CHINAHOY

1-June-2017

Perspectives de coopération sino-européennes et sino-françaises dans le cadre des Nouvelles Routes de la Soie

 

Jean-Pierre Raffarin prononce un discours au Forum de « la Ceinture et la Route » pour la coopération internationale, le 14 mai 2017 à Beijing.

 

Suite au Forum de « la Ceinture et la Route » pour la coopération internationale et à la victoire du candidat pro-européen Emmanuel Macron à la présidentielle française, quel sera l'avenir des relations sino-françaises, et à plus large échelle, sino-européennes, ainsi que les domaines de coopération ? Analyse.

 

XIA GUOHAN*

 

Les 14 et 15 mai 2017 sont deux dates à marquer d'une pierre blanche pour la Chine et la France, voire pour l'Europe.

 

Côté Chine, c'est pendant ces deux journées que s'est déroulé à Beijing le Forum de « la Ceinture et la Route » pour la coopération internationale, auquel ont assisté 29 chefs d'État et de gouvernement ainsi que des représentants de plus de 130 pays et organisations internationales. Cette rencontre a permis la conclusion de 270 accords de coopération répartis dans 76 grands projets, couvrant les domaines de la communication politique, la connectivité des infrastructures, la fluidité des échanges commerciaux, la circulation des fonds et la communion d'esprit entre les peuples. Cette réussite est le signe que l'orientation de la mondialisation choisi par ce Forum a gagné en reconnaissance.

 

Côté France, le dimanche du 14 mai s'est clôturé par l'investiture du nouveau président de la République, Emmanuel Macron, qui a déclaré haut et fort : « Les Français ont choisi […] l'espoir et l'esprit de conquête. » Dès le 15 mai, le nouveau président français a rencontré à Berlin la chancelière allemande Angela Merkel. Les deux dirigeants ont dressé une feuille de route commune pour reconstruire l'UE après le Brexit. Cette première visite symbolise le rétablissement de l'axe franco-allemand au cœur de l'UE et redonne une pointe de stabilité au monde tourmenté d'aujourd'hui.

 

À l'avenir, la Chine et les pays européens, notamment la France, pourront entreprendre une coopération dans le cadre des Nouvelles Routes de la Soie, ce qui jouera sur l'évolution de la mondialisation.

 

Emmanuel Macron : vers l'Occident ou vers l'Orient ?

 

Au lendemain de sa prise de fonctions, M. Macron se retrouve déjà face à des choix stratégiques.

 

Outre les enjeux traditionnels, comme constituer un gouvernement trouvant le juste équilibre entre les diverses forces politiques ou adopter des mesures efficaces au cours de son mandat pour réformer profondément le système social français, il devra trouver le moyen de reformer le « couple franco-allemand » et travailler avec l'Allemagne au lancement d'une refonte de l'UE, aujourd'hui arrivée à un carrefour, sans pour autant perdre de vue la primauté des intérêts français. La victoire d'Emmanuel Macron à l'élection est sans nul doute une bonne nouvelle pour l'UE, qui bénéficie d'un sursis de cinq ans. Pendant cette période, l'Allemagne et la France devront, en l'absence du Royaume-Uni, sauver l'UE en la conduisant sur la voie de la réforme.

 

Alors que Marine Le Pen a défendu son idée politique caractérisée par la « priorité nationale » tendant à l'ultranationalisme, Emmanuel Macron a préféré donner la priorité à l'Europe. Autrement dit, il est probable que M. Macron suive la logique suivante : les intérêts de l'UE d'abord (reposant sur les relations franco-allemandes), les intérêts de la France ensuite (notamment parce que les réformes internes sont trop difficiles à mener en France), et enfin, les relations entre la France et les autres pays. Outre les liens avec l'Allemagne, hors Europe, la France dirigée par M. Macron a pour priorité absolue de renforcer ses relations avec les États-Unis et la Chine.

