifs, ils contournaient tous notre voiture de très loin pour éviter de nous heurter. Félix était vraiment excellent, il gardait toujours la main sur le frein à main, ce qui me rassurait beaucoup. Grâce à ses instructions explicites, il me semblait que la voiture devenait de plus en plus docile, cent mètres, deux cents mètres... Au bout d'une dizaine de minutes, j'étais épuisée et trempée de sueurs. C'est ainsi que se déroula ma première leçon de conduite.

Vouloir, c'est pouvoir


L'examen de conduite au Bénin est organisé une fois par mois par le ministère du Transport. Comme en Chine, l'examen se fait en deux temps : d'abord, c'est l'examen sur le Code de la route; par la suite, seuls les candidats qualifiés pourront participer à l'examen sur route. Après mes leçons avec Félix, je me rendis donc à une auto-école pour me renseigner. À ma grande surprise, j'appris qu'une grande réforme serait appliquée à partir de l'examen prochain. Auparavant, l'examen du Code se faisait à l'oral, le candidat n'avait qu'à répondre à trois ou quatre questions. Dorénavant, chacun devra répondre par écrit à vingt questions, et ceux qui en auront réussi quatorze auront le droit de passer l'examen sur route qui sera, lui aussi, beaucoup plus difficile.
Pour l'examen écrit, en toute franchise, je ne me faisais pas grand souci, ayant subi l'épreuve du système éducatif chinois dès mon enfance; retenir le Code de la route par coeur était pratiquement un jeu d'enfant. Pendant l'examen écrit, je terminai les vingt questions en dix minutes, et j'obtins 20 sur 20.
Le hic, c'était l'examen sur route. N'ayant aucune idée des nouvelles méthodes et des nouveaux critères, tous les candidats et les professeurs s'inquiétaient.

Félix, le fier moniteur béninois de conduite automobile.

Le grand jour arriva enfin. Il commença par une pluie torrentielle. La place désignée par le ministère du Transport comme lieu d'examen était devenue un champ de boue. La mer rugissait à proximité. Était-ce bon signe ? J'étais inquiète. Enfin, après deux heures d'attente sous la pluie, l'examen commença. Chaque candidat devait accomplir une série de manoeuvres de conduite dans un terrain désigné où des cônes étaient placés, des manœuvres délicates telles que tourner, faire marche arrière, faire demi-tour, garer dans une place exiguë... Si la voiture du candidat frôlait les cônes, l'examen était raté. Un officier du ministère du Transport s'asseyait dans la voiture, à côté du candidat, et un autre, les pieds dans la boue, surveillait soigneusement si les cônes étaient touchés par le véhicule. Ils avaient tous un air très sérieux, impartial, ne saluaient pas chaleureusement ni ne plaisantaient, ce qui est l'habitude chez les Béninois. N'osant pas souffler mot, les candidats, debout au bord du terrain d'examen, suivaient très attentivement le déroulement. Une atmosphère rare et un peu bizarre pour moi qui étais déjà habituée au vacarme de la rue africaine.
À 14h, ce fut enfin mon tour. La pluie avait repris. La voiture à trois portes qu'on utilisait pour l'examen était une bagnole minable dont le volant n'était qu'un tuyau d'acier et dans laquelle les gouttes d'eau s'infiltraient au travers des fissures du pare-brise.
Sous les regards de l'officier, je tournai doucement la clé, le moteur commença à tourner.
" Du calme! ", me disais-je en suivant les instructions de l'officier qui, assis à ma droite, me regardait d'un air très sérieux, même un peu froid. " Tournez, reculez, faites demi-tour, garez..." Tout me semblait plus difficile à cause de la boue. Finalement, je garai la voiture justement dans la limite des quatre cônes qui représentaient un tout petit garage. Je repris ma respiration et me tournai pour serrer la main de l'officier en guise de salutations, mais il me dit sèchement : " Vous pouvez maintenant descendre! " Je le saluai rapidement et déguerpis.
" Les Béninois perdent toute leur gentillesse à l"examen!, déclarai-je à Félix qui me rassura en disant que l'air froid de l"officier était normal parce qu'il voulait démontrer son impartialité envers tous les candidats, même les étrangers. " Ne vous inquiétez pas, madame, vous aurez une bonne note! , me dit-il. En effet, après quelques jours, je reçus mon permis de conduire des mains du directeur des services de la route du ministère du Transport.

