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2-December-2016

Le yuan dans le panier DTS... et bientôt utilisé par tous ?

 

Le yuan a été inclus dans le panier de devises DTS, devenant la cinquième devise intégrée après le dollar, l'euro, la livre sterling et le yen.

 

 

CHAI YIFEI*

 

Un après-midi de la mi-septembre, à l'aéroport de Francfort-sur-le-Main, en Allemagne. Chen Shi, un touriste chinois dont le voyage en Europe touche à sa fin, patiente, l'air anxieux, dans la longue file d'attente devant le guichet de détaxe.

 

« Les voyageurs chinois souhaitant bénéficier d'un remboursement de la TVA via Alipay (solution de paiement sur Internet) sont priés de venir ici. Il suffit de renseigner sur le bordereau de détaxe nom et prénom, numéro de passeport, adresse et numéro de compte Alipay. Cette procédure n'entraîne aucuns frais de gestion supplémentaires. »

 

Chen Shi lève la tête et découvre qu'un membre du personnel de l'aéroport est en train de lancer un appel, en mandarin, aux passagers chinois. Comme l'heure d'embarquement pour son vol s'apprête à sonner, il se précipite à la rencontre de l'employé, lui tend le bordereau de détaxe rempli avec les informations nécessaires et se dirige directement à la porte d'embarquement.

 

Dix jours ouvrables plus tard. L'équivalent en devise chinoise (renminbi, ou yuan) de la somme détaxée est déjà viré sur son compte Alipay. « Je ne pensais pas qu'à l'étranger aussi, il est possible d'utiliser Alipay et même son compte en yuan. »

 

Cette agréable surprise, Chen Shi la doit à l'actuel processus d'internationalisation du yuan, mais surtout à l'entrée en vigueur, officiellement le 1er octobre dernier, du panier de devises DTS révisé. En plus du dollar, de l'euro, de la livre sterling et du yen, celui-ci se compose désormais du renminbi, ce qui élève véritablement cette monnaie au rang de devise internationale.

 

Dès lors, le yuan pourra devenir une devise de réserve pour les pays du monde, les organisations internationales et les sociétés transnationales ; le yuan pourra aussi bien être dépensé que perçu à l'échelle du globe.

 

Une « chouette » période qui néanmoins ne s'instaurera pas du jour au lendemain. Avant d'être dépensé et perçu par tous, le yuan devra parcourir un long chemin semé d'embûches…

 

Des dépenses en yuan de plus en plus fréquentes

 

Chen Shi se dit très satisfait de son voyage, parce qu'il a eu la possibilité non seulement d'obtenir une détaxe via Alipay en Europe, mais aussi de n'emporter avec lui que très peu d'espèces en euros.

 

« À l'aéroport, j'avais changé 200 euros seulement, car pour les transports et l'hébergement, il est possible de réserver et de payer en ligne. Certains prix étaient même indiqués directement en yuans. Dans les centres commerciaux, il est plus pratique de payer avec sa carte UnionPay (carte bancaire chinoise), qui permet même parfois d'obtenir une réduction. De nombreux magasins collent à présent le logo UnionPay sur leur devanture », raconte Chen Shi, qui peine à contenir son enthousiasme.

 

Ainsi, plus besoin de changer ses espèces en devise étrangère : en réglant par carte, l'opération se fait automatiquement, ce qui a facilité la vie à Chen Shi lors de son séjour. Et selon Fu Hou, étudiante vietnamienne en Chine, ses compatriotes collectent de bon cœur des revenus en yuan. Auparavant, Fu Hou travaillait comme guide touristique dans son pays. Alors qu'elle faisait découvrir aux groupes de vacanciers chinois le bord de mer vietnamien, elle a découvert que les pêcheurs locaux inscrivent parfois, sur leurs seaux remplis de crabes, poissons ou fruits de mer, l'indication « RMB 100 » pour signaler qu'ils acceptent les renminbis. Il arrive même que les pêcheurs refusent aux touristes chinois l'équivalent du prix en dôngs (devise du Vietnam) : « Donne des yuans plutôt, c'est plus facile ! »

 

Zha Lun est, quant à elle, serveuse à temps partiel dans un restaurant en Thaïlande. Elle indique que parmi les touristes chinois qui viennent manger et laissent un pourboire, certains donnent 20 bahts ; d'autres donnent 5 ou 10 yuans. Les deux monnaies sont très courantes dans le restaurant, et les serveurs acceptent volontiers les pourboires donnés en yuan. « Après tout, la Chine est la deuxième économie au monde, et les Chinois disposent d'un pouvoir d'achat et d'une capacité de consommation très forts à l'échelle du globe, ce qui explique que les dépenses en yuan soient de plus en plus fréquentes. Mais pas de quoi s'inquiéter : l'argent qu'ils dépensent n'est pas perdu ! » lance Zha Lun en riant.

