PARTIE de la ville de Québec (Canada), je suis arrivée à Beijing sans démarche de documentation récente sur les éléments du parcours « sportif » qu’avait concocté l’agence de voyages. Par contre, j’avais longtemps rêvé de la Chine, surtout depuis que deux de mes proches s’y sont installés en 1995. Ainsi, j’avais dévoré le roman Impératrice de Shan Sa, l’histoire de Cixi dont j’ai retrouvé les traces à la Cité interdite. Curieuse de la culture chinoise, j’avais même abordé Le Rêve dans le Pavillon rouge, sans jamais ni terminer l’ouvrage, ni renoncer à le faire.
Par ailleurs, la médecine traditionnelle chinoise, dont l’acupuncture, de même que le tai-chi et le qi gong faisaient partie de mes explorations passées. On m’avait raconté que les enfants chinois apprennent à l’école l’histoire du Dr Bethune (1890-1939), un médecin canadien encore célèbre en Chine. D’autres voyageurs m’avaient bien prévenue du « choc chinois », effet combiné de la densité de population, de la pollution, du contraste culturel et du décalage horaire, si bien que sa violence m’a moins surprise. Pour moi, l’empire du Milieu, c’est aussi l’autre bout du monde. En fait, une fois arrivée là-bas, essayer d’aller encore plus « loin » ne pouvait en quelque sorte que me rapprocher de chez moi.
Premières impressions
Le sentiment dominant qui persiste encore, c’est celui d’avoir approché une force de travail titanesque dont les exploits ne manquent ni dans les faits ni dans les projets. Par exemple, nous avons traversé la remarquable ville de Chongqing qui est passée, en 15 ans, d’une ville modeste à une scintillante cité ultra moderne de 32 millions d’habitants. Dans le même ordre d’idées, tous les hôtels où nous avons été reçus étaient des constructions récentes et bien tenues. Au quotidien, l’énergie et l’effort investis par les individus laissent bouche bée. Un salon de coiffure grand ouvert à 21 h un samedi soir et des écoliers qui potassent dix-huit heures par jour pendant les semaines précédant d’exigeants tests de sélection, ce n’est pas courant chez nous! Parmi les ouvrages impressionnants, le gigantesque barrage des Trois-Gorges est en fin de réalisation pour tenter de répondre aux importants défis énergétiques.
Une autre impression persistante, c’est la contribution des compétentes travailleuses chinoises, bien visibles dans les emplois d’accueil du secteur touristique. L’empire du Milieu laisse des souvenirs de contrastes entre un passé millénaire et un modernisme triomphant, entre l’accueil courtois et la réserve tout en nuances, entre le canard laqué et le KFC.
Dans les lieux touristiques, c’est la densité de la foule qui étonne et qui force le déplacement du groupe à la queue leu leu, derrière le fanion du guide local et en croisant des regards chinois parfois indifférents, mais souvent curieux et souriants. Dès que le groupe de touristes est immobilisé, le temps d’observer ou d’écouter les commentaires des guides, certains s’approchent pour apprivoiser la musique du français ou peut-être pour profiter de l’aubaine d’apprentissage d’une langue étrangère. Les plus hardis demandent à être photographiés en souvenir de cette furtive rencontre avec un nouvel ami exotique. Certains, moins courtois, s’imposent dans la bulle d’intimité, allant jusqu’à reposer la tête sur l’épaule de l’étranger en tendant le cou, agresser ses oreilles par des bruits de rots, ou attaquer son nez par la fumée de cigarette quand ils sont voisins de table au restaurant.
Anecdotes marquantes
Il y a eu plusieurs moments magiques, dont un extraordinaire massage qi gong qui a énergisé la suite de mon périple et dont je ressens encore les bienfaits. Que dire aussi du souvenir amusé de cette promenade en tricycle dans le Vieux Beijing? Au moment du départ, notre conducteur a dû faire face à un problème de dérailleur qui a arraché à ses passagères des soupirs de déception. Faisant contre mauvaise fortune bon cœur et vérifiant régulièrement que ses manœuvres d’expert nous amusaient autant que lui-même, le vaillant pédaleur nous a ensuite entraînées dans des sprints et des crochets habiles, permettant à notre véhicule de regagner son rang dans le défilé de notre groupe traversant les hutong. Et une autre anecdote, inoubliable de complicité et de fous rires partagés, est celle avec un technicien et une technicienne, appelés pour régler le climatiseur de notre chambre. Comme nos vocabulaires communs n’arrivaient pas à traduire le message, nous nous sommes vite lancés dans une enflure de gestes et de simagrées aussi créatifs que ridicules, du moins de ma part. Ils avaient pourtant cru régler le problème et souriaient à mes « xiexie » (merci) en repartant. Mais sitôt la porte refermée derrière eux, un courant d’air chaud m’a prouvé que mes gesticulations avaient hélas échoué à leur expliquer le problème! J’ai donc couru pour les rappeler, et en désespoir de cause, j’ai articulé un « mama huhu » qu’ils ont par miracle reconnu. J’avais appris le mot la veille, et je l’avais traduit en québécois comme une façon polie de dire « Pas terrible! ». Leur étonnement et notre compréhension mutuelle ont déclenché une franche hilarité complice. Ce soir-là, la chambre a baigné dans une confortable atmosphère, à la fois détendue et rafraîchie.
Au total
La Chine que j’ai vue m’a paru belle, courageuse, fière et prospère : c’est celle des jardins de Hangzhou et Suzhou, celle de la pétillante Shanghai en costume de fête pour son Expo, celles des hôtels 5 étoiles, celle des vacanciers chinois au mausolée de Mao ou au palais d’Été. En prime, notre séjour s’est déroulé sous de bons auspices : un groupe de voyageurs à l’esprit curieux et au caractère tolérant, une accompagnatrice chevronnée, une végétation printanière et un temps idéal, avec un mercure oscillant autour de 25-28°C. Ce que j’ai pu entrevoir de la culture chinoise me semble baigner dans un symbolisme énigmatique. J’ai cru y voir une recherche d’équilibre entre le bleu et le vert, le ciel et la terre, la parole et le non-dit, le yin et le yang, le passé et l’avenir, l’ordre et la créativité, la pagode et la fibre optique, la spécificité culturelle chinoise et le « courant majoritaire » culturel mondialisé. Au total, j’ai surtout attisé ma curiosité : à croire qu’il faudrait que j’y retourne.