中文 | English | عربي | Español | Deutsch
Société

Le business de la nostalgie

JIAO FENG, journaliste attitrée

Chacun aime se remémorer son enfance. Cela est d'autant plus vrai en Chine où la rapide transition sociale a souvent créé un inconfort psychologique qu’il faut évacuer. Et tant mieux si le réconfort cherché permet une hausse des ventes!

LA nostalgie fait généralement référence à une atmosphère douce-amère où l'on se sou-vient de « la vie d'avant ». Elle touche souvent les personnes âgées, mais récemment, une forme de nostalgie est de-venue à la mode pour les générations des années 1960, 1970 et même 1980. Chaque groupe d'âge a un passé propre sur lequel méditer. Les éléments rétro se retrouvent dans les vêtements, les divertissements, le cinéma, la littérature et à la télévision. C'est devenu le ferment essentiel de la promotion commerciale.

Des études psychologiques ont montré que l'on cherchait à se relier à une ambiance du passé en cas d'insatisfaction, de frustration, ou de peur du monde réel. Quand il est difficile de trouver du réconfort dans le présent, les gens se tournent vers le passé. La Chine a traversé une période de transition sociale et de développement rapide. Tôt ou tard, il lui faudra payer pour cette poursuite des plaisirs matériels et d'un mode de vie luxueux, et l'addition arrive généralement sous la forme de fatigue physique et psychologique. En se laissant alors aller vers les souvenirs du passé, on peut évacuer le stress, approfondir la compréhension de soi et cultiver la confiance. « Le peuple chinois, en particulier les jeunes, est nostalgique, commente Chen Huizhong, maître de conférence de sociologie à l’université des sciences et technologies Huazhong. C’est la preuve de l’évolution rapide de la société chinoise. De nouvelles choses se substituent à des plus anciennes jusqu’à assimilation totale. La nostalgie est une reconstruction du passé, et un fondement pour l’avenir. »

À l’Espace 798, à Beijing, un artiste habillé dans le style des années 1970 incarne la fierté des gens de cette époque à porter une montre fabriquée à Shanghai.

Mangez, buvez, souvenez-vous

Au son de la cloche, des jeunes, hommes et femmes, rentrent à l'école nº 8 de Beijing. Sur le tableau noir est écrit « Une nouvelle rentrée commence ». Un instituteur installe les élèves et leur tend des épreuves d'examen. Puis, avec le plus grand sérieux, il se met à écrire les réponses au test. En regardant par la fenêtre, vous pourriez penser qu'il s'agit d'un véritable établissement scolaire, mais l'école nº 8 de Beijing est en fait un restaurant. Le pupitre est la caisse enregistreuse, les bureaux sont des tables à manger, et chaque épreuve d'examen est un menu surmonté d'un questionnaire. Si le client obtient les bonnes réponses, il gagne une carte d'étudiant qui est en fait une carte de membre. Quand il a amassé suffisamment de crédits sur sa carte, le client peut obtenir un meilleur service et « participer aux activités extrascolaires du restaurant ».

Pour prétendre être une école, le restaurant a dû prêter une attention minutieuse à la décoration. Les cendriers ressemblent à des Transformers. Un Nintendo est présent dans un coin. Des affiches de dessins animés célèbres, comme Astro Boy, Shenbi Ma Liang (Le pinceau magique de Ma Liang) et San ge heshang (Les trois moines) sont placardées sur les murs. À l’arrière de la salle de classe, une marelle dessinée à la craie orne le plancher. Tout dans le restaurant est emblématique de l’enfance de la génération post-80. Han Tong, directeur de l’école nº 8 de Beijing, explique que ce restaurant à thème s’adresse aux personnes nées dans les années 1980.

Han Tong a lancé cette affaire avec son ami Yuan Bao en 2009. Au début, leur restaurant était une entreprise ordinaire ayant un chiffre d'affaires décevant, probablement en raison de son emplacement dans l’une des zones les moins prospères de la ville. Pour faire marcher les affaires, ils ont eu l'idée d'ouvrir un restaurant à thème. Appartenant tous deux à la génération post-80, ils ont utilisé leurs souvenirs d'enfance préférés pour décorer l'endroit et ont décidé que seuls les gens de leur âge pouvaient venir y manger. Comme par magie, cet endroit original s'est mis à prospérer. Parfois, les clients font la queue très longtemps pour avoir une table disponible. « Les gens ne viennent pas seulement pour dîner, explique Han Tong. Notre restaurant est aussi un lieu communautaire pour cette génération. Tout ici rappelle des souvenirs que mes clients partagent. Dans un environnement familier, les gens communiquent et se font des amis plus facilement. » M. Wang, un client régulier, confie : « Chaque fois que je viens ici, c’est un retour dans le passé. Je peux jouer à des jeux vidéo et aux cartes avec mes amis, on a l’impression de retourner à l’école. »

La nostalgie de cette époque nourrit de nombreux forums de discussion sur Internet. Il est facile de s'informer sur les jouets, la papeterie, les livres, les casse-croûte et les expressions idiomatiques. Certains des messages ont été lus plus de 100 000 fois par mois.

