WANG XUEFEI

En Chine, les 18-35 ans ne rêvent plus d’un vélo comme l’ont fait leurs aînés; beaucoup d’entre eux estiment maintenant qu’une voiture est indispensable, même si les dépenses qu’elle entraîne pèsent lourd par rapport à leur revenu. Le point sur les avantages et les désavantages de leur décision.

BIEN que dans les grandes villes chinoises la voiture représente quelques années de revenu d’un jeune ayant un salaire supérieur à la moyenne, en 2009, plus de 13,5 millions de voitures ont été vendues en Chine, et 80 % d’entre elles ont été achetées par des gens de moins de 35 ans. Tout comme être propriétaire d’un appartement, posséder sa voiture est devenu de plus en plus important dans la vie des jeunes Chinois des grandes villes.

Les besoins réels ou créés

Il y a une réalité incontournable : les métropoles comme Beijing et Shang-hai sont très grandes. Si quelqu’un habite dans l’est de la ville et travaille dans l’ouest, en transport en commun, il lui faut de deux à trois heures pour se rendre au travail; s’il n’habite pas à proximité d’une station de métro, c’est encore pire, et la voiture est alors encore plus « indispensable » pour faire le trajet. C’est le cas de Liu Yan, 29 ans, qui habite à 30 km de l’entreprise pour laquelle elle travaille; si elle n’avait pas de voiture, elle considère que son trajet serait encore plus pénible. Beaucoup plus confortable que les autobus bondés, la voiture l’est encore davantage lors des journées froides de l’hiver ou au moment de la canicule. Bien sûr, il y a le taxi (d’ailleurs pas très cher en Chine), mais parfois, il faut l’attendre longtemps, surtout en cas de mauvais temps. Cheng Wenjun, 25 ans, pense donc avoir réglé ce type de problèmes depuis elle a acheté une voiture en février dernier.

Un autre argument est tout aussi crucial. En effet, aujourd’hui, quand les jeunes parlent de mariage, deux facteurs sont importants : l’appartement et la voiture. Si un célibataire possède un appartement et une voiture, il lui sera plus facile de trouver l’âme sœur. La preuve: au cours d’une émission de rencontres, quand un jeune homme a posé à une jolie invitée la question « Voudriez-vous sortir avec moi en vélo? », celle-ci a rétorqué : « Je préfère pleurer dans une BMW plutôt que de rire sur un vélo. »

La voiture satisfait aussi le besoin de son jeune propriétaire d’affirmer son individualité. On voit ainsi des voitures dont la carrosserie est peinte de différents motifs ou ornée de pièces aérodynamiques. Par exemple, grâce à la décoration, on peut savoir que l’homme aime la course automobile ou que la jeune femme adore Hello Kitty. À lui seul, le modèle de l’auto qui a été achetée peut être très révélateur. Voici ce qu’en dit Sun Jing, 26 ans, l’heureuse propriétaire d’une Citroën C4 : « Normalement, les jeunes qui conduisent une voiture française cherchent la nouveauté et l’individualité. » Soit dit en passant, même si elles ne sont pas les plus populaires en Chine, les automobiles françaises ont la réputation d’offrir une conduite sportive. À Beijing, l’automobiliste profite aussi d’un autre moyen pour affirmer son individualité : enregistrer sa plaque d’immatriculation avec un numéro qu’il a choisi. Pour ma part, j’ai choisi 6GT11 pour ma C4. Six et onze sont deux chiffres que j’aime, alors que GT (Gran Turismo) indique mon rêve que ma voiture soit aussi puissante que la C4 de Sébastien Loeb, vainqueur du WRC (championnat mondial des rallyes).

Finalement, la voiture satisfait le besoin de sortir en offrant la possibilité de faire des excursions. C’est justement ce qui a incité Hou Junfeng, 25 ans, à acheter une voiture : « Le paysage en route est parfois plus beau que la destination elle-même. » Ce facteur a joué aussi dans le cas de Liu Yan et dans celui de Sun Jing; cette dernière a d’ailleurs effectué une randonnée de deux semaines en voiture avec des amis.

Par ailleurs, en 2009 et en 2010, les « besoins » des éventuels acheteurs de voitures ont été ravivés par des mesures incitatives de l’État. Par exemple, en 2009, il y avait une réduction de 50 % de la taxe à l’achat d’une voiture de 1,6 L ou moins, et en 2010, elle est de 25 %. C’est justement à cause de cette mesure que Sun Jing a décidé de changer sa voiture de 2,0 L pour une C4 (édition 1,6 L) et que le couple de Cheng Wenjun s’est finalement décidé à acheter une voiture. D’après ces mesures, si l’acheteur remplace son ancienne voiture par une nouvelle, il peut recevoir une subvention de l’État variant de 3 000 yuans à 6 000 yuans, suivant la cylindrée et le niveau de pollution de son ancienne voiture. Selon les données du ministère du Commerce, au premier semestre de cette année, 174 000 remplacements de voitures ont été subventionnés, pour une valeur de 2,4 milliards de yuans. Cette mesure a suscité l’achat de nouvelles voitures pour une valeur totale de 20,5 milliards de yuans durant la même période.

