CHINAHOY

4-February-2015

Entrée de la gastronomie chinoise au patrimoine culturel mondial

 

Nouilles au poulet Sanhuang.

 

La culture millénaire de la cuisine chinoise veut gagner ses lettres de noblesse internationales en entrant au patrimoine mondial. Et elle a bien des atouts à faire valoir...

LU RUCAI, membre de la rédaction

Voici quelques années, la Chine a présenté une demande d'inscription de la cuisine chinoise sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l'UNESCO. « La cuisine chinoise, la cuisine française et la cuisine turque sont les trois grandes cuisines du monde. Leur importance est incontestée. Mais à notre regret, la cuisine chinoise n'est pas reconnue comme ses consœurs par l'UNESCO », remarquait Bian Jiang, vice-président de l'Association de la cuisine chinoise.

C'est l'Association de la cuisine chinoise qui est chargée de faire avancer le dossier pour l'inscription de la cuisine chinoise sur la liste du patrimoine mondial. Selon Bian Jiang, les règlements de l'UNESCO prévoient qu'un projet de candidature doit comprendre trois parties : les techniques culinaires d'une part, puis les coutumes qui les entourent, et enfin les mesures prises pour la protection et la perpétuation de ce patrimoine.

La candidature est un effort de longue haleine

Depuis sa création au milieu des années 1980, l'Association de la cuisine chinoise s'est fixé pour objectif de mettre en valeur la culture culinaire du pays. Elle a rédigé et publié toutes sortes de livres et périodiques sur la cuisine chinoise et fait par tous les moyens la promotion de la gastronomie chinoise. Ces dernières années, l'Association s'est attachée à présenter la gastronomie chinoise dans les Instituts Confucius et à participer à des expositions culinaires internationales, toujours dans le but de toucher le plus de personnes possible. Pourtant, Bian Jiang admet que ce travail a longtemps été peu efficace pour l'entrée de la cuisine chinoise à l'UNESCO. « Ce n'est que ces dernières années que ce projet a été remis à l'ordre du jour. »

Bian Jiang pense que son Association seule ne dispose pas de l'autorité nécessaire pour présider à ce travail de relations publiques internationales. À l'en croire, lorsque la France ou le Mexique ont fait leur demande, les gouvernements de ces pays ont créé des comités nationaux présidés par leurs associations culinaires respectives, mais intégrant aussi des établissements de recherche, des experts et des représentants de la population. La mission d'un tel comité est d'organiser les actions des différentes parties pour coordonner le travail de présentation de la candidature. En Chine, l'Association se chargeait seule de ce travail. Et les difficultés sont nombreuses. « À l'heure actuelle, la Chine prépare une vingtaine de projets de candidature distincts à adresser au patrimoine culturel immatériel mondial. Ces projets sont tous présentés sous l'égide du gouvernement, sauf celui de la cuisine », explique-t-il. La principale difficulté, c'est le manque de moyens.

Pourtant, le travail ne s'arrête jamais. L'Association de la cuisine chinoise et ses branches locales poursuivent leur tâche. Fin 2014, la Chine a publié sa 4e liste du patrimoine immatériel national sur laquelle figurent plusieurs techniques culinaires traditionnelles, comme la méthode de préparation du kimchi qui vient de Yanji dans le Jilin, les techniques de l'école liaocai appartenant à la cuisine du Liaoning, la préparation traditionnelle du tofu qui est originaire du Sud de l'Anhui, et la recette du poulet typique de la ville de Dezhou dans le Shandong. Cette année, l'Association de la cuisine chinoise va convoquer un groupe d'experts venant d'universités et de régions différentes pour décider de la suite de la liste des spécialités culinaires du pays. Des forums internationaux se tiendront sur l'inscription de la cuisine sur la liste du patrimoine immatériel mondial, et des experts japonais et sud-coréens seront invités à y particper pour apporter leur expérience en la matière.

La culture, véhicule de la gastronomie

La cuisine chinoise jouit d'une solide réputation dans le monde entier. Cependant, les difficultés ne manquent pas lorsqu'on cherche à présenter à des étrangers le concentré de culture contenu dans la cuisine chinoise. C'est que les ingrédients, les goûts et les recettes diffèrent sensiblement de ceux de la cuisine occidentale.