 

Le parcours du combattant pour intégrer le panier

 

DTS est l'acronyme pour « droits de tirages spéciaux ». Fondés dès 1969, leur valeur fut fixée au prix de 0,888671 gramme d'or pur, soit l'équivalent d'un dollar à l'époque.

 

En 1976, la plupart des pays commencèrent à adopter le taux de change flottant. Alors, le DTS « rompit ses liens » avec l'or pour évoluer en tant qu'actif de réserve et unité de compte. En bref, la monnaie apte à intégrer le panier de devises DTS, c'est la monnaie que la communauté internationale reconnaît en tant que telle et qu'elle est disposée à dépenser, comme l'or par exemple. C'est pourquoi les DTS sont surnommés « papiers d'or ».

 

Avant l'ajout du renminbi, le panier des devises DTS se composait de quatre devises : le dollar, l'euro, la livre sterling et le yen. Aujourd'hui, le yuan est entré directement en tant que troisième grande devise DTS après le dollar et l'euro, avec une pondération égale à 10,92 %.

 

« C'est le signe que le yuan est de plus en plus reconnu et accepté au niveau international. Par là même, la communauté internationale reconnaît les réalisations accomplies par la Chine à travers sa politique de réforme économique et d'ouverture », a exprimé Wen Bin, chercheur en chef à la China Minsheng Bank.

 

La circulation autrefois limitée du renminbi

 

En réalité, l'entrée du yuan dans le panier est un indicateur de l'internationalisation en cours de la monnaie chinoise. Cet épisode constitue un grand pas en avant. Toutefois, pour que le renminbi passe du statut de devise non reconnue à celui de devise progressivement admise à l'international, avant de parvenir enfin à une large circulation tant espérée pour l'avenir, la route à parcourir sera encore bien longue…

 

Pendant une période relativement étendue qui a perduré même après la réforme et l'ouverture, d'un côté, à l'étranger, le yuan ne pouvait pas circuler ; de l'autre côté, en Chine, les opérations de change entre les compatriotes étaient soumises à des quotas de réserves de change nationaux. Selon la base de données des Nations unies, en 1978, les réserves de change détenues par la Chine s'établissaient à 1,6 milliard de dollars seulement ; en 1990, elles s'élevaient à 28,6 milliards de dollars seulement.

 

« À cette époque, pour changer de l'argent en devise étrangère, il fallait chaque fois s'y prendre à l'avance, émettre une demande auprès des autorités compétentes, puis encore attendre plusieurs mois », se souvient Mei Xinyu, chercheur à l'Institut de recherche sur le commerce international et la coopération économique relevant du ministère chinois du Commerce.

 

D'une part, changer de l'argent n'était pas une mince affaire pour les Chinois ; d'autre part, les étrangers maintenaient une certaine « réserve » à l'encontre du renminbi. Mark est un universitaire américain. De temps en temps, il est convié à aller en Chine assister à des séminaires tenus dans des établissements supérieurs. La première fois qu'il a atterri en Chine, il y a une vingtaine d'années, il s'est rendu dans une banque pour y changer les dollars qu'il transportait en yuans. Mais avant de repartir aux États-Unis, il a pris soin de rechanger en dollars l'intégralité des renminbis qu'il n'avait pas consommés, se disant qu'il serait impossible de les dépenser et bien difficile de les convertir une fois de retour chez lui. Conserver ces yuans représentait un risque selon lui.

