CHINAHOY

2-December-2016

Sur la Route des Vins du Ningxia

 

Le 25 septembre 2015, des ouvriers font le premier tri des raisins dans un atelier vinicole à Yinchuan, dans le Ningxia.

 

 

JACQUES FOURRIER*

 

Si chaque région viticole de France possède sa Route des Vins, la Chine peut désormais s'enorgueillir d'offrir une telle fenêtre aux touristes et amateurs du monde entier dans le Ningxia.

 

C'est l'une des plus petites provinces de Chine : le Ningxia était il y a peu une région désolée et pauvre, traversée par le fleuve Jaune qui y effectue une grande boucle avant de pénétrer dans les plaines centrales, le berceau de la civilisation chinoise. C'était sans compter sur la détermination du gouvernement chinois de favoriser les régions du nord-ouest de la Chine afin de rééquilibrer le développement économique du pays. En 10 ans, le Ningxia s'est radicalement transformé. Son chef-lieu, Yinchuan, est désormais une grande agglomération moderne à visage humain. La région autonome hui du Ningxia –c'est sa dénomination administrative– abrite la plus grande communauté musulmane de Chine. Elle attire maintenant entrepreneurs et jeunes diplômés de tout le pays qui veulent profiter des opportunités innombrables de développement notamment dans les énergies nouvelles et l'agriculture durable, mais aussi des débouchés qu'offre cette plate-forme unique avec le monde islamique.

 

Mais le Ningxia, c'est aussi un lieu profondément ancré dans l'histoire de la Chine. La dynastie des Xia occidentaux (1032-1227) reste entourée de mystères, ne serait-ce que par son écriture et ses alignements de tumuli dans sa nécropole entourée de paysages désertiques. La culture bouddhique y est aussi présente et les sites abondent, notamment les 108 stupas de Qingtongxia.

 

Le Ningxia cache cependant en son sein un autre trésor, qui pourrait lui donner la notoriété internationale qu'il mérite : l'or rouge. Entre les monts Helan, à cheval entre le Ningxia et la région autonome de Mongolie intérieure, et le Fleuve Jaune se trouvent des terroirs que certains comparent au Bordelais ou à Napa Valley en Californie, avec une succession de microclimats et un sol riche en sédiments. Si la viticulture y est pratiquée depuis le début des années 1980 par l'entreprise d'État Xixia King avec un cabernet sauvignon et un chardonnay plusieurs fois primés, il aura fallu attendre le milieu des années 2000 pour que fleurissent les exploitations agricoles.

 

Un silo de céréales dans les monts Helan converti en cave à vin rouge.

 

Ruée vers l'or rouge

 

On ne peut manquer d'être frappé par la rapidité du développement de la viticulture dans la région. Comme souvent en Chine, tout est né d'une vision qui s'est matérialisée grâce au soutien du gouvernement central et des autorités locales. Il fallait en effet faire d'une pierre deux coups en combinant le programme d'éradication de la pauvreté et de développement dans le nord-ouest de la Chine, et donner une image de marque à une région que peu de Chinois pouvaient situer sur la carte. C'est le vin qui allait jouer ce rôle. Si des régions viticoles existent depuis la fin du XIXe siècle en Chine, notamment dans la province du Shandong, le vin n'a pu trouver sa place sur les tables des Chinois qu'avec l'émergence d'une classe moyenne, urbaine et éduquée à partir des années 2000. « Et encore, il s'agit des vins étrangers. Tous les Chinois ont entendu parler de Château Lafite ou de Château Latour, mais peu savent que nous faisons un grand vin ici », explique Liu Pengtu, directeur général de Château Yuhuang.

