CHINAHOY

27-February-2015

Démocratie pratique au village

 

Adoption à l'unanimité des Méthodes d'application et de répartition des propriétés collectives.

 

ZHOU LIN, membre de la rédaction

Sur la place du village de Yonglian près de la ville de Zhangjiagang, dans la province du Jiangsu, deux constructions sautent aux yeux. La première est la sculpture Main géante d'acier qui veut représenter l'histoire tourmentée du développement de ce village. La seconde est la salle de délibération, inaugurée début 2013. Cette dernière présente une façade dans le style hui marqué par le contraste entre un mur blanc et des tuiles noires. L'intérieur en revanche est moderne et comprend plus de 200 sièges en hémicycle, avec au milieu la place destinée à l'orateur.

« La construction de cette salle de délibération doit rendre la démocratie à la base plus visible et tangible. Toutes les affaires du village, comme par exemple la répartition des logements, la compensation des biens publics endommagés, peuvent être apportées et discutées ici. Les villageois peuvent assister aux délibérations. Les décisions prises ici sont ainsi plus impartiales », dit Wu Dongcai, secrétaire de la cellule du Parti pour le village de Yonglian.

Gestion multi-acteurs dans la salle de délibération

Le 31 mars 2014, la première assemblée de la coopérative économique du village s'est tenue dans la salle de délibération. À la suite de la discussion, 239 représentants ont voté pour élire le premier Conseil, le premier Conseil de contrôle, ainsi que les Règlements de la coopérative économique du village de Yonglian.

« Nous pouvons même inviter des parlementaires américains à venir constater la pratique de la démocratie à la base dans les campagnes chinoises », dit Sun Minbiao, directeur du bureau du travail pour les campagnes du comité du Parti de la ville de Zhang-jiagang, évoquant cette innovation majeure pour la gouvernance du village de Yonglian. Il a assisté à tout le processus d'élection de la coopérative économique du village.

L'importance de cette assemblée réside également dans le fait qu'elle confère réellement une fonction de gestion à la coopérative économique, une fonction riche en contenus nouveaux. Lors de l'assemblée, on a défini les responsabilités de la coopérative : assurer la répartition, parmi les 10 676 membres de la coopérative, des 8 000 mu (environ 530 ha) de terres cultivées, de plus de 400 magasins, ainsi que de 25 % des actions du capital du groupe Yonggang ; assurer l'exploitation à grande échelle et spécialisée des terres, des avoirs et des capitaux collectifs suivant les lois du marché ; continuer à développer l'économie collective ; assurer l'enrichissement durable des membres de la coopérative.

Depuis 2013, année des élections pour le renouvellement du comité des résidents du quartier de Yonghe, une partie des attributions de la gestion sociale a été transférée vers ce dernier. La structure de la gouvernance rurale est passée du mode dit de « direction par le comité des villageois » à la gestion multi-acteurs. Les trois acteurs en sont le groupe Yonggang, le quartier résidentiel de Yonghe et la coopérative économique du village de Yonglian. Les trois fonctionnent ensemble. Grâce à son système de gestion d'entreprise moderne, le groupe Yonggang pratique une exploitation autonome et assume lui-même ses profits et ses pertes ; appartenant au bourg de Nanfeng, le quartier résidentiel de Yonghe applique l'autonomie communautaire ; enfin, la coopérative économique est une association économique créée sur la base des terres, des biens et des capitaux. C'est ainsi que s'est formée une structure de gouvernance à trois axes.

« Table ronde » dans la salle de délibération

C'est dans la salle de délibération du village de Yonglian que la pratique de la démocratie à la base est arrivée chez les villageois. Toutes les affaires, grandes ou petites, y sont discutées.

Le 18 octobre 2013 vers 2 h de l'après-midi, une cinquantaine de personnes y ont formé un cercle pour tenir une « table ronde ». Ce type de réunion est très différent de celles tenues auparavant, où les cadres du village étaient assis à la tribune et les villageois les écoutaient depuis l'amphithéâtre.

