CHINAHOY

30-January-2011

Le Sud-Ouest du Tibet : une frontière géosociale

HUANG JUNYAN

Aux confins de la région autonome du Tibet, les sommets sont le lieu de confluence de multiples influences. Dans un cadre époustouflant, les fron-tières territoriales se confondent avec les limites naturelles et le visiteur a de multiples raisons de s'émerveiller.

Les villageois de Burang doivent être habitués à l’époustouflante toile de fond des contreforts montagneux et des sommets enneigés.

QUATRE districts du Tibet sont spéciaux à cause de leur situation frontalière. Chacun a une géographie naturelle distinctive, une richesse de paysages et un pluralisme culturel. Yadong, Burang, Zanda et Rutog se situent dans le sud-ouest du Tibet, à la frontière avec notamment le Népal et l'Inde, et méritent chacun un examen attentif.

Le climat agréable du Yadong

Situé au pied sud de la partie centrale de l’Himalaya, le district autonome de Yadong dispose d'un climat très agréable et de grandes ressources hydriques.

Les parties nord et sud de Yadong, dont la frontière avec le Bhoutan est marquée par la ville de Pagri, ont un paysage et un climat complètement différents parce que l'altitude moyenne au nord dépasse 4 300 m, tandis qu’au sud, elle est seulement de 2 800 m environ. En conduisant vers le sud depuis Xigazê, en juillet, des champs jaunes de fleurs de colza vous saluent le long des routes parsemées de murs rouges et de temples aux toits d'or. Ici, la splendeur du décor dépasse l’entendement.

Yadong est réputé pour ses sources d’eau chaude. La plus célèbre se trouve au cœur d’une vallée étroite qui peut être atteinte par la route Kangmar-Yadong, dans un village surplombant la ville de Kambu. Les sources couvrent une vaste zone avec plusieurs piscines à différentes températures réparties sur tout le flanc est de la vallée. La thérapie thermale y est réputée, car elle fait partie des soins médicaux efficaces pour traiter différentes maladies. Techniquement, le district de Yadong est huit fois plus grand que l’agglomération de Lhasa, couvrant une superficie de 4 306 km², alors que sa population de 12 000 habitants représente moins d’un dixième de celle de Lhasa. Ainsi, en marchant sur les routes secondaires de cette contrée paisible, il est plus probable que vous croisiez un animal qu'une personne ou un village, encore moins un restaurant.

Sur le chemin des sources de Kambu, j'étais accompagné par les montagnes verdoyantes, le murmure continuel des rivières et le doux mouvement des roses sauvages qui fleurissent sous le vent. Parfois, je tombais sur un village blotti dans la profondeur des montagnes et je prenais alors le temps de le contempler pour apprécier l'architecture de style tibétain. Du bois était entassé devant la porte de chaque foyer, et les cultures entouraient les habitations. Il ne m'était pas difficile d'imaginer le sentiment d'abondance qui caractérise la vie des villageois.

Le col de Nathu La, dans le district de Yadong, est une autre attraction pour les visiteurs. Il marque la frontière entre la Chine et l'Inde. En 2006, un marché de commerce frontalier y a été établi. Il paraît que la journée la plus achalandée de la semaine est le samedi.

À environ 13 km du chef-lieu du district se trouve le monastère Dungkar, construit au début du XVIe siècle. C'est le plus grand et le plus influent monastère Gelugpa du district. De 1950 à 1951, le dalaï-lama y est resté, et c'est à cet endroit que le général Zhang Jingwu, un délégué du gouvernement central, lui a remis une lettre personnelle du président Mao Zedong et un double de l'Accord pour la libération pacifique du Tibet. Une stèle qui marque cette rencontre a été élevée en face du monastère et s'y trouve encore aujourd'hui.

Il y a une dizaine d’îles aux oiseaux sur le charmant lac Pangong.

La frontière commerciale de Burang

Influencé par le vent chaud et humide venu de la baie du Bengale, Burang est un rare paradis pour l'agriculture par rapport aux autres régions du département autonome de Ngari. Ce district se situe dans la ceinture de vallées de l'Himalaya du Sud. À une altitude de 3 700 m, il occupe le territoire le moins élevé du département autonome. Son rendement annuel en céréales représente un tiers de celui de l’ensemble du département, d'où la réputation méritée d'être le grenier de Ngari.

