CHINAHOY

13-December-2016

Liu An, inventeur du tofu

Chaque mois La Chine au présent vous raconte l'histoire d'une invention chinoise, ancienne ou récente, absolument véridique ou un peu romancée, et de son auteur. Ces personnages qui ont fait la Chine et le monde tels que nous les connaissons aujourd'hui...

CHRISTOPHE TRONTIN, membre de rédaction

Tout le monde connaît le tofu (dans la langue de Confucius on dit 豆腐, fèves pourries !). Cette masse d'un gris jaunâtre sans goût ni couleur bien définis, molle, flasque, humide, spongieuse fait lever à bien des Européens une lippe dédaigneuse. Saviez-vous qu'on attribue son invention à un certain Liu An (179-122 av.J.-C.). Selon la légende, Liu An, petit-fils du premier empereur Liu Bang de la dynastie des Han, et roi de la région Huai'an,  cherchait un moyen de nourrir sa vieille mère qui venait de perdre sa dernière dent. Fatiguée de son régime à base de soupe de riz, elle cassait littéralement les bonbons de son rejeton qui avait pourtant bien d'autres chats à fouetter. Mais bon, vous savez ce que c'est, dans la Chine confucéenne : les parents, c'est sacré. Leur contentement passe avant les rébarbatives affaires de l'État.

Cédant aux mélopées de sa maman, Liu An prit un congé sabbatique et se mit au travail. Le cahier des charges, d'abord : on cherche un produit qui remplacera la viande, en éliminera les inconvénients. Pas trop cher. Pas trop compliqué. Des protéines en pagaille, pas de cholestérol, une texture souple, du calcium, du fer, des acides aminés. Je vous passe les affres, les nuits blanches, les cauchemars et les sueurs froides du malheureux Liu An, ses nombreux essais, ses innombrables déconvenues. Il maigrissait à vue d'œil, ses joues se creusaient, des cernes violacées apparaissaient sous ses yeux. Après seulement une année de recherches, il semblait déjà plus vieux déjà que sa propre mère. Celle-ci, nourrie au petit lait et à la soupe de riz, donnait des signes d'impatience. Elle ne lésinait pas sur les quolibets pour aiguillonner l'amour-propre de son rejeton : « Heureusement que tu ne tiens pas de restaurant, je serai déjà morte de faim en attendant la recette du chef ! ».

Et puis un jour, ce fut l'illumination. Des fèves de soja ! Pressées pour en extraire le substantifique lait ! Caillé pour solidifier ! Pressé pour en retirer l'eau excédentaire ! La voilà enfin, la masse nourrissante, diététique, bon marché, soumise & réceptive à toute créativité  culinaire ! Une sorte de fromage blanc, finalement, d'origine végétale.

À partir de là, l'imagination des cuistots s'est déchaînée aux quatre coins de l'empire. On a exploré toutes les variantes possibles : cuit, frit, durci, mariné, épicé, salé, sucré, fermenté.

Ajouté dans un plat de légumes ou au contraire servant de support à sauces, condiments, accompagnements. En 2 200 ans, croyez-moi, on a tout essayé. Il y en a désormais de toutes les couleurs et pour tous les goûts. Et pourtant, hormis quelques restaurants végétariens et quelques gastronomes méditatifs, il ne semble pas faire recette dans le reste du monde. C'est tellement injuste ! Deux mille ans après, la Chine reste l'Empire du tofu !

 

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