CHINAHOY

4-February-2015

Forum Chine-CELAC : nouvelle plate-forme, nouvelles opportunités, nouveaux défis

 

Li Changhua, alors ambassadeur de Chine au Costa Rica, visite un village accompagné par la présidente de la commission des Affaires étrangères du parlement du Costa Rica.

 

Analyse du renforcement de la coopération de la Chine avec les pays latino-américains et caribéens, ainsi que du potentiel de réussite et de développement des démarches récemment engagées entre les deux régions.

ZUO XIAOYUAN*

La première réunion ministérielle du Forum Chine-CELAC (Communauté d'États latino-américains et des Caraïbes) s'est clôturée le 9 janvier à Beijing. Cette poignée de main à travers le Pacifique, qui a été couronnée d'un plein succès, a concrétisé le projet de coopération envisagé par la Chine et la CELAC.

Au cours de cette réunion sur deux jours, les deux parties sont parvenues à un consensus sur plusieurs sujets et ont adopté trois textes importants : la Déclaration de Beijing de la première réunion ministérielle du Forum Chine-CELAC, le Plan de coopération (2015-2019) entre la Chine et les États latino-américains et caribéens, ainsi que les Règlements sur la mise en place et le fonctionnement du mécanisme propre au Forum Chine- CELAC.

Premier événement diplomatique qui a eu lieu en Chine en ce début 2015, cette réunion a marqué l'avènement d'une nouvelle ère pour la coopération entre la Chine et la région latino-américaine et caribéenne.

Création du Forum Chine-CELAC

La première décennie du XXIe siècle, la Chine comme la région latino-américaine et caribéenne ont connu leur âge d'or respectif en termes de développement, ce qui a poussé les deux parties à faire progresser de manière significative leur coopération économique et commerciale. D'une part, suite à son essor fulgurant d'une trentaine d'années, la Chine a développé des besoins importants en énergie et en matières premières, ce qui a accru rapidement le commerce bilatéral des deux parties voyant clairement la compatibilité de leurs avantages. D'autre part, ces dix années durant, la Chine, qui était davantage un pays accueillant des investissements étrangers, s'est transformée en un pays émettant des investissements. Avec l'élargissement et l'approfondissement de leurs échanges, les deux parties ont senti la nécessité d'établir une plate-forme de coopération globale.

En novembre 2008, le gouvernement chinois a publié le Document sur la politique de la Chine vis-à-vis de l'Amérique latine et des Caraïbes, le premier texte officiel chinois ciblant ce vaste territoire. Ce document transmet la volonté de la Chine de coopérer avec cette région. La création de la CELAC, en 2011, a donné à la Chine l'occasion de mettre en place une coopération globale avec cette Communauté. En juin 2012, le premier ministre chinois d'alors Wen Jiabao, au cours de sa visite dans quatre pays d'Amérique du Sud, a avancé plusieurs propositions spécifiques, dont l'établissement d'un forum Chine-CELAC, dans son discours prononcé à la Commission économique des Nations unies pour l'Amérique latine.

Après l'entrée en fonction du président Xi Jinping, la coopération tous azimuts entre la Chine et la CELAC a encore réalisé des avancées substantielles. Les dirigeants chinois et ceux des pays d'Amérique latine et des Caraïbes ont discuté de ce thème en différentes occasions, que ce soient rencontres bilatérales ou multilatérales. Au 2e Sommet de la CELAC tenu en janvier 2014, tous les pays membres de la Communauté ont convenu de fonder le Forum Chine-CELAC. En juillet, lors de la rencontre de Xi Jinping avec les leaders des pays d'Amérique latine et des Caraïbes à Brasilia, ces hommes politiques ont ensemble annoncé l'établissement d'un partenariat global caractérisé par l'égalité, le bénéfice mutuel et le développement commun. C'est ainsi qu'est né le Forum Chine-CELAC.

