CHINAHOY

22-January-2017

Le son de cloche de Cizhong

 

La plupart des croyants qui vont à l'église Cizhong sont des Tibétains âgés. (YU XIANGJUN)

 

LU RUCAI, membre de la rédaction

 

Cizhong est un petit village lové au cœur du département autonome tibétain de Diqing, dans le Yunnan. Malgré sa taille microscopique, ce village de 1 000 habitants seulement est connu de nombreux touristes et religieux.

 

Voici cent ans que des missionnaires français entreprirent ici la construction d'une église catholique, et celle-ci est aujourd'hui un haut lieu pour les catholiques des environs, mais aussi un site historique prisé des touristes chinois et étrangers. Même s'il est difficile, pour quelqu'un qui ne l'a pas vue, d'imaginer une église catholique dans un village tibétain, celle-ci rythme la vie quotidienne des villageois.

 

Une église catholique dans un village tibétain

 

Les sommets enneigés de Meili, l'une des huit montagnes sacrées du bouddhisme tibétain, situés dans le district de Dêqên entourent le col qui sépare le Yunnan du Tibet. Au pied de la montagne, le fleuve Lancang s'écoule dans un flot rapide. La vallée est entourée de parois abruptes. Une situation géographique qui fait que les villageois d'ici vivent depuis des siècles isolés du monde extérieur.

 

L'église de Cizhong est construite dans le style gothique et trône au centre du village. Sa construction s'est achevée en 1921 et elle fut consacrée siège du doyenné du Yunnan.

 

Parmi le millier d'habitants de Cizhong, on compte des Han, des Tibétains, des Lisu, des Naxi, etc. 60 % d'entre eux sont catholiques. Xiao Jieyi, 88 ans, est l'une des personnes qui connaît le mieux l'histoire du catholicisme dans ce village.

 

Xiao Jieyi est né en 1929 et son nom de baptême catholique est François. D'après lui, le Tibet est un haut lieu de la religion pour les Européens et il a toujours attiré des missionnaires catholiques qui espéraient y implanter leur religion. Malgré leurs efforts, ils ne parvinrent pas à convertir le Tibet, et c'est vers le Yunnan qu'ils tournèrent leur travail de prosélytisme.

 

Entre les vignes de derrière l'église reposent le prêtre Ouvrard, ainsi qu'un prêtre suisse. (YU XIANGJUN)

 

Xiao Guo'en, le père de Xiao Jieyi, a accompagné le missionnaire français Jean-Baptiste-Pierre-Victor Ouvrard de l'actuelle Kangding au Sichuan jusque dans le district de Weixi dans le Yunnan. Il s'est marié avec une Tibétaine du couvent du village de Dongba. Xiao Jieyi est le quatrième des cinq enfants de la famille. Son père connaissait bien le latin et se montra un assistant efficace pour plusieurs prêtres successifs, qui s'efforçaient, avec difficulté, de convertir au catholicisme les villageois. Avant le prêtre Ouvrard, des missionnaires catholiques apprenaient le tibétain en se faisant passer pour des marchands dans les temples du bouddhisme tibétain. Ils y ont apporté des notions de médecine occidentale et créé des écoles. Ayant gagné la confiance des habitants de la région, ils utilisèrent un phonographe pour tenter de diffuser les dogmes catholiques traduits en tibétain par les lamas des temples du bouddhisme tibétain. Peu à peu, dans ce village traditionnellement bouddhiste, le catholicisme a commencé à attirer de nouveaux croyants.

 

Tsering Quzong habite dans la maison qui jouxte l'église. Elle est la descendante d'un tusi naxi. On appelle tusi les seigneurs féodaux d'autrefois dans les régions frontalières chinoises peuplées d'ethnies minoritaires. C'est eux qui assuraient la gouvernance dans leur fief. La maison de Tsering Quzong présente une architecture tibétaine typique. Comme l'église qu'elle côtoie, cette construction témoigne de cent ans d'histoire. D'après Tsering Quzong, le terrain de l'église appartenait jadis à sa famille puisqu'à l'époque toutes les terres appartenaient au tusi. Un étroit passage derrière sa maison mène à quelques pieds de vigne qui poussent au Sud de l'église. « Les vignes de ce lopin de terre et celles d'un autre tout près d'ici furent plantées par les missionnaires d'autrefois », précise-t-elle, le missionnaire français Francis Goré et le missionnaire suisse Angelin Lovey arrivés à Cizhong en 1930. C'est eux qui importèrent de France la culture de la vigne. Après 1949, le gouvernement chinois a commencé à rapatrier chez eux les missionnaires étrangers, et ces deux prêtres, ainsi qu'un de leurs collègues suisse, ont été renvoyés dans leur pays en 1951.

