CHINAHOY

29-September-2010

Songjiang, l’art d’être charmant

 

WU MEILING

Noyau historique et réserve d’histoires, un faubourg de Shang-hai contient à lui seul l’essence de la diversité proposée par cette métropole. Voici un aperçu de cet antique havre de paix toujours moderne.

 

Le quartier de Thames Town 

LE quartier Songjiang, dans le sud-ouest de Shanghai, a vu le jour bien avant que la ville elle-même n’existe. Les locaux comparent sa relation à celle-ci à un pendentif de jade sur la poitrine d’un bébé (un cadeau traditionnel offert aux nouveau-nés comme porte-bonheur) ou à un sceau sur une peinture célèbre, qui rappelle son origine et lui donne une identité.

Situé à seulement 30 km du centre, le charme idyllique de ce quartier le distingue du paysage urbain dominé par le verre et l’acier de la métropole. Sortant de la ligne 9 du métro qui relie le centre-ville à Songjiang, de nombreux visiteurs dont les oreilles résonnent encore de la clameur de la grande ville se retrouvent dans un monde très différent, un pays de rivières entrelacées aux collines qui pointent à l’horizon. C’est une véritable bénédiction pour les âmes inquiètes, stressées par le rythme du centre international industriel et commercial.

Nature et histoire

La beauté des paysages de Songjiang lui a donné de nombreux surnoms romantiques. Le plus connu est Yunjian, ce qui signifie « au milieu des nuages ». Une histoire souvent citée est celle de Lu Ji et Xun Minghe, deux lettrés de talent de la dynastie des Jin (265-420) qui, lors de leur première rencontre, rivalisèrent d’originalité pour se présenter. Xun parla le premier : « Je suis Xun Minghe de ‘‘sous le soleil’’ » (Xun était de la capitale. Comme l’empereur était souvent comparé au soleil, sa ville de résidence était appelée « sous le soleil »). Lu, originaire de Songjiang, a immédiatement répliqué : « Je suis Lu Ji du milieu des nuages. »

Dans le passé, les terres fertiles, les forêts denses et les vallées escarpées de Songjiang furent l’habitat d’une riche vie sauvage; c’est la raison de ses autres appellations, comme Rongcheng (ville luxuriante), Luxiang (village des vives) et Gushui (vallée des eaux). En 219, au cours de la période des Trois Royaumes (220-280), le général Lu Xun du royaume de Wu a reçu le titre de marquis de Huating pour ses remarquables exploits militaires, et la zone de Songjiang comme fief. La région a donc été nommé Huating jusqu’à la dynastie des Yuan (1271-1368), moment où on l’a rebaptisée Songjiang et promue au statut de préfecture, tandis que Shanghai venait d’être créée en tant que district subalterne. Sous la dynastie des Ming (1368-1644), la préfecture de Songjiang s’est étendue jusqu’à constituer Shanghai et des parties des provinces voisines du Jiangsu et du Zhejiang.

Son histoire remontant à la dynastie des Qin (221—206 av. J.-C.), Song-jiang possède un riche patrimoine de sites historiques. Ainsi, on peut visiter la tour Huzhu qui penche encore plus que celle de Pise, l’église catholique de Sheshan, la pagode carrée de la dynastie des Song du Nord (960-1127), le stûpa Tuolouni de la dynastie des Tang (618-907) et les ruines du village Guangfulin de la période des Printemps et Automnes (770—476 av. J.-C.), autant de preuves du passé glorieux de la région.

Parmi les douze anciennes pagodes de Shanghai, cinq d’entre elles sont à Songjiang. Construite en 859, la plus grande est le stûpa Tuolouni, une structure en pierre sur laquelle est gravé le sûtra Dharani. On dit qu’il a été érigé au-dessus d’un puits que l’on disait être l’œil de la mer afin d’empêcher les marées de ravager les environs.

Lorsqu’elle est touchée par les dernières lueurs du soleil, la tour de vingt-et-un niveaux et ses sculptures de nuages, de végétaux, d’animaux et de visages semblent s’animer, représentant la quintessence de l’art de la gravure sur pierre. Les images sont pleines, les lignes succinctes et douces, deux caractéristiques de l’art des Tang. La partie la plus admirable se trouve au sommet, le relief sculpté d’une princesse et de son entourage qui s’avancent vers le temple. Une servante porteuse d’un drapeau de prière précède le groupe royal entouré de divinités de divers rangs. Au total, ce sont seize personnages qui sont représentés, chacun avec une expression réaliste et une posture différente. Plus d’un millier d’années après sa création, le stûpa retient silencieusement, mais fermement, un morceau d’histoire pour l’empêcher d’être englouti au fil du temps, comme un lien tangible entre le présent et le passé.