 

Le potentiel de production et de consommation de vin est énorme : entre 5 et 10 % des vignes en Chine sont affectées au vin, mais le marché ne cesse de progresser, les plus jeunes se tournant principalement vers le vin au détriment du baijiu, une eau de vie à base de sorgho traditionnellement consommée en Chine. « On constate surtout la transformation des habitudes de consommation dans le sud de la Chine », précise Feng Jianjun, directeur adjoint de l'Administration de développement du secteur viticole du Ningxia.

 

Dans les années 2000, la fièvre de la viticulture a commencé à gagner le Ningxia. Emma Gao, du domaine Silver Heights, tout comme Wang Fang, du domaine Kanaan, viennent d'une famille de viticulteurs. Emma Gao a étudié l'œnologie à Bordeaux avant de reprendre les rênes de l'exploitation familiale, non sans avoir au préalable épousé Thierry Courtade, maître de chai dans des domaines prestigieux à Saint-Estèphe. Ensemble, ils produisent un vin rare et salué par la critique internationale.

 

Wang Fang vient aussi d'une famille de viticulteurs, mais c'est sur le tard qu'elle a décidé de se lancer dans le riesling. « J'ai vécu en Allemagne pendant plus de dix ans et j'adorais le riesling. Je ne connaissais rien du vin. Tout ce que je savais faire, c'était l'apprécier », dit-elle en riant. À 44 ans, elle a connu tous les écueils, du givre à la destruction d'une partie de sa cave. Elle est aujourd'hui satisfaite du chemin parcouru et de la reconnaissance des milieux de l'œnologie chinois et internationaux.

 

Les investisseurs et les grands groupes se sont rapidement engouffrés dans cette niche, attirés par les politiques préférentielles et des terres bon marché, mais surtout par le prestige que confèrent les grands vins et les grands domaines. En quelques années, des copies de châteaux de la Loire se sont multipliées au pied des monts Helan. Ces bâtisses apparaissent au détour d'un chemin et renforcent l'impression de grandeur associée au vin en Chine. « Pour obtenir l'appellation de château, les exploitants ont investi massivement, jusque dans la mise en bouteille », explique Matt Van Der Spuy, œnologue-consultant au Château Luoshan. Un investissement qui peut paraître excessif compte tenu de la production limitée.

 

On compte actuellement plus de 200 exploitations viticoles toutes tailles confondues dans la région, allant de quelques dizaines d'hectares pour les plus discrètes à plusieurs dizaines de milliers d'hectares, comme le Château Yunmo appartenant au groupe COFCO.

 

Le château Changyu Moser XV est révélateur des ambitions des grands groupes. Avec un investissement initial de 5,8 milliards de yuans (plus de 850 millions de dollars), le groupe Changyu exploite 4 000 hectares à quelques dizaines de kilomètres de Yinchuan. La propriété avec son majestueux château s'étend sur plus de 80 hectares. Un lieu idéal pour les sorties du dimanche et les photos de mariage pour les citadins. Son directeur, Ruan Shili, explique que le groupe a investi à la fois dans le vin et le tourisme. « Nous sommes distribués par Berry Brothers and Rudd, le plus ancien marchand de vins et de spiritueux du Royaume-Uni et nos vins sont servis lors des plus grandes occasions officielles », précise-t-il. Pour renforcer sa présence dans le vin haut de gamme et profiter des synergies dans le secteur, Changyu a aussi acheté un château dans le Bordelais.

 

Les grandes fortunes de l'immobilier, de l'énergie ou des produits de grande consommation voient aussi dans le vin une occasion d'accéder à une aristocratie terrienne de prestige. Ainsi He Xiangjian, une des plus grandes fortunes de Chine et ancien président du conseil d'administration du groupe Midea, spécialisé dans l'électroménager, a participé au financement du domaine Château Mihope. Le montant total investi atteint les 200 millions de yuans (près de 30 millions de dollars). Le château style Renaissance a été construit en moins d'un an et abrite une chaîne de production ultramoderne importée de France et d'Italie. L'exploitation s'étend sur 120 hectares et le millésime 2015, le premier, affiche déjà des récompenses.