 

Toutefois, même si M. Macron parvient à réunir l'UE autour de l'amitié franco-allemande et à lancer une réforme substantielle, l'UE pourra-t-elle aller au bout de cette réforme en comptant sur ses propres forces ?

 

Au fond de moi, je pense que non. En effet, l'actuel système décisionnel de l'UE fait obstacle aux mesures de réforme qu'elle doit pourtant mener urgemment pour éliminer certains problèmes accumulés au fil des années. Le programme de réforme pour une Europe « à plusieurs vitesses » proposé autrefois par l'Allemagne et la France, par exemple, avait été rejeté par les pays de l'Europe de l'Est. Par conséquent, le nouveau modèle d'intégration européen doit être repensé avec, derrière, l'idée d'un nouveau modèle de mondialisation économique. Les deux réformes doivent être mises en œuvre parallèlement, pour que la connexion du capital national et du capital étranger vienne apaiser les pressions appelant aux réformes intérieures.

 

Dans la marche synchronisée de l'UE et de la mondialisation économique, deux options sont au choix : le Partenariat transatlantique pour le commerce et l'investissement (TTIP) tourné vers l'Occident et l'initiative des Nouvelles Routes de la Soie tournée vers l'Orient.

 

Le TTIP est un accord d'investissement purement économique. Les deux parties concernées, c'est-à-dire les États-Unis et l'Europe, sont toutes deux des économies développées qui ont besoin l'une de l'autre. C'est pourquoi la France, l'Allemagne et d'autres pays européens manifestent un réel intérêt pour le TTIP. Seulement, l'Europe et les États-Unis n'arrivent pas à s'entendre sur des points spécifiques, notamment le commerce des produits agricoles. À présent, depuis l'arrivée au pouvoir de Donald Trump, l'avenir du TTIP s'avère plus incertain. Dans ce contexte, il ne reste plus qu'une seule carte à jouer pour l'Europe, semble-t-il : l'initiative chinoise des Nouvelles Routes de la Soie. C'est pourquoi la Suisse et d'autres pays européens ont témoigné leur profond enthousiasme envers la Chine au Forum de Davos, tenu au début de l'année. En outre, l'ex-premier ministre français Jean-Pierre Raffarin a participé au Forum de « la Ceinture et la Route » pour la coopération internationale à titre d'envoyé spécial du nouveau président français, émettant un nouveau signal positif pour les perspectives sino-européennes.

 

Le 29 avril 2017, un train Chine-Europe au départ de Londres est arrivé à Yiwu (Chine), le plus grand centre de distribution de produits au monde.

 

La coopération sino-européenne dans le cadre des Nouvelles Routes de la Soie

 

L'initiative chinoise des Nouvelles Routes de la Soie, insistant sur un mode de coopération caractérisé par la concertation, la synergie et le partage, renferme le concept d'un « vivre-ensemble » basé sur la sagesse politique traditionnelle chinoise, soit la coexistence de différentes civilisations, la recherche d'un développement par-delà les divergences traditionnelles ainsi que la gouvernance conjointe du monde. Derrière cette initiative s'entrevoit l'opposition entre la logique chinoise et la logique américaine en matière de gouvernance mondiale : d'un côté, la sécurité assurée par le développement ; et de l'autre, le développement assuré par la sécurité.

 

Selon la pensée chinoise, les problèmes de développement ne peuvent être réglés qu'à travers le développement, à même de garantir la stabilité, qui, elle, est gage de paix. Le développement est donc le seul moyen d'éradiquer les multiples risques et dangers latents, traditionnels comme nouveaux, y compris les conflits géopolitiques et le terrorisme.

