WU WEI*

À me voir écrire sur la mode, on pourrait croire que je suis une personne à la page, ce qui n’est assurément pas le cas. Je ne dirais pas non plus que j’aime suivre la tendance, mais cela n’implique pas que je ne prête aucune attention à la mode ou que je manque de respect pour cet art.

Qu’est-ce que la mode ? Les définitions populaires y voient un ensemble de comportements ou de concepts culturels en usage à une époque donnée dans une culture ou un groupe social particulier, et qui s’exprime en divers aspects de la vie personnelle ou sociale. La mode reflète souvent une préférence, ce qui en fait un phénomène culturel applicable à des situations de la vie quotidienne et reflétant une éthique publique. Elle devient donc le reflet d’une attitude populaire ou d’un style de vie pendant un temps. Mais en fait, la mode est un concept très personnel, puisque les gens ont inévitablement des perceptions et des attentes différentes en la matière.

Les uniformes militaires étaient en vogue dans mon enfance et, à l’époque, tout le monde était excité de porter la pleine tenue militaire, en vert des pieds à la tête, avec un sac militaire. Plus tard, il est devenu chic de porter des jeans à jambe évasée et des lunettes de soleil surdimensionnées avec l’étiquette encore en place, et ce style vestimentaire, qu’on accompagnait d’un magnétophone, a été vu comme le fin du fin pendant un long moment au début des années 1980. Plus tard encore, les manifestations de la mode se sont succédées les unes après les autres, et le temps qui s’écoulait entre le branché et le démodé s’est fait de plus en plus court. Des styles divers de coiffure et d’habillement ont donné le ton, et les fanas de la tendance ont trouvé de plus en plus difficile de suivre le mouvement. Finalement, certains en ont eu assez de suivre et ont plutôt choisi d’élaborer et de mettre de l’avant leur propre style, un style vraiment à leur goût. L’individualité est alors devenue le mot d’ordre de l’avant-garde.

On célèbre en 2011 le quatre-vingt-dixième anniversaire de la RPC. Pour l’occasion, les organismes gouvernementaux et les entreprises commerciales de Chine ont organisé divers événements – les concours de chant sont des plus populaires. Dans l’un d’eux, placé sous l’égide de la China National Publications Import and Export (Group) Corporation, plusieurs équipes d’entreprise portaient des uniformes militaires verts ou gris. Tout frustes qu’ils soient, ces uniformes confèrent à qui les porte un aspect très viril et conquérant, spécialement sous le feu des projecteurs. Lorsque j’ai demandé à un retraité ce qu’il ressentait dans cet uniforme, il s’est redressé et m’a raconté, avec un air solennel, comment il avait rêvé de porter cet uniforme depuis le temps où il était un jeune garçon, et que son rêve devenait maintenant réalité. Je peux facilement comprendre le sentiment des gens de cette génération face à ces uniformes. Dans la guerre comme dans la paix, les militaires, hommes et femmes, se tiennent aux avant-postes, prêts à défendre le pays et la population au prix de leur vie et de leur sang. Leurs uniformes, qui rappellent leur statut et leur sacrifice, servaient tout naturellement de référence à l’époque où l’armée jouait un rôle capital dans la création et la construction de la RPC.

Voici quelques jours, je suis rentrée d’une visite aux États-Unis. Alors que je déambulais sur la Cinquième avenue, à New York, la question de la mode m’est venue à l’esprit. J’ai demandé à mes collègues de la filiale américaine de mon entreprise où en était la mode aux États-Unis ces jours-ci. La question les a déconcertés : « Qu’est-ce que tu veux dire? Eh bien… la Cinquième avenue est toujours à l’avant-garde des plus récentes tendances mondiales. » En effet, c’est une rue pleine de boutiques et de gens branchés et l’on ne peut pas manquer de remarquer la boutique Apple, toujours bondée. Il y a ceux qui utilisent les iPad, il y a ceux qui utilisent le iPhone. Tous semblent avoir de hautes attentes face à l’entreprise de M. Jobs et, pour des raisons connues de tous, les nouvelles versions soulèvent les passions. Les produits électroniques sont remplacés par des versions nouvelles et améliorées si fréquemment que les gens à l’affût de la tendance ne voient plus rien d’autre. En y pensant soigneusement, pourtant, il faut admettre que le code secret de la mode n’est connu que de quelques privilégiés.

Alors que j’écris cet article, une nouvelle tombe à l’effet que M. Jobs vient de démissionner de son poste de PDG d’Apple. C’est un choc pour toute l’industrie des technologies de l’information. Le départ de Jobs semble tragique pour tous ceux qui aiment ou admirent l’homme qu’est Jobs et les produits Apple. Qui sait si nous reverrons des produits aussi déterminants que les téléphones mobiles et les tablettes, et qui sait d’où les nouvelles tendances irrésistibles viendront ? Il semble que les gens s’attendent toujours à des miracles ; nous espérons toujours que surgisse un personnage à la Jobs pour agrémenter notre technologie d’agréables surprises.

La mode change avec l’air du temps, et de nouvelles marottes prennent la place des anciennes, et pourtant… Certains styles s’incrustent et laissent une empreinte indélibile dans nos vies. Ces produits-là ont une sorte de profondeur sociale. Les modes affectent le design de tous les produits imaginables, qu’ils se portent ou pas, mais c’est la couche psychique à laquelle elles s’adressent qui décide si elles vont ou non surmonter l’épreuve du temps.

*WU WEI est secrétaire du Comité du Parti et directrice générale adjointe de la China National Publications Import & Export (Group) Corporation.