La pagode carrée comporte neuf étages dont les toits relevés sont chacun pourvus de cloches en métal qui tintent doucement sous le vent. Certains disent que ce son symbolise la volonté du Bouddha de nous rappeler d’écouter notre cœur. D’autres disent que c’est simplement un appel à ralentir et à apprécier la beauté de la nature.

À côté de la pagode des Song (960-1279), un mur écran d’inspiration taoïste a été construit en 1370, sous la dynastie des Ming. Sa façade est décorée de sculptures de qilin, un animal mythique, sur un fond de nuages, de végétaux, de lingots d’or, de perles et d’amulettes de jade, tout cela afin d’assurer la chance et de porter bonheur. Plusieurs techniques ont été utilisées, dont le bas-relief, le perçage et l’ajour. Le travail a été superbement exécuté.

Malgré les ravages du temps et des guerres, Songjiang a conservé un certain nombre de bâtiments séculaires provenant de différentes périodes historiques, chacun avec son histoire. Datant des dynasties des Yuan, des Ming et des Qing (1644-1911), la majestueuse porte de la préfecture, dernier vestige du mur d’enceinte et emblème de Songjiang, serait installée à l’endroit même où Lu Xun, l’héroïque général du royaume de Wu, inspectait ses soldats.

Zuibaichi est l’un des jardins particuliers les plus connus de Shanghai. Il appartenait originellement à Zhu Zhichun, lettré de la période des Song (960-1279), qui l’avait baptisé Guyang (côté nord de la rivière Gushui), d’après un poème de Lu Ji qui évoquait Songjiang, son lieu de naissance, situé sur cette rive. Vers la fin de la dynastie des Ming, un ministre originaire de Songjiang, qui était aussi un peintre célèbre, a introduit de nouveaux éléments au jardin, tels un pavillon ouvert sur quatre côtés appelé simiaoting, ainsi qu’une maison en forme de bateau, yifang. Au milieu de la dynastie des Qing, un peintre local a acheté le domaine et en a perfectionné la conception.

Le parc se compose de deux sections. Celle de l’intérieur est le jardin d’origine, et la partie extérieure, plus naturelle, a été ajoutée ultérieurement. Au centre se trouve un bassin qui est entouré par de délicats passages couverts, des pavillons et des chambres, tous ombragés par des arbres centenaires. L’espace restreint est ingénieusement compartimenté, affichant à chaque angle des vues reposantes, mais sans jamais en révéler entièrement la beauté. Sa perfection architecturale et horticole peut rivaliser avec les élégants jardins de Suzhou.

Personnalités renommées

Leader dans l’industrie textile du pays, Songjiang a connu son apogée économique au cours des dynasties des Ming et des Qing. Les documents historiques rapportent que la région « produit des dizaines de milliers de pi (un pi fait environ 33 m) de tissu par jour, et fournit le monde en literies et en vêtements ». L’économie prospère a apporté à Songjiang d’énormes revenus; par conséquent, elle en a fait le plus gros contribuable de toute la Chine. Chaque année, la préfecture remettait au gouvernement central 84 millions de kg de riz, l’équivalent de l’impôt payé par une douzaine de districts réunis.

Deux femmes ont été décisives pour le développement de la production textile, moteur économique de Songjiang. La première était Huang Daopo, née à Songjiang au XIIIe siècle. Celle-ci a fui vers l’île de Hainan dans sa jeunesse, et c’est là que le peuple Li lui a enseigné les techniques de filage et de tissage qu’elle a enrichies et améliorées. À son retour, elle a transmis ses compétences à la population locale, améliorant sensiblement l’industrie textile de la région. Songjiang est rapidement devenu le centre du tissage du coton en Chine.

La seconde était Ding Niangzi qui vécut pendant la dynastie des Ming. Le coton qu’elle fabriquait était léger, doux et soyeux, et était utilisé par la famille royale. Grâce à ces deux femmes et à leurs disciples, la réputation du tissu de Songjiang a traversé les océans. Victor Hugo le mentionne comme étant populaire parmi les classes aisées de la France de l’époque.

Songjiang a abrité des talents de tous horizons. Huang Xie, également connu sous le nom de sire Shunshen, célèbre homme politique et chef militaire de l’époque des Royaumes combattants (475—221 av. J.-C.), est connu pour les ouvrages hydrologiques qu’il a achevés. Pour détourner l’eau du lac Taihu vers la mer afin de réduire les risques d’inondation, Huang Xie a conduit son peuple à creuser la rivière Huangpu à travers son fief de Suzhou et de Songjiang. Il existe encore un village du nom de Shunshen à Songjiang, réputé être le siège de cet ancien ouvrage. Une chanson populaire a été transmis parmi les villageois : « Papa et maman sont allés creuser la rivière Huangpu, puis draguer le bassin de Shunshen. Leur chef était sire Shunshen qui habitait dans mon village... ». Un monument lui est maintenant dédié, au milieu des champs luxuriants du village, gardant les terres sur lesquelles l’ancien maître et son peuple ont travaillé.