 

Selon Tsering Quzong, cette vigne appartient aujourd'hui au Bureau de sylviculture de Cizhong, mais c'est elle qui s'occupe de ces terres. « J'ai entendu dire que cette variété appelée ''Miel de la rose'' a disparu en France, raconte-elle. Voici quelques années, un vigneron est venu de France pour récupérer des boutures du vignoble et tenter de les réimplanter en France. » Aujourd'hui, dans le village de Cizhong et dans les villages aux environs, la plupart des familles plantent des vignes et font du vin. En plus de la consommation locale, la plus grande partie du vin est vendue aux touristes de passage.

 

Depuis son enfance, Xiao Jieyi a appris le tibétain à l'église. à l'âge de 13 ans, il a été envoyé dans un institut de propédeutique dépendant de l'École catholique de Hualuoba dans le district de Weixi pour y étudier le latin, le chinois et les dogmes catholiques. « C'est pour nous transformer en religieux », explique Xiao Jieyi. En 1945, il a été envoyé à l'Institut Joseph à Kunming pour y faire des études approfondies. Il y apprit le français et le latin, avant de revenir, trois ans plus tard, à Cizhong. Il se souvient avec émotion du charisme extraordinaire du prêtre français Francis Goré et des autres prêtres. Il raconte que Francis Goré avait étudié la médecine, parlait bien le tibétain et était l'auteur d'un grand nombre de dictionnaires tibétains et de textes religieux. Ce prêtre publia même les Notes sur les marches tibétaines du Sseu-Tch'ouan et du Yun-nan. Le prêtre Lovey maîtrisait assez bien la langue des Lisu. Des textes de la Bible et les chansons religieuses en langue lisu compilés par lui connurent un certain succès parmi les Lisu. Un autre prêtre, Andrew, connu pour son caractère difficile, dirigea pourtant la construction d'une route reliant Cizhong à l'église Baihanluo près du fleuve Nujiang. Cette route continue jusqu'à aujourd'hui d'assurer la liaison entre les deux sites.

 

Le style de l'église Cizhong combine les caractéristiques d'une basilique et d'une cathédrale romane. On y trouve aussi des éléments culturels chinois. (YU XIANGJUN)

 

Les villageois n'avaient que leur nom de baptême

 

Après le départ des missionnaires étrangers en 1951, les activités religieuses de l'église de Cizhong se sont arrêtées. Une école primaire publique y a été établie. En raison de ses relations étroites avec les missionnaires, Xiao Jieyi a été envoyé à Lijiang pour y recevoir une rééducation par le travail manuel. Revenant à Cizhong 30 ans plus tard, il y trouva une église en ruine et un nombre de croyants proche de zéro.

 

La politique religieuse fut rétablie en 1980 et Xiao Jieyi fut le premier à rouvrir la porte de l'église, personne n'osait y entrer. Petit à petit, il a accompagné des croyants âgés à reprendre la lecture de la Bible. À l'époque, peu de jeunes savaient encore lire la Bible, c'est pourquoi Xiao Jieyi a commencé par traduire en tibétain et à compiler certains dogmes catholiques. Aujourd'hui encore, les croyants utilisent ces textes de la Bible traduits par Xiao Jieyi.

 

Chez lui, Xiao Jieyi nous montre les notes qu'il a rédigées sur l'histoire de l'église de Cizhong. Il peut réciter par cœur l'histoire des ethnies de Cizhong et celle de la religion dans cette région. Ses récits cristalisent la dévotion et l'amour de cet nonagénaire pour sa terre et sa religion. Il connaît beaucoup de chants religieux. Il a entonné pour nous quelques chansons, dont une chanson en français intitulée « Le coucou ».

