CHINAHOY

30-January-2011

Des nouvelles à l'antenne

PENELOPE COLVILLE

Sans avoir eu besoin de faire leurs preuves, deux jeunes femmes occidentales avec d'assez bonnes références se trouvent maintenant à la pointe des ambitieux médias chinois. Leur succès immédiat sur les réseaux en pleine expansion de CNC et Bon Live se fait dans le cadre d'une volonté de la Chine de raconter elle-même ses propres histoires au reste du monde. En même temps, cela aménage une place pour critiquer publiquement de façon constructive et couvrir sans censure des sujets sensibles.

GRETCHEN Bartelt, 30 ans, a quitté les États-Unis en 2008 pour rejoindre Xinhua, l’agence de presse de l’État chinois, avec quelques années de reportage et de journalisme télévisés en poche. Lorsque l’agence Xinhua a lancé CNC en juillet, une chaîne d’actualité en continu sur le satellite et Internet, elle lorgnait le fauteuil de producteur exécutif depuis un an. Une autre jeune femme ambitieuse, Roseann Lake, est la présentatrice d’une émission à propos du Tibet sur Bon Live, une chaîne de télévision sur le satellite, le câble et Internet.

Gretchen Bartelt, ici avec Zhang Yuhong, directrice de China Report, joue le rôle de productrice exécutive pour CNC.

CNC est la réponse à l'ambition de la Chine d'offrir au monde ce qu’Al Jazeera offre comme alternative à la domination des médias occidentaux. Actuellement diffusée sur Internet, cette chaîne va très bientôt trouver sa place sur le réseau câblé. Bartelt s'est fait les dents dans une station locale de Géorgie (États-unis), où elle s’occupait, entre autres, des entrevues, du tournage et du montage pour le journal de 18 h. Elle s’est félicitée de l’évolution de la Chine et n’a pas pu résister à la proposition d’un poste à responsabilités plus globales pour CNC.

La présentatrice Roseann Lake et la productrice Guo Ma de l’émission pour les mordus de voyage Journey to the West

Itinéraire de deux jeunes Américaines

Le travail de Bartelt, lors des moments de chair de poule et de croisements de doigts qui ont caractérisé l’ouverture de l’antenne, a été de répondre aux besoins des journalistes chinois travaillant dans une langue étrangère. Cinq anglophones sur un effectif de soixante sont employés à cet effet, conseillant sur le style d’écriture, le montage vidéo, l’importance du présentateur, la manière de réaliser une émission et la rédaction d’histoires intéressantes pour les étrangers et qui répondent au besoin de la Chine de mieux se faire connaître. Ces consultants font part de leur expérience de ce qui peut se passer avant et pendant l’antenne, souvent au moment même où cela arrive. Bartelt est philosophe sur l’expérience : « Il n’y avait pas de plan détaillé ou un ensemble d’instructions sur la manière de faire ceci ou cela, vous essayez de les aider à réussir ce qu’ils veulent faire. » Son emploi pour une chaîne locale affiliée à ABC l’a suffisamment préparée pour tout ce qu’elle doit faire : marketing, formation des présentateurs, rédaction de slogans, image de marque des programmes et promotion.

Tout le monde a survécu au lancement, puis les critiques et les avertissements sont venus ; passer chez les pros nécessiterait plus de travail. « Ici, nous étions à l’origine... une dizaine de personnes travaillant dans une petite pièce où nous devions rester debout – il n’y avait pas de chaises – jusque-là où nous sommes aujourd’hui, dans d’agréables bureaux bien équipés. Les ressources ici n’ont jamais été vraiment comparables à une entreprise de télévision américaine. » Bartelt soupire, en partie parce que la Chine a beaucoup plus de gens pour alimenter une entreprise. Cependant, les ressources techniques ici sont plus limitées; CNC utilise des sources d’information secondaires telles que Reuters, alors que la qualité qu’un public international sophistiqué attendrait d’une chaîne d’informations de choix n’est tout simplement pas là. « CNN et Al Jazeera continueront à dominer, a averti Li Xiguang de l’École de journalisme de Tsinghua, parce que le public potentiel global est réduit à néant par l’importance de la première et la popularité de la seconde. Les deux versent des salaires élevés à des journalistes de haut niveau. »

CNC est alimenté par Xinhua, l'agence de presse d'État ayant des correspondants « sur le terrain » dans des centaines de bureaux à travers le monde; elle le fait sans concurrencer ni les journaux appartenant à l'État ni l'empire de CCTV (Télévision centrale de Chine). Pourquoi une nouvelle station? Représenter la Chine est légitime, et en observant la direction de cette nouvelle entreprise, il est clair que la chaîne n'est pas un organe de propagande, mais le moyen pour la Chine de raconter ses propres histoires, sur elle-même et par elle-même.

Selon Roseann Lake, son émission fait partie de la mosaïque qu’est la Chine de l’Ouest.

Plusieurs observateurs de la Chine comme The Guardian pensent que cette nouvelle station fait partie d’une transition vers un pouvoir à gants de velours. S’ils avaient raison, certains changements dans le rapport de la Chine à son secteur médiatique pourraient surgir. La couverture des actualités en Chine a été soumise à des exigences sur ce que vous pouviez dire et même comment le dire. Bartelt exprime ses préoccupations : « Comment les agences de presse basées en Chine seront-elles à la hauteur si ça ne se détend pas un peu, telle est la grande question. » Dans l’intervalle, l’objectivité et la rigueur sont les objectifs qu’elle veut que le personnel atteigne, le côté compétitif est laissé aux stations indépendantes comme Bon Live.