Les statistiques montrent que plus d'un million de personnes nées dans les années 1980 sont des « yizu » (jeunes diplômés en situation précaire vivant « regroupés comme dans une fourmillière » en banlieue), et que près de 100 millions appartiennent à la nouvelle génération de travailleurs migrants. La génération post-80 est passée par trois décennies de transformation sociale. Leur enfance a été heureuse, puisqu’ils ont généralement grandi dans de meilleures conditions que leurs aînés, et que leurs parents étaient mieux éduqués et leur ont infligé moins de pression. Actuellement, la majeure partie de cette génération appartient à la population active. La vie leur a surtout enseigné les difficultés : la recherche d’emploi, le stress du travail, et toutes sortes de compétition. Se perdre dans les brumes de l’enfance soulage de la douleur et de l’inconfort provoqués par les bouleversements sociaux.

Des jeunes jouent à « l’aigle capturant les poulets », un jeu classique des enfants chinois. PHOTOS: CFP

On s’habille de nostalgie

Wu Yaguang est designer dans une entreprise de décoration intérieure. Il apprécie la mode et tient à rester dans le vent. Sa garde-robe est dominée par les grandes marques. Il n'y a pas longtemps, il a acheté une paire de Warrior (alias Huili), simplement parce que la vedette hollywoodienne Orlando Blume a porté cette marque de chaussures.

Dans les années 1970, cette marque était la seule chaussure de sport en Chine. À cette époque, beaucoup de jeunes voulaient en acheter une paire, mais cette envie s'est ensuite atténuée, car beaucoup de sociétés de marques étrangères ont investi en Chine avec le lancement de la réforme et de l'ouverture. Mais en 2010, Warrior est à nouveau tendance, grâce à une vague de nostalgie. En deux mois, dix magasins Warrior ont ouvert leurs portes à Chongqing. Certains des magasins vendent quotidiennement plus de 100 paires à une clientèle surtout composée de jeunes. D’autres symboles des années 1970, notamment les chemises marinières et les tenues de gymnastique sont revenues à la mode.

En se baladant dans la rue Nanluoguxiang, on est facilement attiré par les objets dans les vitrines des boutiques à la mode : le bon vieux thermos (pour avoir constamment du thé), les gobelets d'étain émaillé, les boîtes d'allumettes et les sacs de toile verte sont réapparus après plusieurs décennies d'obscurité. Les nécessités terre-à-terre d'hier sont aujourd'hui des accessoires tendance indispensables.

Au Plastered 8 T-shirt, un magasin fondé par le Britannique Johnson Hill, alias Jiang Senhai, on se sent transporté dans la Beijing des années 1980. On y trouve des bassins émaillés, de vieux jouets en tôle et des vélocipèdes, mais les tee-shirts sont le produit phare de ce magasin. Tous conçus par le propriétaire, les tee-shirts portent des motifs comme « ticket de métro à 3 yuans », « vieille plaque de numéro de rue » et « affiche d’époque ». Il aime se remémorer, et il dit qu’innover grâce aux souvenirs est comme tenir une conversation entre le bon vieux temps et le présent, entre la Chine et l’étranger. Il poursuit : « Les articles dans mon magasin ne sont pas de simples copies de vieilles choses, ils comportent une touche moderne et même des éléments de la mode occidentale. Les jeunes les apprécient beaucoup. »

Wu Yaguang affirme qu'autrefois les gens décoraient leur maison avec des reproductions de tableaux célèbres, mais que maintenant, ils ont perdu cette habitude. Aujourd'hui, plus de clients choisissent de les remplacer par des fragments de broderie ou de porcelaine. Parfois, du vieux mobilier ou des articles ménagers usagés deviennent des objets décoratifs. Ils soulignent non seulement la personnalité de l'occupant, mais aussi son sens de l'humour et sa modernité.

Le retour des « fabuleuses » années 50 est l'une des principales tendances dans les milieux de la mode internationale. On la retrouve dans les jupes en forme de parapluie, signées Louis Vuitton, et les bottes de pluie colorées portées par de nombreuses vedettes. Cela ne signifie-t-il pas que, pour les citadins, la nostalgie est plus une question de mode que de mémoire ?

