AU sens littéral, shengnü signifie fille « restante ». Ce terme est appliqué aux jeunes citadines qui ont dépassé l’âge habituel du mariage, mais qui n’ont toujours pas de conjoint à cause de leurs exigences trop élevées, bien que la plupart soient intelligentes et relativement belles, qu’elles aient un bon niveau d’études et un revenu assez élevé. Le mot shengnü a même figuré sur la liste des nouveaux mots sélectionnés en 2007 par le ministère de l’Éducation.
En règle générale, on classe les shengnü selon l’âge. Les shengdoushi (jeunes femmes célibataires qui combattent la solitude) sont celles qui ont de 25 à 27 ans et qui sont toujours confiantes de trouver un conjoint. Ce mot a la même prononciation que le nom chinois du dessin animé Les Chevaliers de bronze. Les bishengke (filles qui seront probablement seules toute leur vie) sont les 28 à 30 ans qui n’ont pas beaucoup d’occasions de trouver un mari ni assez de temps pour en chercher un. Les douzhanshengfo (bouddhas combattants) ont de 30 à 35 ans et ont réussi à maîtriser les relations personnelles complexes dans un bureau; malgré tout, elles sont toujours sans amoureux. Finalement, celles de plus de 35 ans sont les qitiandasheng (les vraies de vraies). La prononciation du mot est la même que celle du surnom de Sun Wukong, « roi des singes » dans le roman classique Le Pèlerinage vers l’Ouest, l’un des personnages romanesques les plus connus en Chine.
Un groupe en croissance
Les principales données recueillies en 2008 par le Centre d’étude sur la population et le développement de Chine indiquent qu’il y a 30 millions de plus d’hommes que de femmes en Chine; par contre, la tendance est inverse pour ce qui est des « vieilles filles » par rapport aux « vieux garçons ». Seulement à Beijing, on compte plus de 500 000 shengnü. Employée d’une émission de télévision aidant les jeunes hommes et les jeunes femmes à se rencontrer, Mlle Luo indique : « Nous n’avons pas de problème à trouver des femmes pour participer à notre émission, mais c’est très difficile de trouver le même nombre d’hommes. »
Mlle Zhao est une shengnü de 25 ans, originaire du Sichuan (Chine du Sud-Ouest). Elle habite dans un appartement loué, à Beijing, et travaille pour CCTV. Elle n’a toujours pas d’amoureux, et sa vie se déroule sans grands problèmes. Elle ne fait pas souvent la cuisine parce qu’elle considère que ce n’est pas la peine de préparer des repas seulement pour elle seule. Après le travail, elle regarde des feuilletons à la télé et surfe sur Internet.
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Une célibataire dans un magasin d’ameublement. Sur l’affiche : La famille est la plus importante. PHOTOS : CFP |
Contrairement à ses parents et amis, elle croit qu’à son âge, il est tout à fait normal d’être encore célibataire, mais qu’elle devrait avoir un amoureux. Elle n’aime pas sa solitude actuelle et croit à son mariage prochain. Mais ce n’est pas la même chose pour ses parents: ils s’inquiètent pour elle. Chaque fois qu’elle leur téléphone, ils lui demandent si elle a un amoureux; elle est donc plus réticente à leur téléphoner les week-ends, comme elle le faisait auparavant. Même pour célébrer le Nouvel An chinois, Mlle Zhao hésite à rentrer chez ses parents parce qu’elle est convaincue qu’elle va encore se faire questionner sur ses amours et un mariage éventuel. Pourtant, en Chine, cette fête est la plus importante de l’année, et à ce moment-là, tous les membres de la famille se réunissent à la maison familiale.
Mlle Wang, 28 ans, vient tout juste de commencer à travailler après avoir terminé ses études de master. Pendant toutes ses années à l’université, elle n’a pas réussi à trouver d’amoureux, et elle craint de ne pas pouvoir se marier. Chaque week-end, elle rencontre des jeunes hommes que ses amis lui présentent. Elle en a ainsi rencontré un qu’elle aime bien, mais elle n’arrive pas à l’accepter parce qu’il est plus jeune qu’elle.
Mlle Shu, une Shanghaïenne célibataire de 24 ans, ne peut pas encore être qualifiée de shengnü : il faut avoir au moins 25 ans. Sa mère est quand même déjà très inquiète que sa fille n’ait pas encore trouvé de mari. Pourtant, Shanghai est considérée comme la ville la plus moderne de Chine, et on ne peut pas dire que les mères de famille de Shanghai soient traditionnelles. L’opinion de la mère de Mlle Shu reflète tout simplement l’opinion générale de la société chinoise.
Pourquoi tant de shengnü?
Pourquoi ces jeunes femmes n’arrivent-elles pas à trouver un mari, bien qu’il y ait plus d’hommes que de femmes en Chine?
La première raison touche aux exigences trop élevées de ces jeunes femmes. Elles se croient excellentes sur tous les plans et exigent beaucoup pour ce qui est de la beauté, du niveau d’éducation, du talent, des capacités financières et du lieu d’origine de leur futur conjoint. Cela restreint l’étendue de leur choix.