 

Les étrangers aiment aussi les renminbis

 

« Maintenant, en revanche, je ne me fais plus de souci à ce sujet », poursuit-il en exhibant sa carte UnionPay. Ces dernières années, Mark entretient des rapports de plus en plus étroits avec les universités. Il a choisi de ne plus changer son argent à chaque aller-retour, mais de déposer ses yuans sur un compte bancaire en Chine pour pouvoir les utiliser lors de son séjour suivant. Aujourd'hui, il accepte même d'être rémunéré en yuans pour les conférences qu'il donne dans les établissements supérieurs chinois. « Même s'il est rare que j'emporte des renminbis avec moi aux États-Unis, il n'est plus difficile, pour qui le veut, de les changer en dollars là-bas. Et puis, un grand nombre de centres commerciaux acceptent les paiements par carte UnionPay. »

 

À vrai dire, les gens consentent de plus en plus à utiliser le yuan. De nos jours, les paiements libellés en renminbis sont de plus en plus courants dans de nombreux échanges commerciaux internationaux. Au marché des petits articles de Yiwu, un nombre croissant d'entreprises chinoises règlent leurs transactions avec des hommes d'affaires étrangers en yuans ou au moins, s'abstiennent de passer par le dollar, se basant alors directement sur le taux de conversion défini entre le yuan et l'autre devise étrangère (le rouble, par exemple). L'opération est donc simplifiée, ce qui réduit les pertes liées à la conversion dans une devise intermédiaire, mais aussi évite les incertitudes suscitées par les fluctuations des taux de change.

 

Prenons l'exemple de Volkswagen en Allemagne. Sa première monnaie d'échange est l'euro, devise en vigueur sur son marché local ; sa deuxième monnaie d'échange n'est pas le dollar, mais le renminbi. Cela reflète l'importance de plus en plus marquée du marché chinois ainsi que l'accroissement constant du commerce sino-allemand. Selon les informations communiquées par le service des relations publiques du groupe Volkswagen (Chine), la Chine représente le marché le plus important au monde pour Volkswagen. En 2014, Volkswagen y a livré 3,7 millions de voitures. Et toutes les transactions commerciales effectuées sur le territoire chinois sont réglées en yuans.

 

Pour la société britannique Jaguar Land Rover, l'échange et l'utilisation du yuan sont devenus un élément majeur dans ses activités financières, en raison de la hausse continue des ventes de Jaguar en Chine, sans oublier le projet de création d'usine en collaboration avec le chinois Chery, projet signé en 2014 et estimé à plus de dix milliards de yuans. Ben Birgbauer, trésorier de la société, a affirmé : « Pour nous, le renminbi est tout aussi important que n'importe quelle autre grande devise. Nous utilisons essentiellement les yuans pour régler des ventes, injecter des fonds dans le projet de joint-venture, verser des dividendes sur les ventes ainsi qu'effectuer des placements de trésorerie et de couverture des risques. À vrai dire, à Londres désormais, il est possible d'entreprendre presque toutes les opérations de change ou de gestion souhaitées en yuan. »

 

L'internationalisation : une histoire à suivre…

 

L'internationalisation du yuan apporte au peuple chinois plus de commodités et d'avantages pour consommer, acheter et investir à l'étranger.

 

Bien que les résultats soient déjà brillants, au stade actuel, cette internationalisation n'en est encore qu'à la phase initiale. Après tout, du point de vue de la consommation, ce sont majoritairement les organismes liés à la Chine qui utilisent le yuan, très peu des parties tierces.

 

Dans le même temps, l'intégration du renminbi dans le panier DTS soulève opportunités et défis. À l'avenir, le droit de parole de la Chine dans les organisations financières internationales devrait s'accroître et l'internationalisation du yuan devrait progresser, à condition que l'économie chinoise dont ces deux processus dépendent maintienne son développement stable et sain.

 

« La Chine présente un certain nombre de lacunes en matière de contrôle des risques liés au taux de change et au taux d'intérêt, auxquelles viennent s'ajouter l'état encore morose de l'économie mondiale et la tendance à la baisse dont souffre le renminbi. Cette situation impose une certaine pression sur la marche vers l'internationalisation. Par conséquent, il convient aujourd'hui d'approfondir la réforme financière nationale et d'élever le niveau de marchéisation des facteurs financiers », analyse Guo Tianyong, directeur du Centre de recherche sur le secteur banquier chinois relevant de l'Université centrale des finances et de l'économie de Chine.

 

Maintenant que le yuan a franchi le seuil du panier DTS, la porte vers le statut de devise de réserve internationale est grande ouverte. Mais pour passer de l'appréciation « conforme » à « populaire », la route est encore longue... Le yuan va-t-il poursuivre son internationalisation jusqu'à être utilisé de tous ? Affaire à suivre…

 

 

*CHAI YIFEI est journaliste pour le Quotidien du Peuple (édition d'outre-mer).

 

 

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