Secrets d'outre-tombe et plaisir des yeux
Rien
qu'à parler de cercueils et de tombeaux, plusieurs ne peuvent s'empêcher
d'éprouvrer un frisson d'effroi dans le dos! Pourtant, c'est loin
d'être ce qui attend le visiteur des Tombeaux de l'Est des Qing,
situés à Zunhua, à quelque 125 km de Beijing. Là-bas, la campagne
qui s'étire entre monts et rivières est un vrai plaisir pour les
yeux, et les découvertes qu'on y fait nous révèlent un peu de la
vie des empereurs des Qing (1644-1911). En effet, ceux-ci considéraient
la période après la mort comme une suite de leur vie terrestre.
D'où le faste et les splendeurs de ces tombeaux.
C'est grâce aux bons
soins de M. Li Wangui, secrétaire du comité des reliques culturelles
du service de gestion des Tombeaux de l'Est des Qing, que le groupe
de voyageurs dont je faisais partie a pu avoir un aperçu de ce site
trop souvent oublié par les touristes étrangers. Et à l'entendre
parler avec fierté des efforts de conservation qui y sont déployés,
le temps est proche où les touristes y afflueront en plus grand
nombre, surtout que ces Tombeaux, tout comme ceux des Ming et ceux
de l'Ouest des Qing, figurent, depuis la fin de 2000, à la liste
du patrimoine culturel de l'humanité.
Pourquoi
Zunhua?
Les empereurs Qing étant
d'origine mandchoue, à l'origine, leur dynastie avait été établie
dans le Nord-Est de la Chine. Après avoir traversé la Grande Muraille
et s'être établi à Beijing, Shunzi, premier empereur de cette dynastie,
décida de construire le premier cimetière impérial à Zunhua, endroit
qu'il découvrit lors d'une expédition de chasse. Ce cimetière, dont
la construction commença en 1661 et s'échelonna sur 18 ans, couvre
une superficie de 2 500 km 2 qui divisée en deux parties: une
section montagneuse et le cimetière proprement dit qui s'étend sur
48km2. On y trouve 15 tombeaux impériaux: cinq pour les empereurs
(Xiaoling, Jingling, Yuling, Dingling et Huiling), quatre pour les
impératrices, (Xiao Zhuang, Xiao Hui, Xiao Zhen et Xiao Xin) cinq
pour les concubines impériales (Jingfei, Jingshuangfei, Yufie, Dingfei
et Huifei) et un pour une princesse. Ce cimetière est maintenant
devenu le plus grand complexe de tombeaux en Chine, puisque 161
personnes y sont enterrées. La Voie Sacrée, qui mène au tombeau
principal et que l'on retrouve toujours dans les cimetières impériaux,
s'étire ici sur plus de 5 kilomètres. Sur près de 900 mètres, la
voie est bordée de 12 paires de sculptures d'animaux et de six paires
de sculptures de personnages.
Ce
sont les caractéristiques topographiques naturelles de ce lieu et
son lien étroit avec les normes de la géomancie (fengshui) qui ont
permis à cet endroit d'être sélectionné comme la résidence idéale
des empereurs décédés. Les montagnes à l'arrière et au nord servent
d'écran protecteur, celles au sud semblent répondre à celles du
nord et ressemblent à des seigneurs venus rendre visite à l'empereur,
les collines à droite et à gauche font office de gardiens, la plaine
et les rivières viennent compléter cet endroit que l'on a surnommé
la " terre des quatre divinités ".
Trois
pures merveilles
Quoique les habitants des lieux semblent nous inviter à évaluer
le temps à la mesure de l'éternité, notre courte visite aux Tombeaux
de l'Est nous a surtout permis d'apprécier le tombeau Yuling de
l'empereur Qianlong (1736-1795), celui de l'impératrice douairière
Cixi,(1835-1908), une figure légendaire de l'historie chinoise,
et d'admirer l'arche de marbre qui mène à Xiaoling, tombeau du premier
empereur de cette dynastie. Cette arche mesure plus de 31 mètres
de large, ce qui en fait l'arche de pierre la plus large en Chine.
En dépit de séismes violents qui ont eu lieu dans la région, l'arche
se dresse toujours aussi fièrement.

La construction du tombeau
de Qianlong, qui a débuté en 1743, a duré 50 ans. Et il est facile
de comprendre pourquoi! La chambre mortuaire, connue sous le nom
de " palais souterrain ", est comparable à un palais impérial
pour sa conception extravagante et sa décoration élaborée. C'est
une structure en arches sans piliers ou poutres. Situé à 54 mètres
sous la surface, ce palais s'étend sur 372 m2, et est formé de neuf
voûtes et de quatre portes de pierre; tous les murs et les plafonds
sont décorés de gravures bouddhiques. Les portes du palais ont
trois mètres de haut, 1,5 mètre de large et pèsent trois tonnes
chacune. Elles sont taillées dans une pièce unique de marbre blanc
et fixées sur une seule pièce de bronze pesant plus de 10 000 jin
(5 000 kg ).