Burang est célèbre pour le mont sacré Kailash et le lac sacré Mapam Yumco (Manasarovar). Un autre lac à proximité, célèbre, mais non pas sacré, le La’nga Co (Rakshastal), vaut également le détour.

Conduisant vers le sud en direction du Mapam Yumco, la route de Baga est droite comme une flèche; j'ai rarement croisé quelque chose de vivant, me donnant l'impression d'être la première personne à poser le pied sur cette prairie. La journée était pluvieuse, et de la fenêtre de la voiture jusqu'à l'horizon s'étendaient des eaux bleu-gris avec un halo de vert.

Les sentiers à gros pavés sont monnaie courante à Burang. Dans chaque village, parallèle à la route, il y a une voie de dévotion. Au bord des routes, des tas ordonnés de pierres mani sont décorés de drapeaux de prière flottant au vent. À proximité se dressent deux grands moulins à prières dont les sommets sont équipés d'un moulin à vent composé de quatre bols en plastique. En cas de vent fort, les grandes pales tournoient, légères comme un jouet d'enfant.

Le sud-ouest du district de Burang jouxte l'Inde et le Népal, et la région frontalière est à voir absolument. La route qui part du village de Korqag est verdoyante et éclaboussée de fleurs sauvages colorées. Jusqu'à ce que j'atteigne cette zone, je n'ai vu aucun signe qui marque la frontière. Le seul endroit qui portait une signalisation était une pierre au bord de la rivière où il était écrit en caractères chinois « places de stationnement ». Non loin de là, au sommet d'une montagne, on peut voir une maison blanche qui est probablement le poste frontière. De l'autre côté de la rivière, c'est le Népal.

Au nord-ouest de la ville de Burang, siège du district éponyme, se trouve la « résidence népalaise », un enchevêtrement de plusieurs dizaines de refuges naturels connus de tous. Cette résidence, un groupe de grottes à flanc de falaise, se trouve à quelques dizaines de mètres de haut, calfeutrée de drapeaux de prière. La plupart des grottes sont utilisées comme logements par les commerçants népalais et les pèlerins; des statues bouddhiques de bois et d'argile peuvent être trouvées dans certaines d'entre elles.

À côté de la résidence népalaise construite dans les précipices abrupts se trouve l'ancestral monastère Lhakhang. Des échafaudages en bois et des escaliers connectent les différents niveaux de grottes. S'étirant entre les parois, comme suspendu dans le vide, ce lieu est surnommé le « monastère suspendu ».

Le district autonome de Yadong dispose d’un climat très agréable et de grandes ressources hydriques.

Avec une tradition d'échanges frontaliers vieille de près de 500 ans, Burang a été le témoin de contacts fréquents et de relations commerciales florissantes entre les habitants de la Chine, de l'Inde et du Népal. À la fin des années 1950, le gouvernement chinois a officiellement approuvé la création du marché international de Burang, où les commerçants népalais sont autorisés à construire leurs boutiques et à vendre divers produits népalais. L'impôt foncier annuel peut n'être que de 1 yuan pour chaque pièce occupée par les commerçants. Leurs produits comportent du tissu, des draps de lit, des couvertures de laine épaisses, du sucre roux, des parfums, des bijoux, des cosmétiques, des articles de jade et divers fruits frais et secs.

Les mesas et les ruines du royaume de Guge

Le district de Zanda est particulièrement attrayant puisqu'il abrite les ruines du royaume de Guge. En route pour aller les visiter, j'ai été très impressionné par le nombre de mesas qui s'étendaient sur des dizaines de kilomètres. Une forêt d'argile a été formée durant les grands événements géologiques qui ont donné naissance à l'Himalaya; ce qui était jadis le fond d'un lac a été poussé vers le ciel, et les mesas se sont formées au fil du temps à cause de l'exposition à l'érosion. Conduire à travers cet endroit, c'est comme se faufiler entre les mains et les pieds de nombreux géants.