Hors de question pour elle d'embarquer pour une mission perdante: « L’Asie est sans voix dans la couverture de l’actualité internationale, et je respecte énormément cette nouvelle chaîne pour essayer de rendre cela possible. » Comme le dit Bartelt, ce projet s’est construit « au pied du mur ». « En Amérique, la mentalité serait de voir d’abord qui pourrait être intéressé par le contenu proposé, puis de l’adapter systématiquement et de formuler une stratégie. Ici, l’état d’esprit c’est apprendre au fur et à mesure. Ils construisent le service en premier et se penchent ensuite sur comment le marchandiser et sur les contrôles de qualité à exercer. » À présent, sur tous les fronts, il y a un nouvel élan; CNC a conclu des accords avec des fournisseurs de contenu et travaille sur des offres de coopération avec plusieurs agences de médias.

Témoin de la crise de croissance, Bartelt revient sur le lancement avec une certaine fierté : « C’est l’une des choses les plus difficiles à entreprendre, parce que vous ne travaillez pas seulement sur le plan commercial, il s’agit de journalisme, et celui-ci répond à ses propres normes. Donc fusionner les affaires et le journalisme, et le faire dans une culture différente a été incroyablement intéressant. »

« Il y a beaucoup de choses vraiment super qui se passent en Chine, si elles étaient traitées correctement et expliquées en détail, la compréhension de ce pays serait différente pour tout le monde. » Mais après le lancement de la chaîne, la productrice exécutive se languit des moments passés sur le terrain avec un caméraman, en pleine chasse à l’information, avec le journal du soir comme date limite.

« Travailler à Bon Live m’a fait réfléchir sur la façon dont la Chine change. Vous ne pouvez pas à la fois changer et alerter les gens sur les changements. Je suis devenue une sorte de défenseur de la Chine. »

Ne pas s’autocensurer est essentiel pour que l’image des médias chinois s’améliore aux yeux des Occidentaux.

Une nouvelle image des média chinois

Roseann Lake dit à peu près la même chose sur l'ouverture des télévisions basées en Chine au personnel occidental. Bon Live est une chaîne appartenant à Blue Ocean Network et qui est diffusée sur Internet, le satellite et le câble. C'est Time Warner qui la distribue à New York et la compagnie Verizon à Los Angeles. La jeune femme a été repérée grâce à sa chronique immobilière pour le magazine Time Out, et Bon Live l’a invitée dans son émission qui traite de l’immobilier en Chine. Puisqu’elle était télégénique, on lui a proposé de s’essayer à la présentation pour l’émission qui allait être diffusée dans deux jours. Ils ont aimé, ils l’ont engagée. Cette émission s’appelle Easy China, c’est toujours elle qui l’anime, et a été initialement conçu comme un magazine d’information pour aider les expatriés à trouver un appartement, lancer une entreprise ou tout simplement savoir ce que ça fait de créer des chapeaux pour la nièce de Hu Jintao. Elle a à peu près carte blanche pour choisir ses invités. Son opinion sur le résultat est demandée et ses idées sont prises en considération.

Comment a-t-elle pu entrer à la télévision de cette manière, dans l'industrie mature et saturée des médias américains? Discrètement, elle admet : « Les chances sont de votre côté ici, mais je ne suis pas venue dans cet esprit; c’est arrivé comme ça, voilà tout. » Roseann Lake est linguiste et est venue en 2008 pour apprendre le chinois. Elle n’avait aucune expérience de l’antenne avant Journey to the West, mais elle était titulaire d’un diplôme de premier cycle en littérature comparée de l’Université Drew, dans le New Jersey, et d’un diplôme en journalisme de l’université de New York. De plus, son physique agréable ne gâche rien à tout cela.

Sa nouvelle émission est de la plus grande importance sur la scène sociopolitique. « Journey to the West fait partie de la mosaïque que nous tentons de créer à partir de la Chine de l’Ouest, et je dis ça parce que, comme une mosaïque, c’est plein de couleurs, mais aussi de textures, y compris quelques morceaux bruts. » Cette émission de voyage n’hésite pas à aborder des sujets controversés qui donneront aux contenus de Bon Live, Lake le sait, une avance sur la concurrence.

Ne pas s'autocensurer est essentiel pour améliorer l'image des médias chinois aux yeux des téléspectateurs occidentaux. « L’approche du gouvernement chinois pour certaines choses au Tibet est souvent l’un des premiers exemples utilisés par ceux qui sont prompts à critiquer la Chine. C’est particulièrement important que nous, en tant qu’amoureux de la Chine, laissions de la place pour un débat constructif et critique. » La ligne éditoriale indépendante de Bon Live vise à établir un équilibre entre le type de couverture que le discernement du public occidental exige et le respect de sujets aussi politiquement sensibles que le Tibet. 

Journey to the West démontre à tous que Bon Live a la capacité de parler du Tibet et d'autres parties de la Chine de l’Ouest, et que le traitement de l’information peut y être plus équilibré que ce qu’on peut voir sur les grands réseaux. Bien que cette émission se concentre sur le voyage, le public occidental ne prendrait tout simplement pas au sérieux une émission sur le Tibet qui n’aborderait pas la situation de la région. « Nous n’avons aucun scrupule à laisser tomber la bombe D (le code pour le dalaï-lama) et inciter les voyageurs à exprimer librement leurs impressions sur la région, sa cuisine, ses paysages, ses habitants et comment ils arrivent ou non à la rattacher au reste de la Chine. »

Allez les filles!

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