Les deux frères Lu Ji (261-303) et Lu Yun (262-303) ne peuvent être négligés dans l’histoire de Songjiang. Petits-fils de Lu Xun, le marquis Wu mentionné ci-dessus, les frères, calligraphes et écrivains accomplis, se sont retirés dans la montagne Kunshan, sur les terres de leur ancêtre, après l’annexion de leur royaume par les Jin. L’œuvre la plus connue de Lu Ji, une lettre de 84 caractères écrite à son ami il y a 1 700 ans, est le plus ancien texte chinois calligraphié, l’une des pièces les plus précieuses de la collection du musée de la Cité Interdite. Tracés à l’encre non diluée, les traits ressemblent à de tenaces plantes grimpantes, mais non sans esthétisme. Certains caractères sont si librement tracés qu’ils sont à peine reconnaissables, ce qui ne fait qu’ajouter à leur charme mystérieux. Lu Ji a été vénéré par les calligraphes chinois des générations postérieures comme le « roi de l’encre ». Lu Yun a également laissé derrière lui un chef-d’œuvre de calligraphie, Fête du Printemps, qui figure dans le premier recueil de calligraphie chinoise comportant les reproductions de maîtres calligraphes depuis les Qin jusqu’aux Tang.

Après être restés une décennie dans leur ermitage, les frères Lu sont montés à la capitale sur l’invitation d’amis et y ont occupé des postes officiels. En 303, Lu Ji a été nommé par un prince commandant d’une armée de 200 000 hommes pour lutter contre son rival, mais il a perdu la bataille après de violents combats. À l’instigation d’un intriguant eunuque, le prince a signé l’ordre d’exécuter Lu Ji, qui est resté de marbre à cette annonce, a revêtu une robe blanche de civil, et a attendu les soldats pour qu’ils l’arrêtent. Ses dernières paroles furent : « Le chant des grues dans la vallée, je ne pourrai plus l’entendre de nouveau ». Cette remarque triste, empreinte de courage et de sérénité face à la mort, a été largement citée durant des siècles. Lu Yun a été tué peu de temps après son frère aîné. Chaque année, leur ancienne résidence de la montagne Kunshan à Songjiang reçoit encore des flots de visiteurs.

Sous les Ming et les Qing, on a compté plus de 500 personnes originaires de Songjiang ayant été reçues au dernier examen impérial. Ces lettrés partageaient le même point de vue littéraire et le même sens esthétique, constituant l’école Yunjian qui a durablement influencé les milieux artistiques et littéraires. Dong Qichang (1555-1636) était une figure de proue parmi les peintres et les calligraphes de la dynastie des Ming, et la valeur artistique de ses œuvres a été confirmée ces dernières années avec la tenue de plusieurs séminaires nationaux et internationaux, ainsi que par une série d’articles et de livres qui lui ont été consacrés.

Dong a eu une carrière politique couronnée de succès. Il a servi six empereurs pendant 40 ans dans des postes allant de ministre des rites jusqu’à précepteur du prince héritier. Mais ses mérites politiques ne sont rien en comparaison de ses réalisations artistiques. Dong Qichang a commencé la calligraphie tardivement. Quand il a participé à l’examen régional à 17 ans, il a surpassé tous les autres dans l’écriture d’essais, mais a fini en deuxième place, après son neveu, en raison de la faiblesse de sa main. La honte l’a poussé à s’améliorer, et des années d’efforts acharnés ont fini par faire de lui l’un des meilleurs calligraphes de son temps. Pendant près d’un siècle, personne n’a pu le surpasser. Ses admirateurs comptaient les empereurs Kangxi et Qianlong des Qing.

 

 

Vieux de 1 700 ans, le Pingfutie est le plus ancien texte chinois calligraphié, l'une des pièces les plus précieuses de la collection du musée de la Cité Interdite. Son auteur, Lu Ji, est originaire de Songjiang. 

Mythe et romance

Le monte Sheshan abrite un parc forestier national qui s’étend sur douze sommets. La zone était une réserve de chasse impériale, il y a 2 000 ans. Un livre des Song du Nord dit qu’il y avait cinq prairies à l’est de la vallée de Huangting, sous le règne du roi Wu. Dans les années 1960, un agriculteur local a trouvé dans son champ un récipient en bronze qui a été identifié par les archéologues comme datant de la période des Printemps et Automnes. C’est une preuve matérielle de l’existence de cette zone de chasse impériale.