 

Wu Gongdi est né en 1949 et son nom de baptême est Auguste. Il dirige l'Association des catholiques de Cizhong. Le huitième jour suivant sa naissance, il fut baptisé par Lovey, le prêtre suisse. Wu Gongdi se souvient que son arrière-grand-père avait voyagé du Tibet au Yunnan avant de s'installer ici et de se marier avec une femme prénommée Marie. Son arrière-grand-père était un bouddhiste tibétain avant de se convertir au catholicisme. Une foi qui s'est perpétuée de père en fils jusqu'à lui. « C'est la foi de nos ancêtres, nous ne pouvons pas l'abandonner », souligne Wu Gongdi.

 

Pendant une vingtaine d'années après le rétablissement de la liberté religieuse, il n'y avait aucun prêtre qualifié dans la région. Lors des fêtes religieuses les plus importantes, par exemple à Noël, c'est la paroisse de Dali qui envoyait un prêtre pour qu'il tienne une messe à l'église. D'ordinaire, Wu Gongdi et quelques membres laïcs de l'association s'occupent des activités de l'église. Le dimanche, lorsque Xiao Jieyi se sent suffisamment bien, il se rend à l'église soutenu par ses descendants pour y chanter avec le chœur. Cependant, sa santé est fragile et Xiao Jieyi réserve ses visites à l'église aux fêtes les plus importantes.

 

Marie, la petite-fille de Wu Gongdi, est écolière en quatrième année. Son nom chinois est Zhang Ruiying. Autrefois, les villageois catholiques de Cizhong ne possédaient que leur nom de baptême. Afin d'obtenir une pièce d'identité, il leur a fallu prendre un nom officiel. Ainsi, Wu Gongdi et sa petite-fille ont des noms de famille différents, une situation assez courante dans le village de Cizhong. Marie explique qu'elle se rend parfois à l'église avec son grand-père, mais pas très souvent. « Les lois autorisent nos activités religieuses. Nous avons la liberté de croyance, et les parents ne peuvent pas forcer leurs enfants à se convertir à une croyance, même et surtout les membres de leur propre famille », dit Wu Gongdi. Pour lui, que ce soit le boud-dhisme tibétain, le catholicisme ou même la religion Dongba des Naxi, l'essentiel des dogmes de toutes ces confessions est le même : « Aider les personnes à aimer les autres ».

 

Un baptême, le dimanche (YU XIANGJUN)

 

Un nouveau prêtre dans le village

 

Ce dimanche matin, à 9h, les croyants catholiques se rassemblent petit à petit dans l'église. Les vieilles femmes portent leurs costumes traditionnels tibétains. Certaines sont accompagnées de leurs petits-enfants. Comme dans d'autres villages chinois, la plupart des jeunes Tibétains sont partis travailler en ville. Ne restent au village que des personnes âgées et des enfants. Les premiers arrivés saluent le prêtre Yao Fei et les enfants s'amusent dans les travées.

 

Depuis 2008, un prêtre est affecté à l'église de Cizhong. Yao Fei, le prêtre actuellement responsable de la paroisse, est originaire de Mongolie intérieure. Il a officié pendant plusieurs années dans les églises du Hubei et du Fujian. Son regret est de ne pas savoir parler le tibétain. « Autrefois, les missionnaires français et suisses prêchaient en tibétain, et leurs ouailles les appréciaient, raconte Yao Fei. Ils me comprennent lorsque je parle chinois, mais ils préféreraient un office en tibétain. » Alors il consacre son temps libre à l'étude du tibétain ; il s'efforce de mémoriser les coutumes de la région tibétaine. Qu'il s'agisse de noces, de funérailles ou d'anniversaires des plus âgés, il est toujours invité. « Qu'ils soient catholiques ou bouddhistes, la seule différence entre eux concerne la croyance, leurs mœurs sont les mêmes, remarque Yao Fei, c'est pourquoi on se comprend et l'affection entre les villageois de croyances différentes est toujours là. »

 