La deuxième raison concerne le travail qui ne fournit pas assez d’occasions et ne laisse pas suffisamment de temps pour rencontrer des hommes. Les shengnü soutiennent que leur choix n’est pas très vaste, puisqu’elles ne connaissent pas beaucoup d’hommes. Leurs mères, qui ont maintenant plus de 50 ans, leur répliquent toutefois qu’à l’époque de leur mariage, il y avait encore moins d’occasions de rencontrer des hommes, mais qu’elles se sont quand même mariées à un âge raisonnable. Elles pensent que c’est plutôt un prétexte pour ne pas se marier.
La troisième concerne les différences de caractère. Les jeunes Chinois d’aujourd’hui ont une individualité plus marquée que ceux des générations précédentes. Ce sont des enfants uniques qui ne sont pas prêts à accepter les petites différences de caractère et qui ne veulent pas changer. À cela s’ajoute le fait que les filles des villes ont bien souvent été très gâtées par leur famille et qu’elles ne veulent pas faire de concessions.
La quatrième est la volonté de se comparer aux autres. Une shengnü veut généralement avoir un mari qui soit mieux que celui de ses amies.
La cinquième concerne des exigences matérielles de certaines filles lors de la recherche de leur conjoint. Elles rêvent d’une vie de luxe, alors que les maris éventuels ne sont pas assez riches pour la leur offrir. Celles qui ne demandent pas de voiture de luxe ou beaucoup d’argent veulent tout au moins que le futur mari soit propriétaire d’un logement et gagne plus d’argent qu’elle. De telles shengnü ne manquent pas dans la société actuelle. Comme le prix des appartements grimpe en flèche en Chine, surtout dans les grandes villes comme Beijing et Shanghai, la plupart des jeunes hommes qui sont à la recherche d’une femme n’ont pas suffisamment d’argent pour en acheter un et sont donc rejetés. Ces jeunes hommes cherchent des filles plus jeunes, entre autres des étudiantes qui ne demandent pas autant d’argent, ou alors, ils choisissent simplement de rester seuls. En somme, les shengnü de ce genre tiennent mordicus à leurs exigences et choisissent un conjoint comme s’il s’agissait d’une marchandise.
Finalement, la shengnü pense que son mari doit être son soutien et qu’il est normal de choisir un homme plus âgé qu’elle, puisqu’elle croit qu’un homme plus âgé la comprendra mieux. Avec ce type de croyance, les jeunes hommes sont souvent rejetés. Il va sans dire que cela restreint les choix, puisque la plupart du temps, les hommes de plus de 30 ans sont déjà mariés.
Solutions ou dilemmes?
Sous le pseudonyme de Siwuya, un internaute donne le conseil suivant aux shengnü : « Reconnaissez-vous l’égalité des sexes? Si oui, il ne faut pas rejeter les hommes ayant un salaire moindre que le vôtre ou qui ne sont pas propriétaires d’un logement. Il ne faut plus mettre l’accent sur les petits défauts d’un homme si vous aimez 70 % de sa personnalité. »
Certains psychologues leur conseillent de ne pas rejeter un homme moins âgé qu’elles ou qui a un revenu moindre que le leur, dans la mesure où cet éventuel mari a bon caractère.
Pour leur part, les agences et les émissions de télévision spécialisées dans l’organisation de rencontres tentent d’aider ces filles à augmenter les possibilités de rencontrer l’âme sœur. Cependant, si ces dernières ne changent pas leurs conceptions, même après avoir rencontré des hommes, l’amour ne pourra se développer.
Craignant qu’il soit difficile de trouver un amoureux répondant à leurs critères et constatant que leur beauté est en train de s’émousser, à un moment donné, certaines shengnü abandonnent la bataille et choisissent de diminuer leurs exigences en matière de conditions matérielles et d’âge pour se marier le plus vite possible.
Finalement, restent celles qui sont fières de leurs exigences et qui les maintiennent coûte que coûte. Elles peuvent subvenir à leurs besoins et bien vivre sans un homme. Elles choisissent d’attendre de rencontrer l’homme qui se conforme en tout point à leurs critères. Toutefois, quand elles voient d’autres couples qui sont heureux, elles éprouvent souvent de la jalousie, sans parler de la pression qu’exercent leurs parents pour qu’elles se marient.
Actuellement, le grand nombre de shengnü en Chine est considéré comme un problème social, entre autres parce que cela signifie plus d’hommes célibataires, situation aggravée par le plus grand nombre d’hommes que de femmes. Et s’il y a trop d’hommes célibataires, les soucis familiaux augmenteront, étant donné l’absence de filet social permettant de protéger les familles. Par surcroît, selon la pensée traditionnelle chinoise, vivre en solitaire est considéré comme anormal.
Dans ce contexte, que vont choisir les filles qui hésitent à se marier? Le nombre de shengnü augmentera-t-il ou diminuera-t-il? Conserveront-elles leurs exigences ou les changeront-elles? Quoi qu’il en soit, beaucoup de shengnü croient que, quelle que soit la façon de le faire, l’important est d’avoir une vie heureuse.