Sheshan est aussi surnommée le mont de l’Orchidée et du Bambou. Une tradition populaire dit que, dans les temps anciens, le mont était recouvert chaque printemps d’orchidées. Un jour, un haut fonctionnaire est venu pour les admirer, mais a été déçu de constater que le vent avait dévasté l’endroit. Furieux, il a ordonné aux habitants de trouver un moyen de protéger les fleurs du vent. Du bambou a donc été planté sur les flancs. Étonnamment, les pousses de bambou, une denrée alimentaire traditionnelle, se sont trouvé parfumées par les orchidées. Lors d’une visite dans la région, en 1707, l’empereur Kangxi des Qing a été impressionné par le goût particulier des pousses de bambou locales et a donné ce surnom à Sheshan.

L’endroit fut aussi le lieu des amours du lettré Chen Zilong et de Liu Rushi, une courtisane accomplie à l’esprit indépendant. Celle-ci a rencontré Chen lors d’un banquet et est tombée amoureuse de lui au premier regard. Quelques jours plus tard, elle lui a rendu visite habillée en homme, mais Chen l’a reçue froidement. Elle ricana : « Si vous êtes incapable de voir à travers les apparences, comment pouvez-vous mériter la réputation de savant? » Cela a incité Chen à la reconsidérer, et ainsi à lui livrer son cœur.

Tous deux passèrent une période agréable ensemble à Sheshan, et ils laissèrent derrière eux une correspondance poétique, principalement au sujet de leur vie commune et de leurs serments d’amour. Mais cette histoire ne pouvait durer; une fois l’épouse de Chen au courant, elle mit tout en œuvre pour séparer les amants, et sous la pression, Liu Rushi quitta Sheshan. Bien qu’elle ait eu d’autres liaisons par la suite, dont un mariage avec l’érudit et haut fonctionnaire Qian Qianyi, elle n’oublia jamais Chen Zilong et exprima ses sentiments dans de nombreux poèmes. Chen fit de même.

Sheshan est aussi le site du premier observatoire de la Chine, de la tour Xiudaozhe et d’une église catholique. Celle-ci fut construite en 1871, sous la dynastie des Qing, et agrandie entre 1925 et 1935. Son style montre un mélange original d’éléments gréco-romains, gothiques et chinois. Chaque mois de mai, cette basilique dédiée à la Vierge Marie reçoit chaque jour jusqu’à 4 000 pèlerins.

Au pied de Sheshan se trouve un lac de 27 ha connecté à la Huangpu. À côté se trouve un grand arboretum, dont les spécimens se fondent imperceptiblement avec la montagne verdoyante.

Par endroits, Songjiang met l’accent sur la modernité. Thames Town en est un exemple. C’est un quartier commercial et résidentiel dont la conception est inspirée du lieu de naissance de Shakespeare, en Angleterre. Un article publié en 2004 par The Guardian le décrit ainsi: « Dans un petit coin du chantier géant qu’est la Chine, quelque chose d’assez étrange est en train de se passer : des gratte-ciel modernes cèdent la place aux terrasses géorgiennes, les dalles de béton sont oubliées en faveur des greens de village anglais, et au lieu des habituelles autoroutes à huit voies, il y a des ruelles pavées... Compressant 500 ans de développement architectural britannique dans un projet de construction quinquennal, Thames Town aura en son centre des bâtiments à colombages de style Tudor, un front de mer d’entrepôts victoriens en brique rouge, et une zone périphérique de pignons du XXe siècle, bordée par des haies, des pelouses verdoyantes et des routes ombragées. » Le projet est une expression de la volonté croissante de la classe moyenne chinoise en pleine expansion de reprendre contact avec la nature ainsi que de l’ouverture d’esprit de Songjiang vers d’autres cultures.

Le City College attire également une foule de visiteurs chaque année à cause de son campus pittoresque qui est partagé par sept universités. Songjiang a toujours été une pépinière de savants et d’artistes et reste donc un emplacement idéal pour les établissements universitaires. Chaque faculté a sa propre identité architecturale, mais elles se sont concertées pour présenter un ensemble agréable. Dans un cadre bucolique et enchanteur, le City College est appelé le plus beau campus de Chine.

À la porte de Shanghai, carrefour politique, économique et culturel de la région, Songjiang ressent l’influence de la métropole. Son économie est en train de rattraper les quartiers de Pudong et de Minhang, et en termes de paysage urbain, il a déjà dépassé ses deux grands frères.

En regardant la rivière Huangpu progresser vers un horizon parsemé de nuages, on comprend enfin pourquoi la région était à l’origine appelé Yunjian, au milieu des nuages, et on se sent si proche du paradis.

 

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