CHINAHOY

5-September-2016

L’importance du renforcement des groupes à revenu intermédiaire

 

Le stand des voitures françaises au 14e Salon international de l'automobile de Beijing. (YU JIE)

 

JOHN ROSS*

Ces derniers mois, les dirigeants chinois au plus haut niveau ont explicitement porté leur attention sur la question de la réduction des inégalités sociales, et en particulier sur l'augmentation de la proportion de la population classée dans la catégorie des « revenus moyens ». Déjà en 2014, dans le Quotidien du Peuple, le président Xi Jinping avait abordé cette question globale sans ambages : « Nous voulons élargir continuellement le gâteau, tout en veillant à le partager correctement. » Le 16 mai dernier, le Groupe dirigeant central des affaires financières et économiques, dirigé par Xi Jinping, a officiellement placé la question de l'élargissement des groupes à revenu intermédiaire à son ordre du jour. Les hauts dirigeants du pays ont donc commencé à se pencher directement sur une question qui, comme les faits suivants le montrent, se pose déjà depuis plusieurs décennies.

Lors de la réunion du groupe dirigeant central, Xi Jinping a souligné l'importance d'élargir les groupes à revenu moyen, ainsi que la relation entre ce projet et l'objectif de construction d'une société de moyenne aisance. Il a affirmé que cette expansion est une condition nécessaire pour maintenir la stabilité en Chine. Pour atteindre cet objectif, il est nécessaire d'améliorer le système de distribution des revenus, de s'en tenir au principe de revenu déterminé en fonction du travail, et de renforcer le capital humain en mettant l'accent sur la qualité de l'éducation et la construction d'un système de formation professionnelle moderne.

En ce qui concerne les données factuelles qui motivent cette attention, les études concernant les dernières décennies en Chine montrent une forte augmentation des inégalités. Il y a quelques mois, en analysant les conséquences de cette tendance, l'éminent économiste de l'université Tsinghua Chang Xiuze a estimé que les riches représentaient 10 % de la population en Chine, tandis que le nombre de pauvres et d'individus à revenu bas représentait 60 %. Les groupes à revenu moyen, généralement considérés comme ayant un revenu mensuel compris entre 5 000 yuans (750 dollars) et 10 000 yuans (1 500 dollars), constituaient seulement 30 % de la population.

De telles disparités, qui s'ajoutent à d'autres facteurs sociaux plus larges analysés ci-dessous, affectent nécessairement la structure du développement du marché de la consommation. La proportion relativement faible de la population chinoise dans les groupes à revenu moyen signifie que la demande de produits de luxe continue, mais ceux-ci sont en grande partie produits à l'étranger. Les marchés de produits de base pour les personnes à faible revenu sont également soutenus. Mais les marchés de produits clés des classes moyennes (biens d'équipement ménager de haute qualité, aliments et restaurants de qualité, loisirs, voitures, etc.) sont limités. Ces secteurs sont pourtant cruciaux pour que la Chine développe des entreprises à productivité plus élevée. Par conséquent, cette distorsion du marché de la consommation a des conséquences négatives importantes sur la politique macroéconomique du pays.

Cette inégalité globale en Chine est clairement visible dans la norme internationale utilisée pour mesurer le degré d'inégalité, le coefficient de Gini. Ce dernier est un chiffre allant de 0 à 1, zéro indiquant une égalité complète (tout individu ou ménage recevant le même revenu) et 1 signifiant une inégalité totale (le revenu total de la société est reçu par une personne ou un ménage). Les analyses de la Banque mondiale estiment qu'un résultat supérieur à 0,40 représente une inégalité importante.

Les estimations des inégalités en Chine diffèrent, mais toutes montrent des niveaux élevés qui dépassent le niveau critique de 0,40. Un rapport de l'université de Beijing publié récemment estimait le coefficient de Gini en Chine à 0,49 en 2012, contre environ 0,3 dans les années 1980. Cela est le troisième coefficient le plus élevé parmi les 25 pays les plus peuplés.

Sur le plan international, l'étude De plus en plus (in)égal : politique fiscale et inégalité des revenus en Chine et dans les BRIC +, publiée en 2015 par le FMI, conclut que « l'inégalité des revenus [en Chine] – telle que mesurée par le coefficient de Gini sur les revenus bruts – montre une tendance à l'augmentation, en passant de 0,28 en 1980, à 0,44 en 2000, et à 0,52 en 2013 ».

Les données officielles montrent des chiffres un peu moins extrêmes. Le Bureau national des statistiques de Chine a indiqué en 2015 que le coefficient de Gini a légèrement baissé, passant à 0,47 en 2014 après un niveau de 0,48 en 2011. Mais cela reste au-dessus du plafond de 0,40 qui indique de fortes inégalités. Par conséquent, il ne fait aucun doute que l'inégalité des revenus en Chine s'est creusée de manière significative au cours des dernières décennies.

