CHINAHOY

27-February-2015

La force du « droit souple »

 

Feng Zhiwei, directeur adjoint chargé des affaires juridiques, donne des consultations.

 

JIAO FENG, membre de la rédaction

Ces dernières années, la ville de Huizhou dans le Guangdong a pris de nouvelles mesures pour renforcer l'édification de la démocratie et de l'administration juridique à la base. Parmi ces mesures, on peut citer le rôle du directeur adjoint aux affaires juridiques mis au point en 2009 dans les comités des villageois et les comités des citadins. Les directeurs adjoints recrutés sont chargés de perfectionner la vie juridique et servent de conciliateurs en cas de litige. Après plusieurs années de pratique, ce système s'est révélé être un nouveau véhicule de diffusion des connaissances juridiques aux citoyens. Désormais, les gens engagés dans un différend préfèrent recourir aux comités mis en place au lieu de se quereller ou même d'en venir aux mains, comme c'était souvent le cas auparavant. Grâce à l'introduction de cette nouvelle fonction, un grand nombre de disputes ont été résolues de manière raisonnable. L'ordre juridique local en a été grandement amélioré.

Luo Haocai, professeur à l'université de Beijing et président de la Société chinoise d'études des droits de l'homme, considère que la méthode de Huizhou illustre de manière concrète l'idée de la gouvernance du pays guidée par le droit. « Les approches de Huizhou sont non seulement une pratique favorable à l'édification d'une société respectueuse de la loi et au progrès de l'administration sociale, mais aussi une expérience utile en ce qui concerne l'administration par le ''droit souple'' », a-t-il indiqué.

Un avantage donné aux échelons de base

La venue du directeur adjoint chargé des affaires juridiques du village étant annoncée, malgré la pluie battante, M. Huang, chef de groupe du village de Shanqian du bourg de Longhua, l'a attendu depuis le début de la matinée dans son bureau au Centre des traitements généraux du bourg. C'est au début de l'année dernière que ce monsieur de 43 ans a été élu chef de groupe par les villageois. Aussitôt entré en fonctions, il a eu à traiter deux problèmes : le premier concernait un contrat forfaitaire d'agriculture de montagne, qui n'avait pas précisé le droit de propriété sur les arbres de la montagne à l'expiration du contrat ; le second concernait un retard de plusieurs années sur le paiement des frais de prise en charge forfaitaire. Le directeur adjoint juridique étant un avocat du cabinet Zhuofan du Guangdong, M. Huang est venu le consulter sur les lois concernées.

Les directeurs adjoints des affaires juridiques sont recrutés par les comités des villageois et les comités des citadins, mais ne touchent aucune rémunération de la part des comités : leur indemnisation provient d'une subvention unifiée versée par le gouvernement de Huizhou. Leurs services sont gratuits : aider à réviser les règlements de village et les conventions entre habitants, examiner les contrats économiques des collectivités, diffuser des connaissances juridiques, fournir une assistance juridique, concilier les conflits et les litiges, et élever le niveau de l'administration de la loi aux échelons de base. Leur contrat stipule qu'ils ne participent pas à la gestion quotidienne des affaires des villages ou des quartiers, mais travaillent dans des bureaux au siège fixe, avec des numéros de téléphone ouverts au public. Leur présence dans ces bureaux ne peut être inférieure à 12 jours ouvrables par an ; le reste du temps, ils doivent assurer un contact téléphonique.

Actuellement, à Huizhou, on compte 919 bénévoles assumant les fonctions de « directeur adjoint juridique ». Parmi eux, des avocats professionnels, des juristes de base et des fonctionnaires appartenant à des organismes administratifs et juridiques. Ces personnes possèdent un diplôme en droit et une bonne expérience pratique, ce qui leur permet de jouer leur rôle de complément des cadres de villages (quartiers) qui manquent souvent de connaissances juridiques spécialisées. En outre, ils ne sont ni villageois, ni administrateurs de base. Ce statut neutre leur permet de garder une position indépendante dans les conciliations et de gagner plus facilement la confiance des parties en litige. Aujourd'hui, le système de « directeur adjoint juridique » couvre 1 249 villages (quartiers) de Huizhou.