« La gastronomie renferme un contenu culturel très riche. D'abord par la très grande variété des ingrédients : plantes, animaux, pratiquement toutes les créatures de la terre, du ciel et de la mer. Ensuite par une technique culinaire elle aussi très diverse. Enfin par la présentation des plats dont les formes sont multiples. Dés, morceaux, lamelles, etc, présentés dans des plats et des récipients eux aussi très variés. » Selon Bian Jiang, faire entrer la cuisine chinoise à l'UNESCO a pour objectif de promouvoir la culture chinoise à l'étranger et ainsi de renforcer le soft power du pays, en plus de contribuer à la protection de la tradition gastronomique et du patrimoine immatériel, sans oublier d'en faire profiter le public.

En 2012, la première partie du documentaire télévisé sur la gastronomie chinoise A Bite of China a connu un grand succès. En tant que consultant principal de ce documentaire, Bian Jiang considère que celui-ci offre aux téléspectateurs de nouvelles connaissances sur la cuisine chinoise. « Ce documentaire a été diffusé à plusieurs reprises et a reçu un accueil favorable des téléspectateurs de différents pays. À ce point-là, c'est inattendu », se félicite-t-il. Et d'ajouter : « Les images poétiques que forment les plats chinois touchent tout le monde. »

Pour Bian Jiang, le succès de ce documentaire et l'inscription du kimchi sud-coréen et de la cuisine japonaise sur la liste du patrimoine de l'UNESCO montrent le chemin à suivre. C'est la sélection des aliments chinois qui sera la clé du succès de la Chine pour entrer dans ce cénacle.

« L'important n'est pas de faire la promotion de tel aliment ou de telle technique culinaire. Ce qu'il faut privilégier, ce sont les sentiments qu'apporte un aliment, son importance dans la tradition et la perpétuation de cet aliment dans le futur. Les différentes cuisines régionales présentent chacune leurs caractéristiques locales bien distinctes, et il serait très réducteur de dire que les Chinois mangent tous la même chose. »

Certains ingrédients utilisés traditionnellement dans la cuisine chinoise s'attirent des critiques à l'international, comme par exemple les ailerons de requin ou les nids d'hirondelles. Bian Jiang s'en explique : « La cuisine chinoise date de plusieurs millénaires, et son approche comporte un volet médicinal. Nos ancêtres ont classé minutieusement tout ce qui se mange, chaque aliment a été enregistré dans des archives historiques médicales comme le Traité de botanique et de pharmacopée, et ces observations se sont perpétuées jusqu'à nos jours. Ce travail ne peut pas être méprisé et jeté aux orties. » Cependant, pour certains ingrédients qui menacent les équilibres écologiques, les habitudes devront être changées.

Suivre les expériences réussies

Depuis l'adoption de la Convention sur la protection du patrimoine culturel immatériel par la 32e Conférence de l'UNESCO, la cuisine française, la cuisine méditerranéenne, la cuisine turque, la cuisine traditionnelle mexicaine, le kimchi coréen et la cuisine japonaise ont été successivement portés sur la liste des savoir-faire à préserver. Selon Bian Jiang, il faut s'inspirer de ces exemples et étudier les aliments déjà inscrits sur la liste du patrimoine mondial. Cette analyse a permis de découvrir que le jury est moins sensible aux aliments eux-mêmes ou même aux techniques de préparation qu'à l'aspect culturel qui sous-tend ces aliments. « Prenons l'exemple du kimchi, fait à base de choux chinois et de piments forts fermentés. Dans les documents sur la promotion du kimchi, les informations relatives au plat lui-même ne représentent que 20 % du volume. Le reste du document explique l'importance de cette préparation pour la cuisine coréenne en général, les échanges entre voisins au cours de la préparation du kimchi, et puis aussi les coutumes liées à la consommation du plat. Tout cela illustre une culture de l'harmonie entre voisins, et finalement, des sentiments humains », explique Bian Jiang.