Bilan de la réunion

La Déclaration de Beijing définit l'orientation du développement et les principes directeurs du Forum Chine-CELAC. « Conformément aux fondements majeurs sans conditions que sont le respect, l'égalité, la diversité, le bénéfice mutuel, la coopération, l'ouverture et la tolérance, nous sommes déterminés, à travers des moyens de coopération innovants et le dialogue dans le cadre du Forum comme dans d'autres domaines convenus par les deux parties, à promouvoir un développement durable conjoint, le bien-être social et la croissance économique, afin d'apporter de nouvelles contributions à la coopération Sud-Sud. »

Le Plan de coopération dresse la feuille de route de cette coopération Chine-CELAC pour les cinq prochaines années. Il comprend une cinquantaine de dispositions dans treize domaines prioritaires, portant sur la politique et la défense, les affaires internationales, le commerce, les investissements, la finance, les infrastructures de base et le transport, l'énergie, l'agriculture, l'industrie, la science et la technologie, l'aéronautique et l'aérospatiale, les échanges humains, etc. Il réaffirme aussi les règles de mise à exécution du plan : « Adopter le principe d'une participation volontaire et souple, en vertu des politiques et règlements nationaux de chacun, sans porter préjudice aux projets de coopération bilatéraux qui ont été conclus, ni remplacer les accords bilatéraux, décisions ou engagements sur lesquels les deux parties sont parvenues à un consensus ».

Le document Règlements sur la mise en place et le fonctionnement du mécanisme précise les modalités du dialogue et de la coopération concertée, pour ainsi assurer la durabilité du Forum.

Ces trois documents, fruits donnés par la réunion, tiennent pleinement compte des préoccupations de la Chine et des divers pays membres de la CELAC, au reflet des quatre points recommandés par le président Xi Jinping dans le discours qu'il a prononcé à la cérémonie d'ouverture : principe de coopération sur un pied d'égalité, objectifs de bénéfices partagés, modalités souples et pragmatiques, esprit ouvert et inclusif.

Perspectives et défis

De sa proposition jusqu'à sa création, nombreux sont ceux qui ont douté de la faisabilité de ce Forum Chine-CELAC. Selon eux, premièrement, de trop grandes disparités s'observent entre les 33 membres de la CELAC en matière de ressources naturelles, de poids économique et de niveau de développement. Les attentes des « grandes puissances » et des « petites puissances » dans la région quant à la coopération globale avec la Chine sont très différentes, de sorte qu'il est difficile de concilier leurs intérêts. Deuxièmement, 12 pays membres de la Communauté n'ont pas encore établi des relations diplomatiques avec la Chine. Ainsi, il sera difficile de gérer les relations avec ces pays au sein de la plate-forme du Forum. Troisièmement, une autre difficulté se dessine : traiter les relations du Forum Chine-CELAC avec d'autres organisations régionales et sous-régionales présentes dans cette grande région.

Bien que ces spéculations ne soient pas sans fondement, la création du Forum Chine-CELAC repose tout de même sur un grand nombre de points de convergence en termes d'intérêts. La tenue réussie de la première réunion ministérielle du Forum reflète bien la volonté à toute épreuve de la Chine et des pays de la CELAC d'approfondir leur coopération.

Les documents publiés à l'issue de la réunion livrent le message suivant : résoudre les contradictions éventuelles à travers des collaborations pragmatiques et innovantes. Concrètement : la coopération d'ensemble dans le cadre du Forum va de pair avec les coopérations bilatérales entre les pays ; les pays qui n'ont pas établi de relations diplomatiques avec la Chine seront traités sur un pied d'égalité ; le Forum est inclusif et ouvert aux parties tierces. Par conséquent, de manière générale, la perspective du Forum apparaît optimiste. Bien sûr, au cours de la mise en œuvre de la coopération, de nouveaux problèmes surviendront. Le nouveau partenariat a encore besoin d'être exploré et perfectionné.

Autre préoccupation : le rythme de croissance de la Chine commence à ralentir. Ce phénomène est susceptible de réduire la demande chinoise en énergie et matières premières provenant d'Amérique latine, ce qui entraînerait une chute des prix dans ces secteurs et bouleverserait enfin la coopération d'ensemble, de sorte que le Forum entamerait une longue traversée du désert, à l'image de la Communauté ibéro-américaine.

