LIU QIONG

MALGRÉ son grand âge, la Blanche-Neige de Disney reste toujours une héroïne dont la pureté est intacte dans l’esprit du public mondial. D’après les prévisions publiées par le gouvernement municipal de Shanghai, la construction de Disneyland dans cette ville sera achevée en 2014. Les enfants chinois seront alors à même de visiter ce royaume de contes de fées sans avoir à se rendre en dehors de la partie continentale de Chine, savourant ainsi le plaisir infini que leur procurent les charmants personnages de celluloïd.

Effet Disney

Peu de temps après la clôture de l’Expo de Shanghai, le parc Disney a été mis en chantier à Chuansha, dans la nouvelle zone de Pudong. Couvrant une superficie de 116 ha, ce parc, dont les investissements devraient atteindre 24,48 milliards de yuans, deviendra le 6e du monde et le 2e du pays. Les cinq autres se trouvent respectivement à Los Angeles et Orlando (États-Unis), Tokyo (Japon), Paris (France) et Hong Kong (Chine).

En 2007, Disneyland Tokyo a enregistré 25,42 millions de visiteurs, alors que celui de Paris, 15,3 millions en 2008. Si celui de Shanghai atteignait 20 millions par an au prix prospectif de 300 yuans le billet, la recette annuelle d’entrées atteindrait 6 milliards de yuans.

D’après les statistiques des autres Disneyland, un yuan de billet d’entrée stimulerait huit yuans d’autres dépenses. On peut s’attendre à ce que la consommation de base des visiteurs (déplacements, nourriture, hébergement, tourisme, achats, loisirs) atteigne 48 milliards de yuans grâce à Disney.

Sur le marché boursier chinois, toujours sensible, de nombreuses sociétés cotées à la Bourse et liées aux thèmes de Disney ont vu leur valeur présenter de belles performances.

Il en est de même pour le marché foncier et immobilier aux alentours de Disneyland Shanghai, en cours d’élaboration. Le mois même de l’approbation officielle du parc, le prix moyen des logements commerciaux dans la région de Chuansha, située en banlieue périphérique, a augmenté de 31,6 %, tandis que l’augmentation moyenne d’autres zones périphériques était de moins de 2 % à la même période. Tout cela explique que ce projet pourra offrir des perspectives réelles et considérables de développement économique.

« La construction du parc Disney profitera à long terme au tourisme de Shanghai et, dans une grande mesure, permettra de minimiser le risque de baisse du nombre des touristes après l’Expo universelle », souligne Ma Haiqian, directrice adjointe du Centre d’économie globale relevant de l’Institut de recherche sur le développement et la réforme de Shanghai. Pour elle, ces dernières années, la perspective de l’Exposition universelle avait accéléré les investissements dans les infrastructures touristiques de la ville; pourtant, on se souciait toujours du surplus de celles-ci après la clôture de l’Expo. Maintenant, cette inquiétude s’est atténuée et a même disparu avec ce projet de construction. Si, comme prévu, le parc pouvait ouvrir vers 2014, le nombre des touristes à Shanghai serait impressionnant, vu l’énorme potentialité du marché intérieur.

Promouvoir le secteur tertiaire

En 1983, lors de l’ouverture de Disneyland Tokyo, le parc a introduit le service à l’américaine. Grâce à un accueil amical, les touristes se sont sentis aimés et détendus.

Zhou Qing’an, commentateur spécial à CCTV, a estimé que l’ouverture de Disneyland aidait souvent à améliorer grandement le niveau du service du lieu dans divers domaines : transports, tourisme, par exemple. Tokyo, Paris et Hong Kong nous ont ainsi fait constater la promotion du secteur tertiaire, et Shanghai devrait également connaître un décollage dans ce domaine.

Parmi les employés de Disneyland Tokyo, plus de 90 % étaient temporaires. En vue de promouvoir la qualité et le niveau du service de tous les effectifs, l’entreprise avait établi un règlement strict. Après avoir quitté Disneyland, ces employés provisoires bien formés se sont répartis dans tout le pays, tout en répandant le niveau de service de celui-ci. Autrement dit, l’influence de Disneyland Tokyo est bien évidente. En effet, il a joué un rôle non négligeable pour améliorer les services dans l’ensemble du Japon.

Suite au succès immense de ce parc, une vogue de parcs à thèmes s’est formée au Japon. Bien que ceux-ci n’arrivent pas à reproduire la même valeur économique et culturelle, la concurrence acharnée a sûrement contribué à accroître le niveau de service du pays.

Tout comme l’indique Han Zheng, maire de Shanghai, l’objectif stratégique de la reconversion économique de la ville est de former, dès que possible, une structure industrielle basée sur l’économie des services, au lieu de compter sur l’exportation.

