ZHANG JUAN et YAN WEIJUAN

 Du 4 au 6 novembre derniers, le président Hu Jintao a effectué une visite d’État en France. Lors de cette visite, les deux pays ont signé des contrats très importants, mais les médias français ont semblé accorder plus d’attention au thème des droits de l’homme en Chine. Les deux pays ont des intérêts communs, mais bon nombre de différends les opposent. Cette visite aidera-t-elle à réduire ces différends? Le sinologue Lionel Vairon* nous a fait part de ses réflexions et impressions sur une série de sujets d’actualité. 

Quelles sont vos impressions sur la dernière visite de Hu Jintao en France? Cette visite permettra-t-elle de dépasser les simples relations commerce-investissement?

 Je crois que cette visite a consacré une certaine maturité des relations franco-chinoises après les tensions de l'année 2008. La France a besoin de la Chine sur le plan économique, et le président français a clairement lancé ce message à son homologue chinois à travers la qualité de l'accueil qui lui a été réservé et qui contraste avec les propos tenus à l'époque des Jeux Olympiques. Je ne crois pas toutefois que ces relations puissent largement dépasser le stade économique et commercial.

Par ailleurs, la Chine a besoin d’une alliance politique avec l’Europe; elle a également besoin de ses technologies de pointe, en particulier dans les secteurs du nucléaire et de l’aéronautique.

 En général, pour les deux parties, je pense que cette visite est le résultat de calculs pragmatiques et qu’elle ne règle pas tous les problèmes de fond entre la France et la Chine ni entre M.Sarkozy et la Chine.

La France a obtenu des contrats d’une valeur de 14 milliards d’euros, mais des médias accusent Nicolas Sarkozy de ne pas exercer plus de pression sur la Chine en matière de droits de l’homme. Qu’en pensez-vous?

 Les médias français surestiment considérablement le poids de la France auprès de la Chine. La courtoisie élémentaire en matière de relations diplomatiques veut que les sujets difficiles soient abordés hors des caméras, dans des enceintes diplomatiques fermées. Les opinions publiques ont été trop habituées à voir le thème des droits de l'homme jetés en pâture aux médias par des hommes politiques à court d'arguments sérieux. Je peux supposer, à tort ou à raison, que ce sujet a été abordé à huis clos.

Quelle est l’image de la Chine aux yeux des Français?

 L'image de la Chine s’est fortement dégradée auprès du public français sous l'effet du matraquage médiatique ininterrompu des dernières années. La Chine n'est toutefois pas le seul pays à connaître ce sort; cette approche relève de la nature même des médias qui recherchent le sensationnel, les failles, les erreurs et occultent trop souvent les progrès et les réussites. Critiquer la Chine est aujourd'hui porteur, et tenter d'en présenter un portrait plus nuancé, plus objectif, est dévalorisant. Cependant, c'est aussi la contrepartie de l'émergence d'une puissance comme la Chine dans l'ordre international, la critique fait partie du jeu. On ne cesse de parler de la « menace chinoise », mais ce ne sont pas les troupes chinoises qui occupent l'Irak et l'Afghanistan ou qui entretiennent des centaines de bases militaires à travers le monde. Il existe un angle d'analyse négatif vis-à-vis de la Chine qui s'appuie sur la nature du système politique chinois — un parti unique — et sur la crainte de bouleversements de l'ordre (ou du désordre?) international issu de la Seconde Guerre mondiale et dominé par les Occidentaux.

Les États-Unis et certains pays d’Europe, comme la France, prêtent toujours une grande attention à la question du taux de change du yuan chinois, laquelle, selon eux, est étroitement liée au rééquilibrage du commerce international. Mais la FED a inondé le marché de liquidités. Quel est votre point de vue sur cette question?

 Nous avons constaté en 2008, au début de la crise financière, que la stratégie américaine reposait sur le mode « faites ce que je dis et non ce que je fais ». Après avoir prêché les privatisations tous azimuts et la dérégulation pour les pays en développement, les États-Unis eux-mêmes ont repris le contrôle étatique d'une partie de leur économie. Il en va de même pour la monnaie. La situation économique américaine est particulièrement grave, et en mettant en circulation massivement des dollars sur le marché pour contraindre la Chine à réévaluer le yuan, Washington n'hésite pas à utiliser des moyens qui nuiront gravement à toutes les autres économies pour protéger la leur. Jusqu'à présent, les États-Unis demandaient à la Chine de créer du chômage chez elle pour sauver des emplois chez eux, et ils n'hésiteront pas à déséquilibrer l'ensemble de l'économie mondiale si tel est leur intérêt. C'est leur intérêt national qui prime.

 Des médias occidentaux accusent la Chine d’une dégradation de l’environnement d’investissement. Qu’en pensez-vous?

Les entreprises européennes trouvent de plus en plus difficile d’investir en Chine. Tout ce qui est administratif, tout ce qui est formalité leur paraît plus compliqué aujourd’hui. Cette forme de néoprotectionnisme économique est dangereuse pour tous.

 Mais l’amélioration du cadre législatif et l’accès de plus en plus strict au marché ne sont-ils pas aussi une protection pour les entreprises?