De plus en plus de croyants se rassemblent dans la salle. On fait la queue devant le confessionnal. Le soleil pénètre à travers le vitrail et éclaire une fresque peinte il y a cent ans. La façade extérieure et la décoration intérieure sont empreintes de culture occidentale, mais l'aménagement intérieur de la salle reflète plutôt des éléments de culture chinoise. On peut voir partout des motifs tibétains et de l'ethnie bai. Le prêtre Yao Fei raconte qu'au début, il se contentait de prêcher les dogmes catholiques, mais il a découvert que les villageois souhaitaient également le voir en tant qu'intermédiaire pour résoudre des conflits conjugaux ou de voisinage. C'est pourquoi il guide les villageois vers la tolérance en citant les doctrines catholiques lorsqu'il reçoit les croyants en confession. Ce jour-là, en plus de la messe régulière, le prêtre a baptisé un nouveau-né du village.

 

Après la messe, Wu Gongdi attend Yao Fei jusqu'à ce qu'il ait terminé son travail. Sa vieille maison a été réparée récemment, et il veut inviter le prêtre à y tenir une messe familiale. « Il y a longtemps que l'on n'a pas donné de messe ici », explique Wu Gongdi. Il explique que, à l'époque de la naissance de son fils aîné et de son deuxième, la situation était différente d'aujourd'hui. Il était allé chercher, protégé par la nuit avancée, à la lumière d'un flambeau, une sœur religieuse du village voisin pour qu'elle donne le baptême à ses enfants. Désormais, on peut organiser des messes à l'église ou à la maison, et celles-ci sont devenues un rituel quotidien et important pour les villageois.

 

À la différence des autres églises catholiques, l'église de Cizhong ne donne pas de messes quotidiennes, mais seulement le lundi, le mercredi, le vendredi soir et le dimanche matin. L'église est cependant ouverte tous les jours aux touristes et aux villageois. En 2006, l'église a pu s'inscrire sur la sixième liste des sites pilotes dédiés à la protection du patrimoine national. Attirés par sa réputation, des touristes ont commencé à affluer des quatre coins du pays et même de l'étranger. Parmi eux, des touristes français venus spécialement pour visiter l'église.

 

En raison de cette activité touristique croissante, Tsering Quzong, qui tient un hôtel familial, est une célébrité parmi les voyageurs. Après avoir visité l'église, les touristes préfèrent séjourner dans une luxueuse chambre tibétaine dans la maison vieille de cent ans d'un tusi, pour y découvrir le mode de vie des Tibétains. Chez Tsering Quzong, des portefeuilles et des corbeilles de paille tressées il y a cent ans sont exposés, ainsi que toutes sortes d'instruments de chasse et des meubles traditionnels tibétains. La décoration intérieure de la maison est identique à ce qu'elle était voici 100 ans. Seules la façade extérieure et les fenêtres sont peintes en blanc pour se conformer à la demande du gouvernement, perdant leur caractère historique. Près de la porte basse de la maison de Tsering Quzong, un livre d'or présente des messages de remerciement laissés par des touristes du monde entier.

 

Tsering Quzong a cherché longtemps pour retrouver une pièce de monnaie française déjà fendue en deux parties qui date de 1913, témoignage des contacts entre son arrière-grand-père et les missionnaires français. Tsering Quzong nous raconte que son frère a emporté une autre pièce à Shanghai pour la faire expertiser. Il n'est pas encore revenu. « Ce n'est pas pour la vendre, nous voulons juste connaître mieux l'histoire de cette pièce », explique-t-elle.

 

Les jours se suivent paisiblement dans le village au bord du fleuve Lancang. Les monticules de pierres mani et l'église catholique coexistent tranquillement. Dans la cour de l'église, au pied d'un eucalyptus globulus géant et d'un laurier luxuriant, gisent les tombeaux du missionnaire Jean-Baptiste-Pierre-Victor Ouvrard et d'un missionnaire suisse.

 

Selon Wu Gongdi, un nouveau prêtre vient d'arriver dans l'église. Le père Zhao est un récent diplomé d'une école catholique et il parle le tibétain. Son arrivée rassure les croyants qui auront plus de facilités pour vivre leur foi.

 

 

La Chine au présent

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