Antique et puissant royaume ayant une histoire de plus de 1 000 ans, le royaume de Guge a été construit sur l'une des mesas. Les annales suggèrent qu'il a été fondé par un descendant d’un roi du royaume de Tubo. À son apogée, son influence atteignait tous les coins de Ngari, perpétuant non seulement la lignée royale des Tubo, mais aussi le rétablissement d'un environnement pour que le bouddhisme atteigne l'apogée de son expansion.

Les ruines du royaume s'étendent sur environ 300 m, du sommet au pied de la montagne, avec quelque six cents maisons. Des pagodes et des grottes sont densément réparties sur toute la surface de la montagne. Alors que je me tenais debout à l’entrée du palais royal en hauteur, admirant le tout, il était vraiment difficile d'imaginer comment un tel ensemble a pu être construit il y a plus de 1 000 ans. Que mangeaient-ils? Comment se protégeaient-ils du froid et repoussaient-ils les maladies à une altitude aussi élevée? Comment pouvaient-ils vivre dans de si petites grottes à même la pente? Est-ce que les figures féminines habillées de soie et de satin qui sont représentées sur les peintures rupestres existaient réellement? Comment créaient-elles ces robes magnifiques? Quel genre de vie menaient-elles pour atteindre ce style si gracieux et si élégant? Plus tard, j'ai consulté un expert qui a poursuivi des études archéologiques sur le royaume de Guge durant de nombreuses années. Il m'a dit que pendant les périodes prospères du royaume, de nombreux marchands en provenance du Népal, d'Inde et de l'arrière-pays de la Chine avaient fait de Guge une zone commerciale importante. Ils y ont apporté divers produits tels que des étoffes et des céréales. Toutefois, celui-ci a été soudainement et complètement détruit par les guerres.

Les ruines du royaume de Guge, une ancienne puissance qui s’est éteinte il y a plus de 300 ans. PHOTOS : WANG YING

Apprécier la nature à Rutog

Le district de Rutog est l'habitat du célèbre lac Pangong. Long et étroit, tout comme le long cou des cygnes errants des montagnes, son nom signifie en fait « cygne au long cou » en langue tibétaine. Situé entre les montagnes Karakoram et Kailash, le lac s'étend du district de Rutog, à l'est, jusqu'en Inde et au Cachemire, à l'ouest. Ce qui est étonnant, c'est que la partie chinoise est un lac d'eau douce riche en poissons et en crevettes et qui est un vivier important pour une variété d'oiseaux, mais que la partie indienne contient une eau saumâtre où seules survivent les crevettes.

Le lac Pangong est un paradis pour les oiseaux. Il existe d'innombrables mouettes, des canards sauvages et d'autres espèces d'oiseaux qui viennent soit chasser pour se nourrir, soit jouer dans l’eau. Ce qui est intéressant, c'est qu'ils n'ont pas du tout peur des humains; lorsque ceux-ci s’approchent à moins d'un mètre, alors seulement ils prennent lentement leur envol. Le lac regorge d'une sorte de carpe de petite taille, mais il est aussi un refuge pour d'autres espèces précieuses de poissons actuellement sous protection nationale.

Les peintures rupestres sont une autre attraction majeure à Rutog; on les trouve principalement dans une zone de 200 à 300 km² à l'est et au sud du lac Pangong. Un expert en art pariétal m’a affirmé que les images présentes à Rutog sont très nombreuses et ont une haute valeur artistique. Elles ont été gravées avec des outils tranchants et présentent des traits puissants, mais peu recherchés, des figures simples et grossières, ainsi que des couleurs vives, reflétant principalement la vie quotidienne sur le plateau dans les temps anciens, comme la chasse, les rites sacrificiels, l'élevage, l'agriculture, la danse et le combat.

Errant dans les rues de la ville de Rutog, chef-lieu du district éponyme, j'ai ressenti la même tranquillité que dans d'autres villes du département autonome de Ngari. En plein air, au bord de la route, des tables de billard étaient alignées. Des têtes de yak, trophée traditionnel, dominaient la porte d'entrée de tous les foyers dont le carrelage en céramique est une preuve de l'avancée des équipements modernes. Les immeubles de télécommunications et les établissements bancaires sont les plus imposantes constructions de la ville, mais à la porte d'une grande banque moderne, j'ai vu un éleveur local attacher son cheval à un arbre avant de se diriger à l'intérieur. Le charme de ces régions limitrophes est à la fois géographique et social.

 

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