 

Les Nouvelles Routes de la Soie ne correspondent pas à un « projet en solo » voulu par la Chine. Il s'agit d'une initiative ouverte au monde entier, qui fait l'intermédiaire entre plusieurs projets de développement existants, à dessein de recomposer le spectre du continent eurasiatique. Les pays qui répondent favorablement à l'initiative des Nouvelles Routes de la Soie ne cherchent pas à rendre une faveur à la Chine, mais y voient d'abord leur intérêt propre ; ensuite, ils cherchent à améliorer globalement la conjoncture mondiale par la création de « biens publics mondiaux » propices au développement de tous les pays ; enfin, ils entendent par ce biais renforcer leurs relations avec la Chine. En d'autres termes, toute coopération bilatérale ou multilatérale entreprise sur le continent eurasiatique, quels que soient les pays concernés, s'inscrit dans l'initiative des Nouvelles Routes de la Soie.

 

Lors du Forum susmentionné, les représentants des pays européens ont émis des commentaires positifs sur cette initiative, preuve qu'ils reconnaissent la valeur de son caractère ouvert et de son concept gagnant-gagnant. Philip Hammond, chancelier de l'Échiquier et envoyé spécial de la première ministre britannique au Forum, a indiqué à la réunion plénière de haut niveau que cette initiative inaugure un nouveau chapitre dans l'économie mondiale ; il est persuadé que la construction des Nouvelles Routes de la Soie injectera une nouvelle vitalité au développement durable mondial. Jean-Pierre Raffarin, représentant du président français au Forum, a affirmé que la France reconnaît fermement l'importance de l'interconnexion entre la Chine et l'Europe. Brigitte Zypries, ministre allemande de l'Économie et de l'Énergie ainsi que représentante du gouvernement fédéral et de la chancelière allemande au Forum, est d'avis que l'initiative des Nouvelles Routes de la Soie contribuera à réaliser l'interconnexion des infrastructures et à promouvoir le commerce et les investissements entre l'Asie et l'Europe.

 

Cependant, en réalité, des malentendus à l'encontre de la Chine persistent de façon générale dans les sociétés des grands pays européens. Les médias européens focalisent leurs reportages concernant la Chine sur ses « ambitions géopolitiques », sa « politique néocolonialiste », ses « surcapacités de production » et le « manque de transparence dans ses procédures commerciales/financières ». Il n'est pas difficile de comprendre pourquoi de telles critiques sont formulées à l'égard de la Chine : tout d'abord, les Européens éprouvent un sentiment inné de supériorité ; ensuite, leurs connaissances sur l'initiative des Nouvelles Routes de la Soie est dérisoire. Hormis les experts, peu de gens parmi le grand public européen en avaient entendu parler avant la tenue du Forum de « la Ceinture et la Route » pour la coopération internationale.

 

Jean-Pierre Raffarin l'a avoué au Forum : les Européens ne connaissent pas tous l'initiative des Nouvelles Routes de la Soie et la plupart ne comprennent pas en quoi elle est liée à l'avenir de l'Europe. Par conséquent, ce Forum était important pour permettre au monde entier, et notamment à l'Europe, de bien comprendre cette initiative afin que chacun aspire à s'engager profondément dans ce projet. Un premier pas visant à dissiper les malentendus, donc. M. Raffarin a raison quand il précise que l'Europe a encore beaucoup à faire pour informer les populations quant à l'initiative des Nouvelles Routes de la Soie. Selon lui, la France va présenter le contenu et les implications de cette initiative de manière approfondie à l'avenir, par l'intermédiaire des médias, et certainement voir avec la communauté chinoise résidant dans le pays comment prendre une part active dans cette initiative.

 

Déjà, lors de la fondation de la Banque asiatique d'investissement pour les infrastructures (AIIB), l'Europe et les États-Unis avaient témoigné leurs inquiétudes concernant le « manque de transparence » de cette banque. Les faits ont bientôt révélé que cette assertion n'était pas fondée. Depuis, des membres européens ont rejoint cette banque, dont les activités de financement respectent des normes mondiales particulièrement strictes. Il est certain que, de la même façon, l'initiative des Nouvelles Routes de la Soie obtiendra une reconnaissance tardive, une fois qu'elle aura fait ses preuves.

