CHINAHOY

31-March-2017

Le Grand Canal et Changzhou

 

La porte antique Xiying (2016)

 

LIU SHIZHAO*

Laissons-nous porter par le courant du Grand Canal jusqu'à Danyang puis Changzhou, en quête des legs du passé…

Je vous présente Danyang, une ville au statut administratif de district relevant de Zhenjiang, dans la province du Jiangsu. Danyang est traversée par le Grand Canal sur environ 30 km, le cours d'eau constituant aujourd'hui la ligne de démarcation entre les vieux quartiers et la zone de développement économique. Dès les années 1990, en 7 ans d'aménagement, cette section du canal a été mise aux normes nationales pour les voies navigables de 4e niveau. Une flotte de navires de près de 500 tonnes pouvait l'emprunter tout au long de l'année. Cette section était devenue une voie principale reliant le Nord et le Sud de la Chine.

Pourtant, ce nom de Danyang m'évoque en premier lieu ses statues de pierre, parsemées dans les champs, qui datent des dynasties du Sud (420-589) établies il y a environ 1 500 ans.

 

Des animaux fabuleux au milieu des champs

 

Sur une distance de 16 km entre le bourg de Lingkou et le mont Shuijing à Danyang, reposent des tombeaux d'empereurs des Qi (479-502) et des Liang (502-557), qui régnèrent sur une partie du pays à l'époque des dynasties du Sud. À proximité, un grand nombre de statues d'animaux fabuleux gardent la forêt, comme des qilin (licorne chinoise), des tianlu (créature imaginaire) et des lions chinois.

 

En entrant dans le bourg de Lingkou, je vois d'abord deux statues de pierre représentant des animaux de bon augure, lesquels s'observent d'un côté à l'autre de la rivière Xiaoliang, tout près du bourg. Ces œuvres apparaissent derrière des barreaux en fer que les locaux ont installés pour les protéger, bien que le spectacle en soit légèrement gâché. Après quelques questions aux passants et un petit temps de recherche, je déniche, au milieu des champs de colzas en fleurs, les statues en pierre des animaux mystiques qui gardaient jadis le tombeau Yong'an de Xiao Chengzhi (383-447), empereur Xuandi des Qi. Le tianlu regarde vers l'ouest, tandis que le qilin est orienté vers l'est. Le tianlu est encore en bon état : assis, il maintient la tête haute et la poitrine bombée. Le qilin, lui, n'a pas eu autant de chance : il a perdu une partie de sa tête sous les affres du temps. Toutefois, les décorations sculptées au niveau de son corps sont encore révélatrices de sa beauté. Ces statues, nichées entre les cultures et les demeures des paysans, s'intègrent parfaitement dans ce paysage naturel.

 

Sur le bord de la route, un panneau attire mon attention : on peut y lire « Usine de thé Tianlu ». Cet endroit au nom évocateur pique ma curiosité. J'y entre donc pour jeter un œil et effectivement, il dissimulait bien un qilin et un tianlu ! Le propriétaire de la plantation de thé m'indique alors le lieu où trônent les statues de ces créatures fantastiques. Dans le bois s'étendant au pied du mont couvert de théiers, à nouveau, je découvre une paire de statues en pierre se faisant face : un qilin tourné vers l'est et un tianlu tourné vers l'ouest, mieux préservés que ceux devant le tombeau Yong'an.

 

Une boutique de peignes sur la rue Biji (1982)

 

Changzhou au fil des époques

 

Le Grand Canal traverse aussi Changzhou, une ville économiquement développée connue auparavant à travers tout le pays pour les motoculteurs et le velours côtelé qui y étaient fabriqués. Ses usines, qui jouissaient en ce temps-là d'une haute réputation, sont aujourd'hui désaffectées ou se sont reconverties à d'autres secteurs. Changzhou change au fil des époques.

 

Je me rends sur l'ancien quai au bord du Grand Canal et me retrouve face à la porte de la ville, la porte Xiying. Elle m'est familière, puisque 35 ans plus tôt, j'avais pris en photo cette ouverture qui donne sur le quai, où étaient inscrits les caractères chinois signifiant : « quai des bateaux ». Aux alentours, s'étalaient les zones résidentielles.

 

Ce qui m'avait le plus impressionné dans la ville, c'est la rue Biji (« peigne »). Selon la légende, les techniques de fabrication des peignes se transmettent à Changzhou depuis 1 600 ans. Sous la dynastie des Qing (1644-1911), les peignes taillés ici, de fine qualité, étaient offerts à la cour impériale en guise d'hommage. Autrefois, dans cette rue non loin du Grand Canal où s'entassaient les ateliers spécialisés dans ces somptueux outils, chacun pouvait observer le processus de fabrication des peignes.

 

Aujourd'hui, la rue Biji a été élargie, mais à gauche comme à droite se trouvent toujours des boutiques vendant des peignes. Elles proposent un large choix qui saura répondre aux besoins de tous les profils de clients : des peignes bon marché cédés à quelques yuans aux peignes d'une valeur grimpant à plusieurs milliers de yuans. Pourtant, au fond de moi, je suis frustré de voir que les petits ateliers d'antan au bord de la route ont disparu.

 

Le Grand Canal près de la rue Biji m'avait également laissé un joli et profond souvenir, avec les habitations, le cours d'eau, les embarcations et le pont qui composaient un décor harmonieux. C'est pourquoi, à peine engagé dans la rue Biji, je m'empresse de chercher la scène que j'avais photographiée 35 ans plus tôt. Cependant, le paysage qui s'offre à ma vue à présent est méconnaissable : les maisons ont été rasées pour laisser place aux espaces verts, le canal a été élargi, le pont ancestral a également disparu, et les bateaux ont déserté la voie fluviale. Subsiste un ancien pont, mais qui a été déplacé sur la rive, faute d'être assez grand pour enjamber le lit grossi du canal.

 

L'ancien canal de Changzhou a ainsi été transformé en lieu de promenade touristique. En faisant peau neuve, il a perdu de son allure d'origine. La protection et l'exploitation du patrimoine représentent toujours des défis contradictoires. Mais selon moi, il faudrait tout de même léguer davantage d'héritages historiques aux générations futures.

 

 

*LIU SHIZHAO est un ancien photographe de People's China.

 

 

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