Les comparaisons internationales montrent clairement que les tendances d'inégalité croissante ont un effet négatif sur la stabilité économique, sociale et politique, ainsi que sur la croissance durable. De plus en plus de grands pays ont vu la question de l'inégalité économique devenir une source de préoccupation, en particulier depuis la crise financière internationale de 2008. Au cours de la décennie qui vient de s'écouler, ces effets se sont manifestés dans un nombre croissant de sphères économiques, sociales et politiques.

En 2011, le mouvement américain Occupy Wall Street est apparu. Il a attiré l'attention du monde entier en popularisant rapidement les expressions « un pour cent » pour désigner les grandes fortunes, et « 99 % » en référence à la grande majorité de la population. Dans un premier temps, de tels mouvements étaient principalement animés par de jeunes Américains militants, mais ils ont préfiguré des changements majeurs dans le monde politique américain. L'ampleur de cette tendance a été révélée lors des élections primaires présidentielles américaines de 2016.

La perception générale de la polarisation sociale a fortement augmenté aux États-Unis. Les sondages d'opinion montrent que le pourcentage de la population américaine se définissant comme appartenant à la classe moyenne est tombé de 63 % en 2001 à 51 % en 2015, tandis que sur la même période, la proportion se définissant comme appartenant à la classe populaire est passée de 33 % à 48 %. Dans d'autres pays comme la Grande-Bretagne, l'idée de « classe moyenne sous pression » est devenue une notion communément admise, avec l'idée que les classes à revenu intermédiaire se sont réduites en taille, au fur et à mesure que la richesse est devenue de plus en plus concentrée parmi les plus aisés, tandis qu'un nombre croissant de personnes touchait des revenus insuffisants pour vivre.

En 2013, le livre Le Capital au XXIe siècle de l'économiste français Thomas Piketty, un ouvrage d'analyse statistique de l'inégalité qui dans d'autres circonstances aurait seulement fait parler de lui dans les milieux universitaires, est devenu un best-seller mondial.

De toute évidence, les événements survenus durant les primaires du Parti républicain aux États-Unis étaient liés à ces tendances sociales. Les primaires ont entièrement échappé au contrôle des dirigeants traditionnels du parti, qui mettaient en avant leurs candidats préférés comme Jeb Bush et Marco Rubio, alors que l'investiture a été acquise par le populiste de droite Donald Trump. Au même moment, Bernie Sanders a gagné pour la première fois un fort soutien au sein du Parti démocrate en s'autoproclamant socialiste, un qualificatif qui n'avait plus rallié les foules depuis 1920 aux États-Unis.

Ces tendances qui indiquent une augmentation de l'instabilité sociale et politique ont donné lieu à des recherches sur les conséquences économiques de l'inégalité. Les études sur ce thème existent depuis longtemps, mais elles étaient vues comme réservées aux penseurs « de gauche ». Cette perception a fortement changé suite aux études menées par des institutions économiques orthodoxes et conservatrices telles que le FMI, qui a produit des rapports dont les conclusions sont claires dès le titre : Inégalité et croissance non durable : deux éléments indissociables ? ou encore De plus en plus (in)égal : politique fiscale et inégalité des revenus en Chine et dans les BRIC +.

Les résultats statistiques de ces études menées par le FMI et d'autres organisations sont clairs et frappants. Une répartition des revenus plus égale est corrélée à de longues périodes de croissance économique, tandis qu'une plus grande inégalité raccourcit les périodes de croissance. Comme l'a constaté dans le FMI Inégalité et croissance non durable : deux éléments indissociables ?, « une baisse de 10 points de pourcentage de l'inégalité, qui correspond au genre d'amélioration qu'un certain nombre de pays ont connu au cours de leur période de forte croissance, augmente la durée prévue de la croissance de 50 % ». En effet, les études montrent que l'inégalité est l'un des premiers facteurs qui expliquent la moindre durée des périodes de croissance.

La décision explicite des dirigeants chinois de se concentrer sur la réduction des inégalités économiques en augmentant le pourcentage de la population appartenant à la catégorie des « revenus moyens » est donc nécessaire et extrêmement opportune à la lumière des besoins économiques de la Chine, ainsi que des études et de l'expérience du monde entier.

 

*JOHN ROSS est chercheur à l'Institut d'études financières Chongyang relevant de l'université Renmin à Beijing. Il a été responsable de la politique économique et commerciale au sein de l'Administration du maire Ken Livingstone à Londres.

 

 

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