Pour être enterrée dans
le même tombeau que Qianlong, la personne devait satisfaire à trois
conditions: détenir un grade élevé, être morte avant lui ou être
une concubine. Cinquante personnes ont réussi à satisfaire à ces
conditions, mais seules deux impératrices et trois concubines ont
été enterrées directement à ses côtés. Le cercueil de Qianlong est
déposé au centre d'un lit de marbre de 12 mètres. Des deux côtés
du cercueil de l'empereur, on trouve les cercueils des " cinq
élues ". Sous le cercueil de l'empereur, se trouve un puits
de bon augure d'un diamètre de seulement 10 cm. Soie, perles, or,
robes brodées de dragons faisaient partie des trésors qui avaient
été enterrés avec l'empereur. Malheureusement, le tombeau a été
pillé en 1928 par Sun Dianying, un seigneur de guerre, et il ne
reste que les os dans ces cercueils. Seul le tombeau du premier
empereur est encore scellé et n'a pas été pillé.
La
construction du tombeau de Cixi a débuté la même année que celui
de Ci An, puisque toutes les deux étaient des impératrices de Xian
Feng. Cependant, en 1895, Ci Xi ordonna de reconstruire le sien
sous prétexte qu'il était dans un état de délabrement. En fait,
elle voulait un tombeau d'un luxe encore plus poussé. Chacun des
64 piliers du pavillon Sandian ont été décorés de dragons en relief
recouverts de bronze. Malheureusement, il reste aussi peu de choses
de ces ornements, suite aux pillages de 1928.
La pierre qui mène au
pavillon Long'en a été sculptée en relief pour lui donner un effet
tridimensionnel. Mais contrairement à la tradition selon laquelle
le dragon est au-dessus du phénix, sur cette pierre, le phénix
est posé au-dessus, montrant la position politique qu'occupait Ci
Xi à l'époque, soit celle d' une éminence grise. Les pentes d'accès
ont été soigneusement étudiées de façon à ce que ceux qui voulaient
entrer ait à s'incliner en signe de respect. En outre, quatre chi,
un animal mythologique supposé être l'un des neuf fils du dragon,
ornent les coins du pavillon. Les poutres, les chevrons et les fenêtres
du pavillon Long'en ont donc été fabriqués de bois de poirier, les
murs intérieurs, couverts de gravures de briques fort élaborées,
et ceux de l'extérieur de briques polies. Les plafonds ne sont pas
peints, contrairement à ce que l'on retrouve dans les autres tombeaux,
mais ont été recouverts de 143,5 kg de feuilles d'or prenant la
forme de dragons parmi les nuages, un symbole habituellement réservé
à l'empereur mais qui a été accaparé par Ci Xi.. À l'intérieur,
on trouve une reproduction en cire de Ci Xi habillée en Guanyin,
la déesse de la Miséricorde, témoignage de la haute estime qu'elle
s'accordait! On peut aussi admirer certains de ses vêtements et
d'autres parures qu'elle affectionnait.
La
dépouille de Ci Xi a été placée dans deux cercueils engoncés l'un
dans l'autre. Fabriqués de bois de santal, les cercueils ont été
recouverts de 49 couches de laque et, pour la couche extérieure,
on a mélangé de la poudre d'or à la laque. Le cercueil intérieur
a été gravé d'écritures bouddhiques. Malheureusement, Sun Dianying
a aussi pillé ce tombeau. On dit qu'à ce moment-là, la dépouille
de Ci Xi aurait été laissée au grand jour mais qu'elle ne s'est
pas détériorée. En 1983, lorsque le tombeau a été réouvert par des
archéologues, la dépouille de Ci Xi s'était momifiée et était passée
de 1,64 mètre à 1,53 mètre.
Et si l'éternité existait sur terre....
La visite des Tombeaux de l'Est des Qing m'a donné à penser
qu'à ce cimetière impérial, les mots " dernier repos "
prennent tout leur sens. Bien qu'ils forment une vaste nécropole,
les tombeaux et leur environnement évoquent plutôt luxe, calme et
volupté... Un de mes collègues, en admirant la nature de l'endroit,
s'est exclamé: " C'est la Chine, telle que les Occidentaux
l'imaginent ". Je crois qu'il avait bien raison.
LOUISE CADIEUX
|