 

Entrée réussie dans la cour des grands

 

Si le landernau des experts internationaux recommande les vins du Ningxia, la notoriété est encore loin d'avoir dépassé les frontières de la région. Des obstacles de taille restent en effet à surmonter. Ils sont principalement intrinsèques, liés aux préjugés à l'égard des produits chinois, aux prix pratiqués et à une exposition limitée à l'international. La concurrence est par ailleurs telle qu'il est nécessaire de se positionner en termes de gamme et de prix pour espérer percer. Un repositionnement marketing est d'ailleurs actuellement à l'œuvre. « La viticulture n'a longtemps été qu'une vitrine pour le tourisme, précise Matt Van Der Spuy. Les autorités ont longtemps soutenu le secteur du tourisme et de l'événementiel, et le vin était accessoire. Mais cela commence à changer. » Le prix des bouteilles baisse et maintenant, pour 120 yuans environ (moins de 20 dollars), il est possible d'avoir un excellent cru.

 

Pendant plusieurs années, les domaines viticoles ont perfectionné les méthodes de sélection des pieds de vigne et du raisin, ainsi que les techniques de vinification pour parvenir à mettre en bouteille des vins dont la réputation a fait le tour du monde, principalement du cabernet et du merlot. « Le plus important jusqu'à présent était d'obtenir des médailles d'or et des titres dans les concours internationaux », souligne Matt Van Der Spuy. Des trophées prestigieux et des certificats qui trônent à l'entrée des domaines comme autant de preuves de la reconnaissance du travail des viticulteurs du Ningxia. Wang Fang est ainsi fière du titre que lui a attribué la célèbre revue Decanter. « Mon cabernet a été salué par les trois plus grands experts mondiaux, à savoir Jancis Robinson, Bernard Burtschy et Ian D'Agata. Au bout de trois ans d'activité, c'est incroyable », confie-t-elle avec émotion en montrant son titre du Decanter.

 

D'autres, comme Liu Pengtu, estiment qu'il faut rendre aux vins des monts Helan leur spécificité chinoise. « Il faut absolument faire ressortir les caractéristiques du terroir chinois. Les étrangers aiment les vins chinois, c'est la réalité. Ce n'est pas la peine de vouloir copier l'Europe, car en l'imitant, il est très difficile de restituer quelque chose d'authentique », dit avec une fougue non dissimulée ce vigneron qui travaille depuis plus de 20 ans dans la région. Et il met en pratique ses convictions : son domaine est unique car il ne cherche pas à imiter ou à vouloir donner une saveur exotique à ses vins. Au contraire, il a voulu que son domaine et ses produits conservent un caractère authentiquement chinois en faisant ressortir les particularités historiques et culturelles de son terroir et du fleuve Jaune. Il fait un vin qu'il aime avant tout boire, et qu'il souhaite d'abord partager, et non pas écouler dans les magasins. « Il y a tant de bons vins ici. Qu'est-ce qui fait la différence, si ce n'est l'authenticité, la culture qu'il contient et véhicule », conclut-il.

 

« Faire du vin, ce n'est pas difficile, lance Wang Fang sur le ton de la plaisanterie. On en bave les 300 premières années. » Les vins des monts Helan doivent davantage s'enraciner dans les terroirs, mûrir et vieillir avant de pouvoir prétendre à une reconnaissance vraiment méritée, celle du consommateur final. Quand les touristes prendront la Route des Vins du Ningxia pour déguster et acheter les produits du terroir, quand elle servira de carte de visite nationale et internationale à l'économie locale, tous les efforts de ces passionnés de l'or rouge seront alors récompensés. « Nous devons vendre nos vins, nous devons trouver des débouchés. C'est la seule façon d'être véritablement reconnus », conclut Liu Pengtu.

 

 

*JACQUES FOURRIER est un journaliste français pour Beijing Review.

 

 

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