CHINAHOY

22-January-2014

Mes relations avec la famille de Gaulle

 

Kong Quan et ses amis français, dont les petits-enfants de Charles de Gaulle, devant la résidence ancienne de ce dernier.

 

KONG QUAN*

Le 27 janvier 2014 marque le 50e anniversaire de l'établissement des relations diplomatiques entre la Chine et la France. Cet événement sera fêté en grande pompe à Beijing comme à Paris, ouvrant ainsi une série de festivités visant à célébrer le glorieux parcours de 50 ans de relations bilatérales.

En évoquant l'établissement des relations diplomatiques il y a 50 ans, la plupart des Chinois, comme la plupart des Français, pensent d'abord au général de Gaulle. À l'époque de la guerre froide, la tension entre les États-Unis et l'Union soviétique était vive, et l'OTAN et l'alliance du Pacte de Varsovie étaient en confrontation militaire sur le continent européen. La France, dirigée alors par le général Charles de Gaulle, avait une ligne politique différente des autres pays occidentaux : elle était alliée de l'OTAN mais menait parallèlement une politique étrangère indépendante en affirmant que le gouvernement français portait un jugement et prenait des décisions sur les questions internationales selon les intérêts propres du pays. C'est dans ce contexte que le général de Gaulle envoya un émissaire secret en Chine en 1963, en dépit de l'opposition de ses alliés occidentaux et même de plusieurs ministres au sein de son gouvernement. L'émissaire négocia avec le premier ministre du gouvernement chinois, Zhou Enlai, l'établissement de relations diplomatiques. Le 27 janvier 1964, la Chine et la France publièrent simultanément un communiqué annonçant l'établissement de relations diplomatiques. Trois jours plus tard, au palais présidentiel, le général de Gaulle expliqua, de sa voix haute avec son débit si caractéristique, pourquoi il avait personnellement décidé d'établir des relations diplomatiques avec la Chine nouvelle. Ses propos, tel le tonnerre printanier, secouèrent le monde entier. Deux grands hommes, Charles de Gaulle et Mao Zedong, deux pays à la civilisation ancienne, se rencontrèrent et s'engagèrent, main dans la main, sur un nouveau chemin.

De par ma fonction, j'ai eu des relations avec plusieurs membres de trois générations de la famille de Gaulle.

Le petit-fils du général de Gaulle, Jean de Gaulle, est le premier membre de la famille dont j'ai fait la connaissance. Il a hérité de la taille de son grand-père, mais son front plus rond que ce dernier, lui donnait l'air un peu moins militaire et plus intellectuel. À la fin des années 1990, lorsque je travaillais à l'ambassade de Chine en France, il était député de l'Assemblée nationale, mais aussi président du groupe interparlementaire d'amitié France-Chine. Il a souvent présidé des colloques sur la Chine à l'Assemblée nationale et rencontré des délégations chinoises. On peut dire qu'il est un homme politique remarquable de la troisième génération de la famille de Gaulle, et il a promu activement les relations sino-françaises. Au début de l'année 2008, quand j'ai pris mes fonctions en tant qu'ambassadeur de Chine en France, nous nous sommes embrassés comme deux vieux amis que nous sommes, et avons évoqué nos relations d'amitié. Il a toujours été attaché à renforcer l'amitié et la coopération entre les deux pays. Fin 2008 et début 2009, les relations sino-françaises ont connu un refroidissement, et j'ai ressenti la nécessité de réaffirmer le principe important régissant le développement des relations bilatérales à travers la célébration du 45e anniversaire de l'établissement des relations diplomatiques. Avec l'appui de Yang Wenchang, président de l'Institut de politique étrangère du peuple chinois, nous avons choisi dans les archives historiques 45 photos sur les échanges et la coopération entre les gouvernements et entre les peuples depuis l'établissement des relations diplomatiques. L'exposition de photos a eu lieu à l'ambassade. Sur mon invitation, Jean de Gaulle est venu avec plaisir à l'ambassade, et nous avons présidé ensemble l'événement, et prononcé des paroles pleines de confiance en l'avenir des relations bilatérales. Sa position ferme, à contre-courant du gouvernement d'alors, laissait voir une force de caractère digne de son aïeul. À l'issue de l'exposition, le vice-secrétaire général du ministère français des Affaires étrangères m'a dit qu'en tenant compte des difficultés rencontrées par les relations bilatérales, il avait cru que l'évènement de ce jour-là serait un « banquet de Hongmen », mais il sentait l'attachement des amis chinois à l'histoire des relations bilatérales et l'enthousiasme éternel des descendants de de Gaulle pour la Chine.