 

Les domaines de coopération sino-française possibles

 

L'ex-premier ministre français Dominique de Villepin, également présent au Forum, estime que la France et la Chine ont devant elles de larges perspectives de coopération dans le cadre de la construction de l'initiative des Nouvelles Routes de la Soie. Par exemple, la France abrite des entreprises présentant un savoir-faire, une expérience et des technologies dans le domaine des infrastructures. Elle est également assez développée dans les secteurs des transports, de l'urbanisme, de l'environnement, du traitement des eaux et de l'électricité. Par ailleurs, M. de Villepin propose d'encourager le développement des centres de recherches et des think tanks, plates-formes fort utiles pour explorer de nouvelles solutions, de nouveaux plans et de nouvelles stratégies.

 

Pour ma part, je considère que la coopération sino-française peut miser sur les domaines suivants :

 

Premièrement, les enjeux mondiaux. La coopération sino-française sur des thèmes planétaires, dont la lutte contre le changement climatique (avec l'Accord de Paris sur le climat), s'annonce prometteuse. De plus, à l'heure où les États-Unis sous l'administration de Donald Trump se tournent manifestement vers le « nouvel isolationnisme » et l'« anti-mondialisation », la Chine et la France, en parvenant à un consensus sur la gouvernance mondiale, pourraient dévoiler un autre visage de la mondialisation.

 

Deuxièmement, la coopération sino-française pourrait s'inspirer du modèle d'investissement « 1+1+1 » négocié par la Chine et l'Allemagne au cours de la visite en Chine d'Angela Merkel en 2016. Ce modèle additionne les forces suivantes : la Chine (avec ses capitaux, ses technologies, ses capacités de production et sa main-d'œuvre qualifiée), l'Allemagne (avec ses normes, sa main-d'œuvre qualifiée et son expérience), et les marchés d'investissement tiers (soit les pays riverains des Nouvelles Routes de la Soie). Une telle coopération permet de limiter considérablement les risques liés aux projets et d'augmenter l'efficacité de la coopération.

 

Troisièmement, la coopération sino-française peut se traduire par des investissements conjoints dans les pays francophones en Afrique. La France est un pays fondateur de l'UE, un membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU et une puissance nucléaire, mais présente d'autres atouts encore : sa langue et sa culture rayonnent dans une quarantaine de pays, majoritairement africains, ainsi que dans ses départements et territoires d'outre-mer dispersés aux quatre coins du globe. La coopération sino-française dans le cadre des Nouvelles Routes de la Soie intégrera tous les États francophones, une nouvelle bien accueillie par les pays africains. Certes, une certaine concurrence s'observe entre la Chine et la France sur les projets d'investissement dans les pays francophones d'Afrique, mais les deux présentent des avantages complémentaires, ce qui profite parallèlement aux pays destinataires des investissements.

 

Juste après la clôture du Forum de « la Ceinture et la Route » pour la coopération internationale, le palais de l'Élysée a annoncé le nom du nouveau premier ministre français : Édouard Philippe, âgé de 46 ans. Cette nomination illustre pleinement le style de direction d'Emmanuel Macron, caractérisé par la réconciliation gauche-droite et le pragmatisme. Les médias français décrivent Édouard Philippe comme un homme discret, efficace, calme et réfléchi. Il est à noter que celui-ci a toujours vu le marché chinois d'un œil favorable et défendu l'amitié entre la Chine et la France, ce qui présage un bel avenir pour la coopération sino-française.

 

Sachant qu'en plus M. Philippe a auparavant exercé des fonctions chez Areva, je me permets de supposer que la coopération sino-française dans le domaine du nucléaire civil ira bon train. Il faut savoir que la France est une puissance nucléaire mondiale et que la Chine développe énergiquement son industrie du nucléaire civil. Attendons donc de voir...

 

 

*XIA GUOHAN est chercheur à l'institut Charhar.

 

 

La Chine au présent

 

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