Finalement, les clubs automobiles regroupant les propriétaires de voitures d’une même marque s’appliquent aussi à satisfaire le besoins de trouver de nouvelles occasions d’activités sociales. Parmi les activités qu’ils offrent, notons les voyages en banlieue ou en province, la location de voitures pour des mariages et l’achat de billets de cinéma pour des sorties en groupe.

Les inévitables inconvénients

Presque tous les automobilistes croient que le stationnement est maintenant le plus grave problème. Comme Sun Jing le révèle : « Il est difficile de garer sa voiture. Parfois, stationner prend plus de temps que le trajet, même avec des embouteillages. » Selon Cheng Wenjun, les frais de parking dans le centre-ville des grandes métropoles sont trop élevés. Par exemple, dans le CBD (quartier des affaires) de Beijing, il en coûte 800 yuans par mois, et dans les quartiers d’habitation, de 150 à 600 yuans par mois. À Shanghai, acheter un espace pour garer sa voiture peut demander jusqu’à 250 000 yuans. Au centre-ville de Beijing, les frais de parking sont de 15 yuans l’heure; c’est le prix d’un repas dans une grande chaîne de restauration rapide!

Les plaintes des automobilistes touchent aussi les formalités auprès des assureurs après un accident. Selon beaucoup d’entre eux, celles-ci sont trop longues et trop compliquées. Dans ce contexte, beaucoup d’automobilistes se passent de remplir un constat, et il est fréquent que les responsables d’un accident compensent la victime directement pour les dommages causés.

Les inconvénients à posséder une voiture peuvent aussi être assez grands pour qu’on décide simplement de s’en débarrasser. C’est ce que Song Xueying a fait récemment, et elle nous en donne les raisons : « Les embouteillages sont de plus en plus graves. Comme j’habite près de mon lieu de travail, pour moi, l’autobus est plus pratique pour m’y rendre. Quand j’ai acheté ma voiture, j’étais célibataire. Maintenant, comme mon mari en possède une, notre famille n’en a pas besoin de deux. Quand on songe qu’il faut payer l’essence, l’assurance et les divers frais liés à une voiture, on économise de l’argent à prendre le taxi. Si je ne conduis pas, je peux me reposer, sans me soucier des embouteillages, de la consommation d’essence et de la sécurité... » Beaucoup d’automobilistes chinois pensent comme elle; si le réseau de transport en commun était plus développé, il y aurait probablement moins de voitures dans les grandes villes chinoises.

Pour tous les goûts

Les jeunes rêvent évidemment de BMW et de Mercedes-Benz, mais leur choix se porte souvent sur des modèles de Volkswagen (établi depuis longtemps en Chine), ainsi que sur les RAV4 de Toyota, CR-V de Honda, SX4 de Suzuki, Tiida de Nissan et Mazda 6. Du côté des voitures américaines, les modèles de Ford attirent par leur apparence, alors que les européennes Peugeot 307, Citroën C4 et Fiat Palio sont appréciées pour leur rapport qualité-prix. Si on ajoute les nombreuses marques chinoises et coréennes bon marché, les jeunes Chinois ont vraiment l’embarras du choix.

Certains jeunes, issus de familles riches ou dont la carrière est particulièrement florissante, se déplacent dans une voiture très chère; à Hangzhou, Shanghai et Beijing, on en voit qui conduisent des Maserati, Porsche, Lamborghini ou Ferrari. D’autres, branchés, mais peut-être un peu moins prospères, vont apprécier les Mini Cooper, Audi TT et Touareg de Volkswagen, ou alors un modèle de Land Rover ou d’Infiniti, car ce type de voitures leur permet tout de même d’afficher leur succès et leur classe sociale.

Question carrosserie, bien des Chinois préfèrent toujours les voitures plus grandes qui affichent la richesse et permettent de transporter plus de bagages. Les véhicules utilitaires sport ont donc souvent la faveur. Cependant, pour la plupart des jeunes, ce n’est pas tant l’espace qui compte, mais le rapport qualité-prix, une carrosserie bien conçue, la consommation d’essence, la puissance du moteur et la marque. Ils portent également attention à la couleur et à la suspension, au châssis, à la boîte de vitesse, aux pneus et au coût d’entretien. Contrairement à leurs aînés qui, en matière de voitures, choisissent souvent une voiture qui donne « l’apparence de la classe », les jeunes semblent avoir un esprit plus pragmatique : ils n’oublient pas que la voiture est avant tout un moyen de transport.

On peut donc dire que les jeunes Chinois commencent à s’enthousiasmer pour les voitures comme les Occidentaux l’ont fait dans les années 1970. Cependant, pour ce qui est de l’ensemble des familles urbaines chinoises, beaucoup n’ont toujours pas de voiture, bien qu’on puisse croire qu’en posséder une se généralisera dans le futur.