CHINAHOY

2-December-2016

Le succès de la « réforme du côté de l’offre » chinoise

 

Le 12 juin 2016, le Forum de Lujiazui s'est tenu à Shanghai. Les participants chinois et étrangers ont discuté de divers sujets autour du thème « Les défis de la croissance économique mondiale et la réforme financière », dont la réforme du côté de l'offre, les perspectives de croissance économique mondiale et la coordination des macro-politiques.

 

 

JOHN ROSS*

 

Alors que se rapproche la fin de l'année 2016, il est temps de comparer les résultats des deux approches fondamentales adoptées par les principales puissances économiques pour contrecarrer les tendances négatives que l'on observe dans la conjoncture internationale depuis la crise financière internationale. Ces deux approches fondamentales sont d'une part la « politique de l'offre » chinoise et la « politique de la demande » du G7, laquelle a principalement consisté en des politiques de relance monétaire du type quantitative easing que l'on traduit souvent comme l'« assouplissement quantitatif ».

 

Les statistiques de l'économie mondiale confirment le succès de la réponse chinoise, en particulier si on la compare à celle de l'Occident. Un succès de l'approche par l'offre qui n'est pas simplement « pragmatique » mais qui découle aussi de certaines questions fondamentales de la théorie économique. L'approche dite du « côté de l'offre » développe l'argument souligné par Xi Jinping selon lequel la Chine a l'intention d'employer pour son développement économique aussi bien la « main invisible » que la « main visible ». Dans le cadre général d'une économie de marché socialiste, la Chine est capable d'employer la « main visible » pour fermer des capacités de production excédentaires, développer les approvisionnements et les infrastructures, lesquels contribuent au développement du marché et à la division du travail, mais aussi d'entreprendre une politique d'investissement de nature à stimuler la croissance et un développement industriel équilibré d'un point de vue régional.

 

En dernière analyse, la réponse chinoise à la crise financière internationale a été plus adaptée que celle des pays occidentaux, démontrant de manière pratique la supériorité d'un système socialiste sur un système purement capitaliste. Au contraire, l'incohérence de la politique économique actuelle des pays occidentaux est illustrée par leur obstination à présenter Keynes comme un économiste purement « de la demande », ce qui est la déformation de la vision de Keynes lui-même.

 

Rappelons d'abord rapidement les faits représentatifs des tendances observables dans les principales puissances économiques occidentales, puis examinons les raisons qui font que la réponse chinoise « axée sur l'offre » a été plus efficace que l'approche « axée sur la demande » des pays occidentaux.

 

L'économie mondiale

 

Si l'on se penche d'abord sur le contexte international, on peut constater que les tendances négatives de la conjoncture internationale sont présentes depuis la crise financière internationale. Ainsi qu'il ressort du graphique 1, la croissance économique mondiale, qui a retrouvé en gros dès 2010 son niveau de croissance d'avant la crise, s'est depuis considérablement ralentie. La croissance économique mondiale est tombée de 5,4 % en 2010 à 3,1 % en 2016, selon les dernières estimations du FMI.

 

Le graphique 2 montre de façon plus détaillée les récents développements observés dans les principaux centres de l'économie mondiale : États-Unis, Chine, UE et Japon entre début 2015 et le second trimestre 2016.

 

La récession au Japon a fait place à une croissance très faible de 0,8 %. Le taux annuel de croissance de l'UE est tombé d'une valeur déjà très faible de 2,1 % à 1,8 %. L'économie américaine, qui de son côté affichait le meilleur rétablissement parmi les pays occidentaux, a enregistré une forte rechute, passant entre 2015 et 2016 d'un taux de 3,3 % à 1,2 % seulement.

 

Le taux de la croissance chinoise continue de se situer largement au-dessus de celui des principaux centres économiques occidentaux. La croissance de 6,7 % enregistrée en Chine au second trimestre 2016 représentait cinq fois le taux américain. Contrairement aux États-Unis, le taux de croissance annuelle chinois ne s'est réduit que marginalement, passant de 7,0 % à 6,7 %.