Toutefois, selon un autre point de vue, ce défi présage également de nouvelles opportunités. Actuellement, la Chine, passant d'un essor très rapide à un développement moyennement rapide, est entrée dans une période clé caractérisée par la transformation de son modèle de croissance. La Chine restera toutefois le chef de file des économies émergentes encore un certain temps. Selon Su Zhenxing, chercheur à l'Académie des sciences sociales de Chine, si la croissance chinoise est tirée principalement par la demande intérieure comme le prédit la tendance, cela permettra de réduire la concurrence de la Chine avec les pays d'Amérique latine et des Caraïbes dans les secteurs des produits de moyennes et faibles technologies, pour enfin fournir un soutien important à la restructuration et à la montée en gamme des industries dans les pays d'Amérique latine et des Caraïbes.

En outre, de nouveaux points de convergence des intérêts naissent dans la coopération commerciale entre la Chine et les pays de la CELAC. Au-delà des domaines de coopération existants, un énorme potentiel de collaboration réside dans les secteurs des infrastructures de base, de la finance et de l'agriculture.

Toutefois, le Chinois Zhang Sengen, expert sur l'Amérique latine, estime que ces grandes opportunités seront accompagnées de grands défis. Selon Xiang Jun, chercheur taiwanais, les relations entre la Chine et l'Amérique latine sont entrées dans une étape cruciale plus dangereuse. Ainsi, il faut aborder avec plus de prudence le passage de la « prépondérance des échanges commerciaux » à une coopération à la fois commerciale, financière et dans l'investissement.

Ce défi procède en grande partie du manque, en Chine, de personnes spécialisées dans les affaires en Amérique latine et aux Caraïbes. De nombreux domaines dans cette région restent très étrangers à la Chine. Par rapport aux États-Unis et aux pays européens, cette dernière est une « nouvelle venue » en Amérique latine, très différente des États de cette région en termes de système social et de valeurs.

Selon le sondage Latinobarómetro réalisé en Amérique latine et celui Pew Global Attitudes réalisé aux États-Unis, de même, le public latino-américain connaît peu ou mal la Chine. Dans certains pays d'Amérique latine, le taux de popularité de la Chine est inférieur à celui des États-Unis, voire du Japon. À l'avenir, il est certain que l'approfondissement de la coopération Chine-Amérique latine sera influencé dans une large mesure par la connaissance mutuelle.

L'influence qu'exerce la Chine sur l'Amérique latine ne devrait pas se cantonner au commerce, mais atteindre un niveau stratégique caractéristique du « soft power ». Il faut éviter en ce sens de « poser les pieds en Amérique latine tout en gardant la tête en Chine ». Cette erreur pourrait se payer très cher.

Incertitude liée aux défis extérieurs

En plus des défis internes susmentionnés, le processus de coopération Chine-CELAC pourrait faire face à des défis extérieurs occasionnés par « le jeu des grandes puissances ». Actuellement, l'échiquier international, dans une situation complexe et incertaine, est entré dans une phase de transition marquée par la redistribution des pouvoirs, la restructuration de l'ordre et la réécriture des règles.

Selon des chercheurs américains, l'ordre international est en train de revenir à une logique géopolitique où la Chine serait au centre de l'attention. Bien que les autorités américaines admettent que la coopération économique Chine-CELAC contribue à la prospérité de l'Amérique latine et s'accorde avec les intérêts des États-Unis, leur suspicion quant au développement des relations sino-latino-américaines ne se dissipera pas facilement et leur vigilance sous prétexte de « sécurité de l'hémisphère ouest » ne sera pas relâchée.

Bien que la CELAC, qui regroupe 33 pays, est une organisation d'intégration régionale bénéficiant d'une large représentativité, les États-Unis la considèrent toujours comme une organisation à fort caractère idéologique. Ceux-ci espèrent que les pays latino-américains mèneront une coopération transrégionale via la plate-forme que constitue l'Organisation des États américains (OEA), plutôt qu'avec la CELAC. Lors de la réunion prochaine de l'OEA en avril, les États-Unis pourraient proposer de nouvelles initiatives d'intégration régionale, ce qui risque d'accroître les incertitudes quant à l'avenir de la coopération globale Chine-CELAC.

 

*ZUO XIAOYUAN est directeur du Centre sur l'Amérique latine relevant de l'université des Affaires étrangères de Chine.

 

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