« L’installation du projet de Disneyland Shanghai constitue aussi une bonne occasion pour les entreprises chinoises d’apprendre quelque chose », signale Zhou Ying, responsable du Centre de l’industrie de l’animation de Shanghai. Considéré comme le roi des dessins animés, Disney possède des compétences de conception de premier ordre. Par l’intermédiaire de Disneyland Shanghai, le modèle de fonctionnement et les expériences en matière de dessins animés de première classe seront introduits en Chine, permettant ainsi aux entreprises chinoises de joindre la culture internationale de l’animation, d’où un impact important pour leur développement.

Invasion ou coopération?

La nouvelle de la construction de Disneyland Shanghai a fait exploser l’enthousiasme de nombreux parents et enfants. Parallèlement, les contestataires ne manquent pas non plus. Ceux-ci se demandent ce qu’apportera ce lieu à la Chine et s’il va attaquer sa culture.

En janvier dernier, Disneyland Hong Kong a révélé ses performances pour la première fois depuis plus de quatre ans : en 2009, il a enregistré une perte nette dépassant 1,3 milliard $HK. Et en septembre dernier, cinq ans après son ouverture, des chercheurs ont découvert que le flot de visiteurs et les bénéfices économiques étaient tous inférieurs aux prévisions effectuées avant la construction en 1999. Les entrées ne dépassent pas 78 % des espérances, et les bénéfices économiques, 53 %.

Selon Rita Lau Ng Wai-lan, secrétaire du Bureau de développement commercial et économique de Hong Kong, le gouvernement de la Région administrative spéciale (RAS) de Hong Kong suit toujours de près les performances de Disneyland Hong Kong. Depuis son ouverture, il a accueilli plus de 19 millions de visiteurs, rapportant de réels bénéfices économiques à Hong Kong. Malgré cela, le gouvernement de la RAS de Hong Kong « n’est sûrement pas satisfait de la situation financière actuelle du parc ».

Sur le plan de la coopération, le modèle de Shanghai est pareil à celui de Hong Kong. En d’autres termes, la partie américaine envoie une équipe de gestion de haut niveau et fournit le droit d’utilisation des marques, tout en conservant 7 % des bénéfices tirés de ce droit. Quant à la partie chinoise, elle fournit les gestionnaires d’échelon intermédiaire et les employés, et elle paie à l’autre partie les frais de marque, de gestion et le salaire des gestionnaires de haut niveau. D’ailleurs, l’entreprise est mise sur pied par la partie chinoise qui détient 57 % des actions.

Dans ce modèle, bien que le gouvernement de la RAS de Hong Kong ait empoché 50 % des recettes des entrées, il n’a rien perçu sur les objets souvenirs et la restauration. De plus, pour d’autres programmes connexes, tels Disney Hotel, la chaîne de télé payante Disney Channel et le système d’éducation Disney English, les profits ne concernent en rien le gouvernement de la RAS de Hong Kong. Ceci a pour conséquence des déficits plusieurs années de suite, sans parler de la part qui revient aux actionnaires.

Dans ce contexte, certains ont remis en question les retombées économiques de Disneyland Shanghai : ne serait-ce pas un miroir aux alouettes?

Par ailleurs, toutes les franchises Disney reposent sur une identification culturelle puissante. Non seulement la Chine adopte une attitude prudente face à celle-ci, mais la France et le Japon s’attachent également à éviter une invasion de la culture américaine que représente Disney. Lors de ses premières années au Japon, Disneyland a dû affronter le problème de son adaptation aux conditions locales. Plus tard, grâce à de nombreuses modifications, les particularités japonaises s’y sont intégrées; même les toilettes du parc ont été conçues selon ce style.

À cet égard, Lu Hanlong, directeur de l’Institut de recherches sur le développement social relevant de l’Académie des sciences sociales de Shanghai, expose ses points de vue : « Il y a des règles pour ce qui est de l’influence, de l’assimilation et de la différentiation entre différentes cultures. À une époque marquée par l’abondance des informations et des échanges, si l’on se préoccupe de l’influence d’un projet ludique sur la culture d’un pays, cela montre que l’on n’est ni conscient ni confiant en celle-ci. Nul besoin d’être si sensible. »

En fait, l’arrivée de n’importe quelle nouveauté est accompagnée d’incertitude. Tout comme il est impossible qu’en bourse un titre gagne sans jamais perdre de valeur, pour envisager les bénéfices économiques que rapporterait Disneyland Shanghai, il faut tenir compte de nombreux facteurs, dont le temps et la conjoncture économique.