Le général de Gaulle a deux filles et un fils. Ce dernier, l'amiral Philippe de Gaulle, père de Jean de Gaulle, a tout hérité de son père : l'apparence, la taille, l'esprit, l'opinion politique, mais aussi le respect de la Chine et l'amitié du peuple chinois, ainsi que les préoccupations et les attentes de la coopération amicale franco-chinoise.

Après avoir pris sa retraite des forces navales, Philippe de Gaulle s'est engagé en politique et a été élu sénateur, avec l'idéal de propager l'essence du gaullisme. Quand j'ai commencé à travailler à l'ambassade de Chine en France, j'ai eu des relations avec lui. Admirant sa conduite, j'ai noué une amitié profonde avec lui. Dix ans plus tard, âgé de 88 ans, il a assisté aux festivités et m'a félicité pour ma prise de nouvelles fonctions. Lui et sa femme vivaient retirés, mais prêtaient toujours attention aux relations bilatérales et à mon travail en France. À l'occasion du 48e anniversaire de l'établissement des relations sino-françaises, je suis allé rendre hommage au général de Gaulle en me rendant dans sa maison natale. Le lendemain, il me fit envoyer spécialement une lettre manuscrite de remerciements. D'une écriture un peu tremblante mais bien distincte, on pouvait lire : « Mon cher ami, tu es personnellement allé, accompagné par le préfet du département, à la maison natale de feu mon père, à Lille, pour exprimer la mémoire du peuple chinois pour le passé, il y a 48 ans, ce qui émeut profondément le peuple français ainsi que tous les membres de la famille de Gaulle, moi y compris». À l'occasion du 49e anniversaire de l'établissement de relations diplomatiques, quand je suis allé déposer des fleurs devant la statue du grand homme, au Mémorial Charles de Gaulle, il a chargé son fils de m'apporter un grand album compilé par lui-même, et intitulé Mon Père. Sur la page de garde, il avait écrit : « en tant que ton vieil ami, je voudrais présenter mes plus grands respects à l'envoyé diplomatique du peuple chinois, je te remercie de tout ce que tu as fait pour la coopération franco-chinoise depuis de nombreuses années ».

Philippe de Gaulle, né en 1921, avait suivi son père dans la guerre contre l'Allemagne nazie. Son service dans l'armée pendant cinq ans a forgé son caractère. En août 1944, il participa à la libération de Paris, et avait été envoyé négocier, seul, dans le bâtiment de l'Assemblée nationale, la reddition des troupes allemandes. Après la guerre, il ne reçut pas, comme ses compagnons, la Médaille de la Résistance décernée par le général de Gaulle car son père, exigeant la perfection, ne voulait qu'aucune accusation de népotisme ne vienne ternir sa gloire. Mais en tant que fils du général de Gaulle, il était respecté, et son dévouement et son intégrité étaient largement appréciés par le peuple.

En écrivant ceci, je relève ma tête et regarde vers l'ouest. Je voudrais adresser mes salutations chaleureuses et mes vœux à l'amiral Philippe de Gaulle, ami éternel du peuple chinois, qui fêtera sous peu son 93e anniversaire !

Yves de Gaulle est le deuxième fils de Philippe de Gaulle et le frère de Jean de Gaulle. Il a un front aussi large que son grand-père, et possède la grande taille typique de la famille de Gaulle, il est facilement reconnaissable au milieu de la foule. Il est énarque et est mon ancien camarade de l'école. Nous avons donc eu de bonnes relations. Avec l'esprit de la famille de Gaulle qui vise à privilégier le service pour l'État, après avoir été diplômé de l'École nationale d'administration, il a intégré le ministère des Finances et a longtemps été responsable de la politique financière publique. Il a ensuite rejoint le groupe GDF Suez pour y exercer les fonctions de secrétaire général. Il a activement promu le développement des nouvelles énergies vertes dans le domaine du développement durable. Il a concrétisé de nombreuses réalisations et était tourné vers une plus grande coopération avec la Chine dans ce secteur novateur.

Pour célébrer le 49e anniversaire de l'établissement de relations diplomatiques, je me suis préparé à aller à Colombey-les-Deux-Églises le 28 janvier 2013, à 260 km de Paris, là où le général de Gaulle avait vécu et est enterré. Apprenant cette nouvelle, le couple Yves de Gaulle m'a immédiatement contacté et a exprimé le souhait de m'accompagner.