 

La croissance économique chinoise a donc été la plus robuste sur l'ensemble de la période débutant avec la crise financière, avec un taux cumulé de 2007 à 2015 atteignant 93 %, à comparer avec les 10 % seulement enregistrés aux États-Unis, une tendance qui se prolonge sur la période la plus récente.

 

Réponses « de l'offre » et « de la demande »

 

Si l'on essaie maintenant d'expliquer les raisons de ces tendances observées mondialement, la différence d'approche entre la Chine avec sa politique de l'offre et l'Occident avec sa politique de la demande apparaît clairement.

 

Le principal outil politique employé par tous les pays occidentaux pour chercher à contrer les conséquences de la crise financière internationale a été une politique monétaire basée sur un assouplissement quantitatif. L'objectif de cet assouplissement massif des actifs, particulièrement par le rachat d'obligations par les banques centrales, a été d'abaisser les taux d'intérêt.

 

Cette politique d'assouplissement quantitatif, ou de création monétaire, était directement inspirée de Keynes et découle de la constatation faite par cet économiste que dans une économie moderne, l'investissement est principalement financé par l'emprunt. Par conséquent, la volonté d'investir dépend principalement de la relation entre taux de profit et taux d'intérêt. Abaisser ces derniers revient à réduire le coût de l'emprunt par rapport aux profits et par conséquent à accroître l'attractivité de l'investissement, et par suite à stimuler la demande d'investissement. Ceci correspond à la moitié des observations de Keynes consacrée aux politiques visant la demande d'investissement et découle correctement de ses recommandations.

 

Malheureusement pour la cohérence de la politique économique occidentale contemporaine, ceci ne représente que la moitié des arguments keynésiens. Keynes affirmait par ailleurs que les mesures visant à accroître la demande d'investissement en abaissant les taux d'intérêt ne seraient pas suffisantes et que par conséquent, l'État devrait prendre des mesures complémentaires axées sur l'offre, afin d'assurer que l'offre d'investissement soit suffisante.

 

Keynes notait ainsi : « Je suis aujourd'hui assez sceptique sur les chances de succès d'une politique purement monétaire visant à influencer le taux d'intérêt... Je souhaite voir l'État (...) prendre encore plus à sa charge la responsabilité d'organiser directement l'investissement. » En conséquence, Keynes était convaincu que la régulation du niveau d'investissement était du ressort de l'État et non du secteur privé : « J'en conclus que l'on ne peut pas sans danger confier à des mains privées le devoir d'accroître le niveau actuel d'investissement. » C'est pourquoi il considérait comme nécessaire de viser un « taux d'investissement contrôlé collectivement ». Si c'était le rôle de l'État de déterminer le volume actuel d'investissement, ceci conduisait Keynes à la conclusion suivante : « Il semble peu probable que l'influence de la politique bancaire sur le taux d'intérêt sera suffisante à elle seule pour déterminer le taux d'investissement optimal. Je conçois, par conséquent, qu'une socialisation assez complète de l'investissement s'avèrera le seul moyen de garantir un taux d'emploi approchant du plein-emploi. »

 

Keynes notait par ailleurs que cette « socialisation assez complète de l'investissement » ne signifiait pas l'élimination du secteur privé, mais plutôt de l'investissement d'État en conjonction avec le privé, c'est-à-dire un système assez semblable à la combinaison entre « main visible » et « main invisible » qui découlait de l'analyse faite par Xi Jinping. Comme le notait d'autre part l'économiste, « Ceci ne peut exclure toutes sortes de compromis et d'instruments par lesquels l'autorité publique pourra coopérer avec des initiatives privées... Hormis la nécessité de contrôles centraux pour apporter un ajustement entre la propension à consommer et l'incitation à investir, il n'y a plus besoin de socialiser la vie économique... Les contrôles centraux nécessaires pour assurer le plein-emploi requerront, bien entendu, un élargissement significatif des fonctions traditionnelles du gouvernement. »

