CHINAHOY

4-January-2018

Les jeunes chinois redécouvrent le thé

 

 

 

FRANÇOIS DUBE*

 

Redécouverte par une jeune génération de consommateurs en Chine, l'ancienne tradition du thé chinois se voit insuffler un nouveau souffle.

 

 

Le magasin propose une gamme de thés aux saveurs variées.

 

 

Les longues files de jeunes habillés à la dernière mode forment depuis longtemps une partie intégrante du paysage du centre commercial de Taikoo Li de Sanlitun, à l'est de Beijing. C'est ici que la jeunesse de la capitale chinoise, toujours à l'avant-garde des modes de consommation, attend de pouvoir mettre la main sur le dernier item en vogue. Or, ces dernières semaines, l'objet de leur convoitise n'est pas un vêtement de marque ou le dernier téléphone, mais le plus traditionnel des produits chinois : le thé.

 

Le thé ? Oui, mais pas n'importe lequel ! Il s'agit en fait de versions revisitées et réinventées de cette boisson millénaire et lourde de symboles en Chine. Devant le magasin de Heytea, des jeunes, le visage fixé sur leur portable, attendent parfois pendant plus d'une heure pour pouvoir mettre la main sur le dernier produit phare de cette chaîne : le thé au fromage.

 

« Le fromage ajoute une sensation onctueuse et légèrement salée qui se marie parfaitement bien avec le thé vert, qui lui est légèrement sucré. C'est une innovation très intéressante d'un produit plutôt banal », me dit Li Yanjuan, une jeune étudiante qui fait la file derrière moi. Il s'agit de sa troisième visite dans cette chaîne de boissons qui est devenue l'une des boutiques les plus achalandées du centre commercial.

 

Après avoir passé une commande rapide, j'attends un court moment avant de recevoir, à mon tour, ce nectar tant convoité. Le thé au fromage se présente dans un verre transparent grand format, et se vend autour de 30 yuans (autour de 4 euros). Le verre contient une base de thé vert surmontée d'une généreuse couche de fromage à la crème légèrement salé. Le mélange a un goût surprenant, et contre toute attente, pas désagréable du tout.

 

 

Les boissons bien préparées

 

 

Un service efficace, un personnel dévoué, une file d'attente permanente à l'extérieur du magasin : tout cela fait partie du branding de Heytea : donner à ces jeunes clients l'impression d'avoir accès à une expérience exclusive. Et ça marche : selon les chiffres de la société, Heytea vend en moyenne 2 000 verres de thé par jour dans chacun de ces 50 magasins à travers le pays.

 

Et elle est loin d'être la seule société à faire fructifier le thé. On peut voir des files semblables dans toutes les grandes villes et devant des enseignes différentes. Que ce soit dans les magasins du thé Naixue, une chaîne prisée de la ville de Shenzhen, au sud de la Chine, ou chez un géant comme Gong Cha, qui compte 1 500 magasins en Chine, toute une génération de jeunes consommateurs chinois redécouvrent le thé.

 

 Nouveau branding pour les milléniaux

 

Poussé par une soif d'en savoir plus sur cette industrie, je poursuis ma route vers un autre établissement devenu lui aussi la coqueluche des amateurs de thé glacé : Yi Dian Dian. Ici, le thé se vend relativement moins cher, à savoir entre 8 et 21 yuans (entre 1 et 2,6 euros). La chaîne offre aussi une large gamme de recettes toutes plus étonnantes les unes des autres, allant du « thé noir à la crème glacée » au « thé latté au caramel ».

 

Bien que ces boissons soient sans doute trop sucrées au goût de certains, la recette fait effet ici aussi. Et non sans raison : un test de dégustation à l'aveugle réalisé en mai dernier par la société Footopia à Shanghai a déterminé que Yi Dian Dian arrivait en tête parmi 19 différentes marques émergentes de thé.

 

La Chine reste très majoritairement un pays de buveurs de thé. Cependant, le café est de plus en plus vu comme un signe de prestige et d'appartenance à une classe urbaine sophistiquée, notamment chez les jeunes. Il n'est pas étonnant donc de voir que ces nouvelles chaînes de thé ont toutes en commun une volonté de « déringardiser » leur produit. Dans ces « maisons de thé » dernier cri et résolument modernes, la plante n'est plus vue comme une boisson ennuyante ou dépassée, mais plutôt comme un cocktail jeune, délicieux, urbain et avant-gardiste.

 

Le marketing viral et les réseaux sociaux ont d'ailleurs joué un rôle crucial dans l'émergence de ces nouveaux produits. Une fois l'objet de leur convoitise en main, les jeunes clients de Heytea et de Yi Dian Dian se hâtent d'ailleurs de publiciser leurs achats en diffusant un nombre impressionnant d'égo-portraits sur leurs réseaux sociaux.

 

« Le thé aux bulles s'est répandu comme une traînée de poudre en Chine grâce à un modèle de franchise caractérisé par des coûts peu élevés, des recettes faciles à reproduire et une population qui préfère le thé au café », pouvait-on lire dans un rapport de la société de conseils américaine Orbis Research sur l'industrie du thé en Chine.

 

 Innover dans la tradition

 

De fait, le thé au fromage si prisé n'est que le dernier d'une série de produits de thé qui ont déferlé sur la Chine au cours des dix dernières années. On peut faire remonter cet engouement pour le thé à Taiwan, où est né le « thé aux bulles » dans les années 1990.

 

Servi dans un grand verre au fond duquel on trouve des grosses perles de tapioca moelleuses, ce thé crémeux et sucré est bu à l'aide d'une large paille. La recette de base a subi nombre d'innovations au cours des années, en ajoutant des fruits, du pudding de crème anglaise, des boulettes de patates douces, etc., prouvant une fois de plus que tous les goûts sont dans la nature. Ayant pris d'assaut la Chine, et rapidement le reste du monde, le thé aux bulles a ouvert la porte à la vague actuelle de nouveaux produits.

 

« Les jeunes veulent volontiers essayer de nouvelles choses, ils préfèrent des boissons froides et la fraîcheur, nous avons donc tenté de satisfaire à leurs demandes, explique Nie Yunchen, qui a créé Heytea en 2012 dans la province du Guangdong. Nous voulons offrir des expériences qui émerveilleront nos consommateurs. » Si l'on en juge par les queues interminables qui se forment dès le matin devant les franchises de Heytea, il a en effet misé dans le mille.

 

 

*FRANÇOIS DUBE est un journaliste canadien basé à Beijing.

 

 

 

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