Je suis arrivé dans ce bourg en voiture, il y avait un vent glacial et de la pluie neigeuse. Le couple Yves de Gaulle, Bernard Accoyer, ancien président de l'Assemblée nationale, Jean-Pierre Chevènement, ancien ministre de la Défense, et beaucoup d'autres responsables politiques et militaires locaux, y étaient déjà arrivés depuis longtemps. Le Monde a publié le lendemain un reportage soulignant particulièrement que « l'Ambassadeur de Chine en pèlerinage à la maison familiale de Charles de Gaulle, dans un bourg lointain, est une première pour un diplomate étranger ».

Nous avons déposé ensemble des bouquets de fleurs sur la modeste tombe du général de Gaulle dans le cimetière calme du village, puis observé une minute de silence devant la Croix de Lorraine, un emblème de la Résistance française. Enfin, nous nous sommes promenés dans le salon et la bibliothèque du général. Devant une Citroën noire avec des impacts de balles dans le hall du Mémorial, il a décrit en détail l'attaque armée dont son grand-père et sa grand-mère avaient été victimes le 22 août 1962. Quatorze des 187 cartouches tirées avaient touché la voiture roulant à grande vitesse, et deux étaient passées à seulement 30 cm des têtes du couple de Gaulle ! « Ce groupe d'imbéciles, ne savait même pas utiliser des armes à feu », a dit Yves de Gaulle en imitant le ton de son grand-père. Cela montrait bien les sentiments héroïques d'un grand homme face à l'épreuve de la mort.

Mon déplacement a grandement attiré l'attention des médias français et beaucoup de journalistes sont venus sur les lieux. Un journal local a titré le lendemain « L'Ambassadeur de Chine, fidèle à la mémoire de Gaulle, demande quel genre de plats le général aimait ». L'article, très court, visait évidemment à attirer l'attention des lecteurs, mais d'un autre côté, il démontrait ma curiosité pour tous les détails de la vie du général. J'ai posé, dans la salle à manger, la question « quel genre de plats aimait-il ? » au guide. La réponse fut que le général aimait les plats du nord de la France, et que le vieux couple conversait peu en mangeant. Dans la bibliothèque du général, pleine de livres, j'ai appris du guide que le général préférait lire les classiques littéraires et historiques d'Europe et les biographies. J'ai bien cherché, mais je n'ai pas trouvé de livre sur la Chine. Mais cela n'a pas empêché le général de bien connaître ce qu'il se passait dans la lointaine Chine. Selon le guide, le général détestait les appels téléphoniques. Pour ne pas être dérangé, le général avait placé le seul téléphone dans un petit cagibi sous l'escalier. Je suis allé dedans, et j'ai essayé de m'y retourner. Je ne peux pas imaginer comment le général, avec sa grande taille, avait pu répondre à des appels téléphoniques de façon confortable… « C'était le meilleur endroit pour une partie de cache-cache », a dit Yves de Gaulle à mes côtés.

Entre Chinois, on dit souvent que les personnes âgées sont plus intimes avec les jeunes générations. C'est pareil en France. Le général de Gaulle a laissé derrière lui beaucoup de photos très sympathiques de lui avec ses petits-enfants. Sur une d'entre ces photos, ses quatre petits-enfants alignés font un salut militaire. Leurs poses enfantines et leurs habits d'enfants font ressortir l'amour et l'admiration profonde qu'ils avaient pour leur grand-père.

Quand le général de Gaulle est décédé, en 1970, les membres de sa quatrième génération n'avaient pas encore vu le jour. Mais le temps passe vite, et maintenant beaucoup de ses arrière-petits-enfants sont adultes. Il est regrettable que je n'aie pratiquement pas eu de relations avec eux pendant les années de mon séjour en France. J'ai seulement rencontré, par hasard, un grand jeune homme dans un banquet de famille donné par un ami banquier. Son apparence ne m'a pas immédiatement rappelé la famille de Gaulle. C'est lors de la conversation qu'il s'est présenté comme arrière-petit-fils du général. Il est cadre supérieur dans le groupe financier Rothschild. Il m'a dit que pour des raisons professionnelles, il avait visité à plusieurs reprises Hong Kong et Shanghai et qu'il avait beaucoup de plans pour l'augmentation des opérations en Chine. Je me suis demandé ce que penserait le général s'il savait que ses descendants occupaient des postes prestigieux dans le domaine de la finance internationale.

Autant que je sache, la famille de Gaulle n'a pas beaucoup de branches en France. Si l'on rencontre des Français s'appelant de Gaulle, ils sont plus ou moins parents avec le général de Gaulle, connu et respecté par le peuple chinois.

*KONG QUAN est l'ancien ambassadeur de Chine en France.

 

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