Le sujet soumis à la discussion portait sur la maison démolie de la villageoise Zhou Lanfen et le relogement de celle-ci. La villageoise était présente ainsi que divers chargés de mission du comité des villageois et des représentants de l'ancien village de Yongnan. On comptait en outre une vingtaine de personnes invitées : des membres du Parti et des bénévoles de l'ancien village de Yongnan, ainsi que des personnels du quartier résidentiel.

« Beaucoup de gens ont avoué dans les discussions précédentes qu'ils avaient des difficultés avec le mandarin. Comme nous sommes tous du village, il a été décidé que nous parlerions notre dialecte. De cette façon, on peut dire plus franchement ce que l'on pense », dit Song Xingxiang, président de la coopérative économique. Sa proposition a été saluée par les participants.

« J'habitais dans le village de Yongnan, qui a été aujourd'hui fusionné avec le village de Yonglian. Mais quand notre village a été démoli et déplacé, je n'ai pas été indemnisée de mes deux logements. J'espère maintenant un règlement raisonnable de cette affaire », a demandé Zhou Lanfen.

« J'ai les documents qui prouvent que le hukou (statut de résident) de la villageoise a été transféré du village de Yongnan quand elle s'est remariée après le décès de son ex-mari. Et ses habitations ont été démolies avant la fusion du village. Elle n'est donc pas censée bénéficier du principe de relogement », a exposé Li Yongcheng, responsable des médiations civiles du comité des villageois de Yonglian, tout en affichant sur l'écran les copies des documents.

« En vertu de la Loi sur la gestion foncière, les terrains ruraux réservés à la construction de logements ne sont pas des biens réels. Ils se résument à des droits d'usage, tandis que le droit de propriété appartient à la collectivité. C'est pourquoi ils ne peuvent pas être commercialisés, ni hérités, en revanche on peut les transférer au sein de la collectivité. Une fois que le statut de résident est transféré, on ne peut plus bénéficier de terrains réservés à la construction de logements », a poursuivi Li Yongcheng. Les autres villageois étaient progressivement gagnés par son argumentaire.

« Les choses sont plus claires maintenant. Je pense que les représentants comprennent bien que Zhou Lanfen ne peut pas bénéficier d'indemnités dans ce cas de figure. Si des logements neufs lui sont attribués, où sera l'équité ? » conclut Song Xingxiang après deux heures de discussion.

« C'est la quatrième fois qu'une telle discussion est organisée parmi les villageois. D'abord, c'est le plaignant ou la plaignante qui présente sa demande. Après discussion et enquête, on décide s'il y a lieu ou non d'organiser une délibération », confie Song Xing-xiang au journaliste. Après la discussion dans la salle, les décisions du village sont mieux comprises et donc soutenues par les villageois, ce qui facilite aussi la mise en œuvre des décisions.

Création de la salle de délibération

L'idée de créer une salle de délibération est née des réflexions de Wu Dongcai sur la gouvernance du village.

En août 2010, de retour d'un voyage d'études en Allemagne, Wu Dongcai a décidé de construire une « salle de délibération villageoise ». Le village de Yonglian compte 10 000 habitants, et à chaque assemblée, les cadres du village parlaient à la tribune tandis que les villageois les écoutaient dans la salle. « Si les villageois pouvaient s'asseoir autour d'une table ronde comme dans les parlements étrangers et exprimer leurs opinions, cela permettrait de faire avancer l'autogestion des villages et aussi la démocratie dans les campagnes. »

La salle de délibération, construite avec un financement de 40 millions de yuans, comprend une tribune ronde de 16 places, 285 sièges, ainsi qu'un couloir dans lequel on peut suivre les débats par vidéo. Les discussions peuvent aussi être diffusées directement sur le grand écran de la façade.

La conception de la salle de délibération tient amplement compte de l'aspect humain. Cela se voit à ces détails : les micros sont placés entre deux sièges, ce qui permet aux personnes assises d'avoir juste à se dresser pour prendre la parole. La lucarne en verre de la salle illustre une expression chinoise imagée « ouvrir la lucarne pour parler dans la clarté ».