Selon Yang Zejun, directeur du cabinet d'avocats Zhuofan et directeur adjoint des affaires juridiques de la zone des technologies de pointe de Zhongkai, avec le développement de l'économie rurale qui a suivi la réforme et l'ouverture de 1979, les revendications de droits et d'intérêts sont de plus en plus fréquentes, et par conséquent, les besoins en services juridiques ne cessent d'augmenter. Or, ce sont justement les campagnes, où les personnes sont souvent moins instruites et où les conditions de circulation et de diffusion de l'information sont plus difficiles, qui manquent le plus cruellement d'un service juridique de qualité. Le système dit de « directeur adjoint juridique » est fourni par le gouvernement aux échelons de base. On peut le considérer comme un avantage de bien-être social.

 

Des villageois du bourg de Longhua viennent consulter au centre des traitements généraux.

 

L'initiation des villageois à la conscience juridique

Depuis longtemps, les populations modestes, notamment dans les campagnes, ont l'habitude de recourir au gouvernement quand survient un litige. Confrontés à un différend, les villageois sont prompts à demander l'aide du comité des villageois, et en cas de conflit entre les villageois et le comité, ils n'hésitent pas à aller requérir l'arbitrage d'autorités supérieures : le canton ou le bourg. Si ces questions ne peuvent être résolues, la plainte est portée devant le gouvernement au niveau encore supérieur, et ainsi de suite. Les Règlements de la République populaire de Chine sur les plaintes sous forme de lettres ou visites précisent que les citoyens, les personnes morales ou les organisations ont le droit de procéder à des dénonciations ou des revendications, et d'avancer des propositions ou des opinions auprès des différents niveaux du gouvernement, lesquels doivent être traitées par les organismes administratifs concernés conformément à la loi. Ce système de plaintes écrites et de visites s'avère pour le gouvernement au niveau supérieur un moyen important de suivre l'évolution de l'opinion publique, alors que le désordre et le non-respect de la hiérarchie sont devenus des facteurs d'instabilité sociale et provoquent des troubles à l'ordre public.

Le 5 mars 2014, dans le village de Beidi du bourg de Longhua, un accident du travail a eu lieu lors des travaux de construction du poulailler par l'entrepreneur Fang pour le compte de M. Cai. Un employé de Fang, M. Bai, s'est grièvement blessé à la tête et a été envoyé à l'hôpital. Mais la famille du blessé n'a pu parvenir à un accord avec MM. Fang et Cai concernant la prise en charge des frais médicaux et le montant du dédommagement. Les parents du blessé ont déposé une plainte au gouvernement du niveau du district.

Comme le blessé était encore hospitalisé et avait un besoin urgent d'argent, Zhou Fulin, le directeur adjoint juridique du village, a réuni les trois parties à plusieurs reprises pour mener une conciliation. Il a cité les lois en vigueur pour faire comprendre à l'employeur et au propriétaire du poulailler que, étant donnée leur situation contractuelle avec le blessé, ils sont solidairement responsables, et que si le blessé était décédé à cause d'un retard des soins médicaux, les conséquences pénales à leur encontre auraient pu être sérieuses. Aux parents du blessé, il a proposé de déposer une plainte au tribunal. Finalement, MM. Fang et Cai ont accepté de régler les frais médicaux ; les parents de Bai ont abandonné leur plainte administrative et ont intenté une action en justice auprès du tribunal du district. En décembre 2014, la famille du blessé a obtenu 160 000 yuans de dédommagement.