La présentation de la cuisine française pour l'UNESCO met elle aussi en avant la tradition. « La cuisine française accompagne les moments importants de la vie, qu'ils soient individuels ou collectifs. C'est aussi la façon de célébrer toutes sortes d'événements : naissance, mariage, anniversaire, commémoration, félicitations, rencontre. [...] La cuisine française accompagne la confiance et la bonne entente, propose une expérience du goût, et crée un équilibre entre l'homme et la nature. »

Cuisine chinoise et cuisines étrangères peuvent s'inspirer mutuellement

Ayant étudié le processus d'inscription de la cuisine française et de la cuisine japonaise, Bian Jiang conclut : « En termes de gastronomie, les plats à forte connotation régionale ne sont pas faciles à faire apprécier au reste du monde. » Il souligne les facteurs favorisant l'approbation les plus importants qu'il a notés. La difficulté est que, toutes les réalisations culinaires sont les héritières d'une tradition et d'une culture régionales. Elles ne peuvent être appréciées dans d'autres zones du globe sans une certaine adaptation au goût local.

La même chose se produit à l'échelle de la Chine. Lorsqu'on essaie de fusionner les huit grandes cuisines chinoises, elles perdent une partie de leur authenticité régionale. À l'étranger, on voit partout des restaurants chinois, et pourtant les plats qu'ils servent n'ont presque plus rien à voir avec ceux que l'on propose en Chine. Peut-on encore dire qu'ils représentent la cuisine chinoise ?

D'après Bian Jiang, le développement mondial de la cuisine chinoise s'est déroulé en trois phases. D'abord, il y a environ 200 ans, de nombreux travailleurs chinois ont quitté le pays pour gagner leur vie à l'étranger. C'est alors que se sont créés les premiers restaurants chinois aux États-Unis et en Europe. Plus tard, après le début de la réforme et de l'ouverture (1978), certaines grandes enseignes d'État de la restauration chinoise ont essayé d'implanter leurs succursales à l'étranger, mais sans grand succès. Enfin, ces dernières années, et surtout depuis 2012, ce sont des chaînes de restaurants chinoises privées qui cherchent à s'installer à l'étranger. Des marques fameuses ici, comme Meizhou Dongpo Group, Huang JiHuang et Hai Di Lao Hot Pot, ont ainsi pu fêter leurs premiers succès. Lorsque la cuisine chinoise sera reconnue comme patrimoine culturel mondial, son prestige s'accroîtra dans le monde. Elle sera mieux connue et mieux considérée par les consommateurs des différents pays. Les meilleurs restaurants chinois verront s'ouvrir de nouveaux marchés étrangers.

Selon Bian Jiang, la cuisine chinoise peut et doit tirer profit de la cuisine occidentale : elles doivent s'enrichir de leurs différences. « La cuisine occidentale utilise souvent des ingrédients simples et souligne la qualité et les moyens de conservation, ce qui permet de standardiser certaines recettes. De plus, la cuisine occidentale met l'accent sur le bio, la protection de l'environnement et l'aspect nutritif des produits. Enfin, le fait que chacun consomme une portion individuelle réduit le gaspillage alimentaire. » En comparaison, la cuisine chinoise met plus l'accent sur la combinaison des différents ingrédients, une technique qui requiert un long apprentissage. Les méthodes de préparation de la cuisine chinoise sont plus génératrices de fumée et d'odeurs désagréables, et les plats chinois sont souvent très gras, des aspects qui peuvent nuire à la santé.

Paradoxalement, le marché de la cuisine chinoise est aujourd'hui dominé par des consommateurs de moins de trente ans. Ces jeunes nés après 1980 ou après 1990, fans de fast-food et de nourriture lyophilisée, connaissent mal la gastronomie chinoise traditionnelle. Comment les former ? Comment entretenir le goût des recettes traditionnelles ? Bian Jiang espère que, les grandes enseignes comme Quanjude ou Dadong, spécialistes du canard laqué, parviendront à réorienter le goût des consommateurs et que, grâce à eux, les gourmets de différentes régions pourront continuer d'explorer les spécialités locales. Malheureusement, « seuls les consommateurs aisés pourront se montrer plus exigeants envers la gastronomie. »

 

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