Le rétro consommable

Émotion douce et mélancolique, la nostalgie a été codifiée, marchandisée et intégrée dans un ensemble de modes qui sont le moteur de la croissance de la consommation rétro.

Mlle Zhu, une habituée des supermarchés, a découvert un nouveau yaourt sans fruit. Vendu dans un contenant en plastique, on peut le consommer tel quel. « Ça a le goût de mon enfance », explique-t-elle. Après l’avoir recommandé à ses amis, elle s’est vite aperçue que d’autres marques avaient lancé des produits similaires.

Une petite enquête sur cette tendance a révélé qu'une entreprise de produits laitiers de la province du Qinghai a été la première à produire ce type de yaourt traditionnel. Cette société a réalisé avec succès la production industrielle de yaourt traditionnel, et pour souligner le côté typique de leur produit, elle l'a appelé « yaourt traditionnel du Qinghai ». Les clients se sont rués sur ce produit dès qu'il est apparu sur le marché. Les touristes de passage dans le Qinghai en achètent par caisse. Ce yaourt a suscité l'attention de nombreuses entreprises laitières. Certaines lui ont emboîté le pas et inondent le marché de produits similaires.

Une vague de nostalgie a également balayé l'industrie cosmétique. De vieilles marques chinoises telles que Pehchaolin, Yumeijing, Bee & Flower et Miracle renaissent de leurs cendres et créent un engouement sur Internet. Sur les sites commerciaux comme Taobao et Paipai, de nombreux magasins en ligne ne vendent que ces marques chinoises traditionnelles. Mlle Zhou explique l’attrait des consommateurs pour ces marques : « J’utilisais Pehchaolin et Yumeijing quand j’étais enfant. Ce sont toujours des produits de bonne qualité, mais c’était devenu difficile de les trouver. » Elle a partagé ses vingt ans d’expérience avec des internautes sur un forum consacré aux vieilles marques chinoises, et observe : « Plusieurs de mes amies ont recommencé à utiliser ces cosmétiques classiques. »

Glorifier le passé fonctionne également bien pour les produits de divertissement. Les parts de marché de certaines séries télévisées ont atteint des niveaux records. En 2010, le nouveau film de Zhang Yimou Shanzashu Zhilian (Sous l’aubépine) a rapporté plus de 160 millions de yuans, établissant un nouveau record au box-office des films d’art et essai chinois. Un internaute a écrit : « Cela faisait des années qu’un film ne m’avait par ému – depuis que j’avais pleuré en regardant Sur la route de Madison en avion – mais Shanzashu Zhilian m’a fait pleurer en public pour la deuxième fois. Ce film a la magie de rappeler à tout le monde l’âge de l’innocence. » Pendant ce temps, Suiyue Shen Tou (Souvenirs d’un arc-en-ciel) et Post-80 ont aussi tiré des larmes à un large public.

Liu Tao, un professeur de publicité à l'Université d’agriculture du Henan, explique que la nostalgie est une émotion qui se languit du passé et qui peut soulager la douleur provoquée par l'oubli. Si une réminiscence est transférée à la consommation, une pulsion d'achat s'ensuivra. Les fabricants peuvent attirer des clients avec la publicité et le marketing appropriés afin de déclencher les envies cachées de ceux qui sont sujets à la nostalgie.

查查法语在线翻译
Panorama de Chine
Les 60 ans de la RPC
Du petit magasin aux boutiques sur Internet
Les changements de la vie nocturne
Toit du monde
Le Tibet a accueilli 2,25 millions de touristes au cours du premier semestre de 2011
Tendance
Semaine de la mode de Chine (FANGFANG,TRIES MAN et WHITE COLLAR)
Semaine de la mode de Chine: un défilé de créations de NE-Tiger
Semaine de la mode de Chine (GIOIA PAN)
Semaine internationale de la mode de Chine : Défilé Qi Gang
À la chinoise
Bonne année du Tigre
Admirez-moi cet objet…
L'art du canard laqué
Des poupées… et leur secret
Mots clés pour comprendre la Chine
Shufa
Laoshi
Lian 脸
Chi, ou le plaisir de manger
Livre
Forêts de Chine
Proverbe
San ren cheng hu 三人成虎
Beijing Information CHINAFRIQUE La Chine Éditions en langues étrangères
China.org.cn Xinhuanet Quotidienn du peuple CCTVfr RCI
À propos de nous | Service de publicité | Nous contacter

Conseiller juridique | Abonnement

Droits d’auteur : La Chine au présent