 Pour beaucoup de sociétés étrangères, surtout les PME, encore récemment, la Chine était un peu le Far West, c'est-à-dire qu’on pouvait y venir et faire ce qu’on voulait, s’y enrichir, travailler sans contraintes légales, ne pas respecter le droit du travail par exemple. Il y a deux ans, j’ai travaillé avec une société française de fabrication dans la province du Fujian. Comme les autres provinces de la côte, le Fujian était devenu plus cher, parce que le salaire des ouvriers était plus élevé. Les prix étaient donc montés, et cette société française, qui est une assez grosse société de distribution, nous a dit que leur partenaire chinois n’avait qu’à produire dans les provinces intérieures pour que l’on pouvait payer moins les ouvriers. C’était la partie française qui disait cela.

Des sociétés occidentales veulent profiter de ce type d’environnement en Chine. Donc, quand la Chine commence des réformes, par exemple mettre en application le Code du travail de façon de plus en plus stricte, plus de règles pour limiter la pollution, les entreprises trouvent que c’est défavorable à leur intérêt. C’était auparavant plus facile pour elles.

C’est toujours le discours ambigu du côté étranger, c'est-à-dire que l’on veut que la Chine respecte les droits de l’homme, mais qu’elle ne dérange pas les intérêts économiques. Je pense que ce que les entreprises ressentent aussi aujourd’hui, c’est l’application de plus en plus stricte du Code du travail, des règles économiques et des règlementations sur l’environnement.

Quel est votre avis sur le prix Nobel de la paix?

Je pense que c’est peut-être la fin du prix Nobel de la paix. En d’autres termes, dans le cas du président Obama, c’était déjà très difficile à accepter, mais pour Liu Xiaobo, cela n’a pas de sens, n’a pas de rapport avec la paix ni avec les droits de l’homme. D’ailleurs, il est amusant de voir que les principaux opposants à l’attribution de ce prix, ce sont les dissidents chinois qui sont installés aux États-Unis, notamment Wei Jingsheng et tous ceux qui gravitent autour de lui. Ce sont les premiers à protester contre ce prix. Ce sont eux qui ont publié sur Internet la fiche du salaire de Liu Xiaobo, l’argent qu’il reçoit du National Endowment for Democracy depuis des années, établissement dont on connaît les sources de financement.

Le Chinois ordinaire est perplexe, car il semble que tout à coup la Chine est assaillie de différends avec divers pays. Pourquoi?

Parce que le rythme de développement de la Chine est très rapide et que son influence internationale s’élargit de jour en jour. Beaucoup de pays, surtout les pays occidentaux comme les États-Unis, ont peur de l’émergence de la Chine, de sorte qu’ils dressent des obstacles pou freiner son développement. Pourquoi les pays occidentaux critiquent-ils la Chine et ont-ils même envie de la contrôler? Les raisons sont diverses, mais une partie relève de la psychologie : la Chine est très différente des autres pays, elle est socialiste, orientale et n’est pas de tradition judéo-chrétienne. Son modèle de développement, qui comporte naturellement des lacunes et des aspects critiquables, remet en question certains dogmes du développement qui ont été élaborés par les Occidentaux, en particulier dans la relation entre le politique et l’économique. Quand la Chine s’affirme davantage sur la scène internationale, les Occidentaux sont surpris, car son approche est souvent différente. La remise en question de cette domination occidentale sur les dogmes est très difficile à accepter, car elle représente l’entrée dans une nouvelle ère historique.

D’après vous, la Chine est-elle une menace?

L’émergence de la Chine est irrésistible. Si l’Occident envisage de la contrôler, cela entraînera de graves problèmes; s’il l’accepte avec une attitude ouverte, les crises majeures et les conflits devraient être évités. Mais actuellement, l’Europe et les États-Unis n’ont pas encore décidé de l’accepter. 

Bien que les États-Unis aient envahi l’Irak et l’Afghanistan et qu’ils soient en réalité une menace, les populations occidentales ne les perçoivent pas ainsi, car le système politique et économique américain est intelligible pour eux. Mais la culture et la politique de la Chine leur semblent très loin. En un mot, la théorie de la menace de la Chine est un problème largement psychologique. La Chine doit faire plus d’efforts pour être mieux comprise par le monde.

Que peut alors faire la Chine?

Elle peut continuer sa voie, mais en développant sa communication à l’international. À la fin de mes conférences en Chine, une question est souvent posée : pourquoi la Chine devrait-elle faire des efforts pour être comprise? D’après certains Chinois, la Chine n’a pas besoin de se faire comprendre. Si les autres pays ne la comprennent pas, tant pis pour eux. Je ne partage pas cet avis, car la Chine est un grand pays, une future grande puissance, et aucune puissance mondiale ne peut ainsi s’isoler et accepter les malentendus et les incompréhensions. 

 Pourquoi avez-vous écrit un livre sur la Chine, paru en chinois en 2009?

En France, les médias, chercheurs et sinologues critiquent presque quotidiennement la Chine. Personne ne parle de ses succès. La Chine a bien sûr des problèmes, notamment en matière de droits de l’homme, de religion, de société et d’économie, mais la France et les autres pays occidentaux en affrontent aussi. Par conséquent, nous devons présenter la vraie Chine au public français en gardant une attitude objective, critique, mais équilibrée. Je n’ai pas l’intention de protéger la Chine ; je souhaite simplement présenter ma vision et mon expérience de la Chine.