M. Tan, du village de Yongping dans le bourg de Tonghu, possède une parcelle où il cultive des légumes. Le terrain voisin, propriété d'une autre famille, est planté d'eucalyptus. Comme ces arbres absorbent beaucoup d'eau et de nutriments du sol, et qu'en outre, les feuilles tombant à terre empoisonnent les autres plantes, M. Tan voit ses récoltes diminuer. Il est allé plusieurs fois se plaindre auprès du comité des villageois pour obtenir une solution, mais rien ne lui a été proposé, cela relevant de ses affaires personnelles. À sa demande, le fils Tan a abattu les eucalyptus du voisin, d'où le conflit entre les deux familles. Yang Zejun, directeur adjoint juridique du village, a réuni les deux parties et leur a expliqué les articles concernés de la Loi sur les droits réels : M. Tan a toujours planté des légumes sur son terrain, alors que le voisin a changé récemment de type de plantation. Pour cette raison, le droit de M. Tan à poursuivre sa culture a été confirmé, et les deux parties ont pu résoudre l'affaire assez rapidement.

« C'est un problème depuis toujours, a fait remarquer Yang. Les populations rurales ont une connaissance peu claire de leurs droits. Le service des directeurs adjoints juridiques joue bien un rôle d'initiateur. De meilleures connaissances juridiques permettent aux gens d'exercer leurs droits. Face aux problèmes, les directeurs adjoints sont là pour guider les villageois vers une solution raisonnable, ou du moins les aider à exprimer des réclamations conformes au droit, afin de résoudre les conflits dans les règles. C'est ainsi que l'administration des échelons de base progresse vers un état mieux ordonné. »

L'évolution vers le « droit souple »

À part la conciliation des conflits, un autre devoir important du directeur adjoint juridique est de servir de guide en matière d'affaires juridiques. En plus des cours du soir, certaines régions ont mis en place une plate-forme WeChat publique intitulée « Justice en main ». Les questions et réponses que l'on peut y lire se révèlent très utiles, et par l'intermédiaire de leur portable, des paysans peuvent trouver des informations en relation avec leur cas.

Selon Xu Xianghui, directeur adjoint chargé des affaires juridiques du bourg de Longhua, lui et ses collègues s'occupent plutôt de dissiper les conflits avant qu'un procès ne soit intenté. Dans le cadre de la loi, ils s'adaptent aux réalités des campagnes et savent persuader les parties opposées en adoptant une approche pragmatique, équitable et raisonnable. « Le tribunal ne peut pas tout régler, explique-t-il. Le plus important, c'est de former la pensée du droit chez les villageois et de persuader les parties intéressées en recourant au droit coutumier plutôt qu'aux articles de loi. »

« Ce système se base sur l'esprit du ''droit souple'', faisait plus appel à la négociation et moins à la contrainte », a-t-il ajouté.

Selon lui, ce droit souple s'oppose au droit strict, ce dernier étant le système juridique standard d'un pays dont l'application est assurée par la force contraignante de l'État. Le droit souple n'est pas coercitif. Il met l'accent sur l'égalité des parties, la négociation et le respect de l'expression de la volonté de chaque partie ; faisant abstraction de la force contraignante de l'État, il introduit d'autres modèles à sa place comme la contrainte sociale, l'encouragement et l'incitation.

Selon Yang Zejun, une meilleure compréhension du droit au niveau des populations oblige les gouvernements de base et les pouvoirs publics à mieux respecter la loi, et donc limite la marge de manœuvre des organismes administratifs. Par une société du droit, on entend que les pouvoirs publics ne peuvent entièrement adopter une attitude policière en comptant sur la force contraignante de l'État pour assurer l'application des lois, ce qui ne répond pas à la diversité de la société chinoise. Traditionnellement, la population chinoise déteste les procès. La culture traditionnelle du pays favorise la recherche de l'harmonie, la résolution à l'amiable des conflits et préconise la négociation dans l'administration sociale. C'est ce qu'on appelle « l'administration de droit souple ». Les gouvernements de base doivent se départir de la pensée policière et réformer la structure administrative rurale en s'appuyant sur cette approche souple.

 

La Chine au présent

Liens