C'est en forgeant qu'on devient forgeron

Une rue de Cotonou, à proximité du marché Tantokpa, encombrée de voitures d'occasion et de zémijian.

Conduire à Cotonou, c'est en même temps facile et difficile. C'est facile, parce que les véhicules sont moins nombreux qu'à Beijing et que les règles de circulation sont moins compliquées. C'est difficile parce que la route est généralement étroite, et que des véhicules modernes, des voitures d'occasion, des piétons, des animaux et des " zémijian " partagent la même voie.
Le mot " zémijian " en langue Fon (langue des Fon, un des principaux peuples du Sud du Bénin), signifie : tu peux monter à tout moment et n'importe où. On donne ce nom aux chauffeurs de taxi-moto. Au nombre de 40 000 à Cotonou où le manque de transport en commun est évident, ces taxis offrent un service très pratique et à un prix accessible à tout le monde. Tous en T-shirt jaune, généralement très sympathiques et joyeux, ces chauffeurs constituent une scène typique de la ville africaine. Ils sont partout, et un petit signe suffit pour qu'ils arrêtent auprès de vous et vous déposent où vous voulez. C'est très pratique pour les piétons, mais souvent gênant pour les conducteurs. Avant mon apprentissage de la conduite automobile, j'appréciais beaucoup les zémijian pour aller faire les courses, mais une fois au volant, j'essayais de les éviter le plus possible.
Un après-midi, je sortis avec ma Toyota. C'était la saison des pluies, les rues de Cotonou étaient pleines de trous causés par les eaux torrentielles. À l'approche du pont Neuf où il y avait constamment une circulation très dense en raison du grand marché Tantokpa situé à proximité, je ralentis, en gardant une distance de cinq mètres d'un zémijian qui transportait une vendeuse de produits plastiques. Celle-ci portait de nombreux bassins de toutes les couleurs et elle le faisait par divers moyens : sur la tête, sous les bras, sur le dos, même le zémijian portait lui aussi deux grandes bassines entre ses jambes. Un spectacle d'acrobatie saisissant! À ce moment, un bassin tomba, roula par terre, et la vendeuse s'écria : " Arrête, arrête! ". Le zémijian s'arrêta d'un coup, en pleine rue. Les bassines coincées entre ses jambes tombèrent aussi et roulèrent vers ma voiture. J'essayai de freiner et de tourner, mais le moteur de la voiture cala. Je me hâtai de redémarrer, mais sans succès. À ce moment-là, les véhicules étaient déjà entassées, des chauffeurs impatients klaxonnaient. La rue était totalement bouchée. J'essayai encore une fois, le moteur commença à grogner, les roues tournèrent en s'enfonçant dans la boue. J'appuyai à fond sur l'accélérateur, mais la voiture ne voulait pas bouger. " Viens, on va t'aider! ", dirent des zémijian en formant un cercle autour de mon véhicule. Ils poussèrent ma voiture qui sortit finalement de son mauvais pas. Les zémijian poussèrent des cris de joie. Je m'arrêtai au bord de la route et pris quelque 500 francs CFA pour les remercier. " Non, non ". Ils refusèrent tous. Je me sentais vraiment confuse. " Avez-vous des zoro ?", me demandèrent-ils, en faisant semblant de badigeonner quelque chose sur le bras. Ah!, le baume! Le baume chinois, en raison de sa fonction préventive contre la chaleur et les moustiques, est hautement apprécié par les Africains, et ceux-ci lui donnent un surnom dans leur propre dialecte. Je leur distribuai les zoro, et ils furent très contents. " Merci, les zoro chinois sont bons! " La Chine, c'est bon! ", déclarèrent-ils tous. Dès lors, je commençai à être plus tolérante envers mes amis zémijian!

Maintenant, je suis rentrée en Chine et mon permis de conduire béninois a été échangé contre le permis chinois. En apparence, mon permis n'a rien de spécial par rapport aux autres permis chinois, mais moi je sais qu'en plus de connaître les autoroutes de Chine, il m'a permis de découvrir la terre rouge de l'Afrique de l'Ouest.

HUANG CAI

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