Yonglian dispose de 250 représentants pour seulement 10 000 habitants. Avant de promulguer de nouveaux règlements, de mettre en œuvre des projets ou de prendre des décisions concernant des affaires majeures, le village organise une concertation des membres du Parti et des représentants du village pour écouter les observations ; pour les questions économiques, politiques ou culturelles, des réunions des représentants se tiennent avant la prise de décision. L'élection du chef du village se fait par scrutin direct auprès des membres du Parti et des villageois. Parmi les 250 représentants, 35 forment un comité de discussion spécialisé dans la gestion des conflits interpersonnels.

« Par ces délibérations, de nombreuses questions ont pu être clarifiées, ce qui a fait progresser en même temps les droits démocratiques des villageois. C'est un bel exemple d'autogestion des villages », conclut Wu Huifang, secrétaire adjoint du comité du Parti pour le village de Yonglian.

Tout le monde est assis ensemble et peut s'exprimer, quelle que soit son ancienneté. Depuis la mise en service de cette salle de délibération innovante, les habitants se sentent plus concernés par la gouvernance publique du village.

« Les villageois, mieux informés, deviennent plus raisonnables. Ils discutent au lieu de se disputer comme autrefois. Le plus réjouissant, c'est qu'ils étudient de leur propre initiative les lois et les règlements avant de participer. Par conséquent, les discussions sont plus productives et aident à la prise de décision du gouvernement », explique Shi Huiqin, directrice du bureau des plaintes et des visites de la population du bourg de Nanfeng, qui a assisté à plusieurs reprises aux délibérations.

Une démocratie à la base « visible et tangible »

La construction et l'usage de la salle de délibération permettent de garantir le droit des villageois à l'information et à la délibération démocratique, de sorte que l'autogestion des villages et la démocratie à la base deviennent plus transparentes.

« Le village est à tout le monde. Pour satisfaire la majorité des villageois, il faut faire appel à la sagesse de tous les résidents », dit Wu Dongcai. Selon lui, la gouvernance d'un village moderne ne peut pas s'appuyer sur une ou quelques personnes, mais seulement sur l'autogestion des villages, la gouvernance publique ainsi que sur les forces sociales.

Ces dernières années, le village de Yonglian a établi des règles de délibération pour le comité du Parti comme pour les délibérations des villageois et la coopérative économique, tout en appliquant le mécanisme de la prise de décision démocratique marquée par l'étude et le vote collectifs. Dans le village de Yong-lian, l'assemblée des représentants des villageois se tient deux fois chaque année pour discuter et prendre des décisions sur des affaires importantes, par exemple, la répartition des recettes économiques collectives du village, la confirmation du statut du membre de la coopérative, les règles d'expropriation, le traitement des époux ou épouses des villageois, etc. Depuis 2005, les représentants du village ont voté une vingtaine de règlements ou conventions de village, dont la Décision sur les droit des individus qui se sont installés à Yong-lian après leur mariage. Pour renforcer la supervision démocratique, le comité des villageois a mis en place deux groupes pour le contrôle démocratique et la gestion financière. Les dernières informations pour chaque trimestre sont publiées sur le panneau d'affichage et le portail Internet du village.

Dans le village de Yonglian, des conférences sur la législation sont proposées chaque année pour développer les connaissances juridiques des villageois et ainsi améliorer leur capacité à participer à la gestion du village. Les villageois comprennent de mieux en mieux l'avantage qu'il y a à connaître la loi. « Nous n'avons pas besoin de forcer les villageois à venir apprendre. Ils viennent volontairement. Parfois, ils demandent que la prochaine formation porte sur telle ou telle loi », dit Liu Xuexiang, directeur du comité des villageois. Ces mesures ont permis une « alphabétisation juridique ». Avec une plus grande conscience de la démocratie et de la nécessité de préserver leurs droits, ils accroissent leurs compétences à participer à la gouvernance du village.

Le développement économique et la notion de gouvernance publique sont deux acquis supplémentaires pour le village de Yonglian, qui se dirige vers un nouveau modèle rural.

 

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