 

Keynes à moitié

 

Même s'il existe d'autres raisons de rejeter l'analyse keynésienne, par exemple le fait qu'il était partisan du protectionnisme, il est pourtant faux de présenter Keynes comme un pur économiste « de la demande », ainsi qu'il est démontré plus haut. Ce que l'Occident a présenté comme des « recettes keynésiennes » depuis la crise financière internationale se résume assez justement dans la formule du « semi-keynésianisme ». Les États-Unis et d'autres puissances économiques ont largement usé d'instruments keynésiens axés sur la demande, et notamment de l'assouplissement quantitatif pour abaisser les taux d'intérêt, mais rejeté les mesures keynésiennes de soutien à l'offre, comme la « socialisation assez complète de l'investissement » employée par Keynes comme outil pour stimuler le côté de la demande, en conjonction avec l'assouplissement quantitatif en vue d'abaisser les taux d'intérêt et le besoin d'un « taux d'investissement contrôlé collectivement ».

 

Mais les événements qui se succèdent depuis le début de la crise financière internationale ont justifié le scepticisme de Keynes sur « les chances de succès d'une politique uniquement monétaire visant à influencer le taux d'investissement ». Les programmes massifs d'assouplissement quantitatif ont échoué à relancer l'investissement dans les pays occidentaux. Mais ces pays ont rejeté le volet « offre » de l'argumentation de Keynes qui stipule que « le devoir de fixer le volume courant d'investissement ne peut pas être laissé à des mains privées ». La raison évidente de cette crainte étant que le système économique en vigueur en Occident est le capitalisme.

 

L'économie socialiste chinoise, en revanche, n'a pas de préventions contre l'usage de la « main visible » aussi bien que la « main invisible », c'est-à-dire du secteur de l'État et du secteur privé. Une fois que l'État commence à entreprendre une politique d'investissement, il ne peut pas conserver cet investissement dans l'abstrait, il doit choisir des secteurs particuliers dans lesquels investir. Il doit se fixer des priorités d'investissement et développer une stratégie industrielle. Dans la mesure où la Chine est orientée vers la création d'une économie de marché socialiste, à son degré de développement actuel, cette stratégie industrielle doit comprendre certains aspects en particulier.

 

Il s'agit tout d'abord de jeter les bases d'un fonctionnement plus efficace du marché et de la division du travail. La longueur du réseau ferré chinois, par exemple, ne représente que 7 % du réseau américain, celle de son réseau routier atteint seulement 16 % de celui des États-Unis, quant à sa production électrique, elle représente moins d'un tiers de la production américaine, ce qui explique l'impossibilité, pour les mécanismes logistiques et de marché chinois, de fonctionner aussi efficacement que ceux des États-Unis.

 

Par ailleurs, il faut accroître la productivité et le taux de profit des entreprises en fermant les secteurs à faible productivité ou peu profitables souffrant de capacités de production excédentaires.

 

Cette combinaison est celle de la « main visible » et de la « main invisible » dont parlait Xi Jinping.

 

Les faits le confirment depuis le début de la crise financière internationale : la réponse chinoise a été plus efficace que celle de l'Occident. Mais les raisons de cet état de fait ne sont pas purement pragmatiques : elles s'enracinent dans des questions fondamentales de la théorie économique et dans la supériorité du modèle économique socialiste de marché chinois sur l'économie purement capitaliste de l'Occident.

 

 

*JOHN ROSS est chercheur à l'Institut d'étude financière Chongyang relevant de l'université Renmin à Beijing. Il a été responsable de la politique économique et commerciale au sein de l'Administration du maire Ken Livingstone à Londres.

 

 

La Chine au présent

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