LIU QIONG
Des économistes chinois apportent un éclairage nouveau au débat actuel concernant la nécessité d’apprécier la monnaie chinoise.
Ces derniers temps, les États-Unis exercent des pressions pour faire apprécier le yuan.
Directeur de la Peterson Institute for International Economics des États-Unis, M. C. Fred Bergsten est un personnage bien connu des deux Chambres du Congrès américain. Il y dépose souvent des avis et exerce une influence considérable sur la politique étrangère des États-Unis. Après avoir effectué des calculs selon la méthode SMIM (Symmetric Matrix Inversion Method), une approche selon laquelle tous les pays sont traités de manière égale, plutôt que de chercher un ajustement exact pour les États-Unis et un ajustement résiduel pour les autres), il a estimé que le taux de change du yuan (appellation officielle : renminbi, RMB) par rapport au dollar était sous-évalué de 41 % et qu’il devrait subir une importante réévaluation. Ses chiffres sont souvent utilisés par les représentants et sénateurs américains, et ils l’ont même été par M. Paul Robin Krugman, lauréat du prix Nobel d’économie. Cependant, deux chercheurs du Centre international de recherche économique de Chine, MM. Zhang Huanbo et Zhang Yongjun, mettent ses théories en doute.
Le yuan est-il sous-évalué de 41 %?
D’après un rapport de recherche du Peterson Institute for International Economics, publié l’année dernière, le dollar est « gravement surévalué », principalement par rapport au yuan et à vingt-huit autres monnaies asiatiques. Selon ce rapport, la plupart de ces monnaies devraient être réévaluées par rapport au dollar, particulièrement le RMB. « Cette conclusion des “41 %”, résultat de la méthode SMIM de cet Institut, exerce une influence importante dans le monde entier. Dans le débat du taux de change entre le yuan et le dollar, cette théorie fait subir une forte pression pour réévaluer le yuan », a affirmé M. Zhang Yongjun, au cours de la rencontre mensuelle sur l’économie, organisée par le Centre international des échanges économiques de Chine.
D’après ce dernier, la méthode SMIM fait problème sur cinq points : 1. Elle prend l’équilibre des comptes courants comme le seul objectif du taux de change; 2. Les fondements pour établir les objectifs d’équilibre des comptes courants des différents pays sont insuffisants; 3. Dans l’élasticité des prix à l’exportation, elle ne considère que le facteur du taux de change, sans prendre en compte d’autres éléments comme le coût de la production intérieure et la capacité concurrentielle des produits; 4. Son hypothèse selon laquelle la variation du taux de change n’influence que le volume des exportations et non pas celui des importations est irrationnelle; 5. L’échantillonnage de l’élasticité des prix à l’exportation est simple et modélisé, et il ne s’applique qu’au ratio des exportations. Résultat : les conclusions découlant de cette méthode ne sont pas fondées.
Selon le chercheur Zhang, certains pays, mais surtout les États-Unis, ont exercé des pressions pour faire apprécier le taux de change du yuan. Bien que les raisons que ces pays ont invoquées ne soient pas identiques, tous estiment que le taux du yuan excède largement l’équilibre des comptes courants. M. Zhang explique : « Tous les pays sont différents sur le plan des ressources (dont la main-d’œuvre), des techniques, de la culture et des capitaux. Ceux qui ont des avantages sur certains aspects en tirent évidemment des comptes courants excédentaires. Le pétrole du Moyen-Orient et de la Russie, les procédés de fabrication avancés du Japon et de l’Allemagne, et la grande capacité de production de la Chine : voilà tous des avantages pour ces pays respectifs. Chercher uniquement l’équilibre du commerce pour tous les pays, au mépris de leurs avantages naturels, va à l’encontre de la mondialisation.
Il n’y a pas que le taux de change qui affecte le commerce bilatéral. Parmi les nombreux facteurs, il y a aussi les besoins intérieurs des deux pays et leur différence de structure économique. En fait, l’influence du taux de change est différente selon les pays ; en réalité, il est difficile de faire disparaître le déséquilibre commercial uniquement en comptant sur la variation du taux de change. »
Diminuer le déficit commercial par la seule réévaluation?
Selon M Zhang, la plupart des produits industriels du monde sont fabriqués en Chine. Même en réévaluant le RMB, la demande pour les produits étatsuniens ne pourrait pas facilement augmenter. De même, un jour, si les entreprises industrielles chinoises devaient être transférées à l’étranger, forcées par la hausse de leur coût de revient, elles iraient vers les pays et régions en développement au lieu d’aller massivement aux États-Unis. Une réévaluation du RMB ne peut pas créer d’emploi aux États-Unis, parce qu’une ré-industrialisation des États-Unis ne se ferait pas à un bas niveau. Il est donc impossible d’améliorer les comptes courants en ne comptant que sur le taux de change des monnaies.
« Au cours de l’histoire, le développement économique mondial nous a également montré que la réévaluation d’une monnaie ne peut pas faire disparaître le déséquilibre d’un commerce bilatéral », commente le chercheur. Vers la fin des années 1980, le taux de change du yen et du mark par rapport au dollar a presque doublé, mais cela n’a pas pour autant fait disparaître l’excédent commercial de ces deux pays avec les États-Unis.
« Plusieurs facteurs expliquent le déséquilibre commercial Chine – États-Unis », estime M. Wei Jianguo, membre du Centre international des échanges économiques de Chine.
Examinons d’abord les facteurs du côté chinois. Dans le commerce Chine–États-Unis, 40 % relèvent du commerce ordinaire et plus de 50 % appartiennent au commerce de transformation. Dans le commerce ordinaire, les deux pays ont une structure industrielle verticale, et sur ce plan, la coopération l’emporte sur la concurrence.
De plus, le prix des ressources et des compétences ainsi que le prix à payer pour la dégradation de l’environnement ne se conforment pas aux normes internationales. Dans le commerce ordinaire, les exportations de la Chine vers les États-Unis se concentrent dans les secteurs à forte intensité de main-d’œuvre. Dans le commerce de transformation, les multinationales, dont les sociétés étatsuniennes installées en Chine, viennent profiter du plus faible coût de la main-d’œuvre chinoise.
Et maintenant, les facteurs du côté des États-Unis. Premièrement, ce pays a un taux d’épargne intérieure très bas et un taux de consommation élevé; les Étatsuniens fonctionnent selon le principe de consommer maintenant et payer plus tard. Deuxièmement, la compétitivité des produits exportés par les États-Unis est moins forte que celle des produits européens et japonais. En 2009, le volume des exportations du Japon vers la Chine a été de plus de 130 milliards $US, mais celui des exportations des États-Unis vers la Chine n’a été que de 69,6 milliards $US. D’ailleurs, les États-Unis contrôlent rigoureusement leurs exportations vers la Chine, surtout celle des produits de technologie de pointe.
De 1949 à 1994, en vertu des dispositions de son traité, le Comité de coordination pour le contrôle multilatéral des exportations (COCOM), fondé à l’initiative des États-Unis, a restreint les exportations vers 19 pays, dont la Chine. En 2007, les États-Unis ont appliqué encore plus de restrictions à leurs exportations, particulièrement vers la Chine. Le protectionnisme des États-Unis entrave non seulement le développement de leurs partenaires commerciaux, mais également restreint leur propre développement.
|