MAI 2005

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Le seul mensuel multilingue d'intérêt général en Chine, publié en français, anglais, espagnol, allemand, arabe et chinois.

 

Des artisans de la reconstruction rurale à Dingzhou

LU RUCAI

Yen Yangchu (3e  à dr.) avec les membres de sa famille. Des intellectuels participant au mouvement de la reconstruction rurale, devant la gare de Dingxian en 1926. Des enfants de la campagne apprennent à se brosser les dents, durant le mouvement de la reconstruction rurale.

Fondé à l’été 2003, l’Institut de reconstruction rurale James Yen attire toujours l’attention des chercheurs de la Chine et de l’étranger. M. Wen Tiejun, fondateur de l’actuel Institut, est aussi appelé le « nouveau promoteur du mouvement de la reconstruction rurale ».

Deux expériences en près de 80 ans

Dans le village de Zhaicheng en banlieue de Dingzhou, ville de la province du Hebei, tous les villageois d’un certain âge peuvent facilement chanter la Chanson des paysans. C’est un docteur en agriculture, venu dans le district de Dingxian il y a près de 80  ans, qui leur a appris cette chanson. C’est à ce moment-là que celui-ci a aussi dirigé les paysans dans une expérience de reconstruction de la campagne. Ce personnage était Yen Yangchu.

En 1926, Yen Yangchu a entrepris un programme d’éducation populaire dans ce district de la province du Hebei; il y a établi une association de promotion de l’éducation du peuple de Chine. Trois ans plus tard, toute sa famille s’est installée dans ce district. Les locaux du siège de l’association sont encore en bon état dans une des rues de l’endroit. Suivant l’exemple de ce pionnier, plus de soixante intellectuels de tous les secteurs sont venus s’installer dans ce district avec leur famille. Par rapport à ce déplacement, Yen Yangchu a estimé que le fait de se déplacer de Beijing au district de Dingxian ne signifiait pas seulement franchir une distance de centaines de kilomètres; c’était traverser une dizaine de siècles. Pour les intellectuels, c’était probablement le premier mouvement de « retour à la campagne ». Ils ont surmonté toutes sortes de difficultés et ont fait leur possible pour s’adapter à la vie rurale sur tous les plans. À travers l’étude générale d’un district, ils ont essayé de percevoir la condition sociale de toute la Chine. Sur cette base, ils ont ensuite cherché à élaborer un plan de transformation de l’ensemble de la société rurale. D’après Yen, l’idée était d’introduire à Dingxian le mode de fonctionnement d’un laboratoire occidental; le nombre d’intellectuels qui ont participé à cette expérience a atteint les 500.

Même s’il n’a pas pris part personnellement à l’expérience de Yen Yangchu, monsieur Han, maintenant âgé de 74 ans, est très volubile sur le sujet. Ses nombreux souvenirs proviennent de sa mère, une femme simple qui avait alors participé aux cours d’éducation populaire. « Déjà, il y a plus de 70 ans, des villageois comme nous pouvions visionner un film muet. On avait filmé notre travail. C’était très avancé! », dit-il avec fierté. Yen Yangchu cherchait par tous les moyens à améliorer la situation dans tous les domaines à l’échelon du district: par exemple, enseigner aux villageois, améliorer la qualité du coton et du porc, fonder une station sanitaire de même qu’une école normale pour femmes. Il a même établi une station de radio dans le village; chaque matin, à six heures, on annonçait les prévisions de la météo, et le soir, à 20 h, les prix des légumes sur le marché de Dingxian. À cette époque-là, il y avait plus de 80 stations de radio en Chine, mais celle-là était la seule à l’intention des paysans.

Au moment où la guerre de Résistance contre le Japon (1937-1945) a été déclarée, cette expérience, qui était en cours depuis déjà dix ans, a dû être arrêtée.

Mais voilà que quelque 65 ans plus tard, en 2003, un autre docteur est arrivé dans le village de Zhaicheng. Cette fois, il s’appelle Wen Tiejun. Au siège même de l’ancien Institut de reconstruction rurale James Yen, il a repris cette expérience. Il est spécialiste en agriculture et président de l’Institut du développement agricole et rural de l’Université du peuple. Il y a quelques années, il était venu effectuer une enquête dans le village de Zhaicheng. Ayant du respect pour Yen Yangchu et étant attentif aux problèmes de la campagne, Wen et le village de Zhaicheng ont établi de concert l’Institut de reconstruction rurale James Yen.

M. Wen explique ainsi : « Notre expérience et celle de M. Yen ont le même contexte : l’industrialisation et l’urbanisation ont accéléré le choc des changements dans les campagnes, de sorte que beaucoup de problèmes s’y accentuent et ont besoin d’être résolus d’urgence. » Il faut savoir toutefois que l’ancien institut et le nouveau ne sont pas identiques.

Des volontaires venues de différentes régions. Des volontaires au travail.

L ’Institut de reconstruction rurale James Yen.

Pan Jia’en explique aux visiteurs le plan de développement de l’Institut.

Qu’apporte l’Institut aux paysans?

En avril 2004, c’était les semailles du printemps en Chine du Nord. Une centaine de paysans et de volontaires venus des quatre coins du pays ont assisté au premier cours offert par l’Institut. Les enseignants de cet institut sont des spécialistes, des chercheurs et des volontaires de tous les domaines qui ne reçoivent pas de rémunération.

La « gratuité des frais pour les travailleurs » est le mode de formation offert par cet institut. Les paysans qui y participent ne payent ni frais de scolarité et d’inscription ni frais de nourriture et de logement; toutefois, ces participants doivent utiliser les deux tiers de leur temps dans un travail leur permettant de subvenir à leur subsistance alimentaire. D’après Qiu Jiansheng, responsable des affaires quotidiennes de l’Institut, ce type de formation ne signifie pas « gagner sans travailler » . En fait, il a pour but de susciter le respect pour le travail des paysans et de défendre la dignité des travailleurs. Il a aussi pour but d’attirer plus de paysans démunis; ceux-ci pourront à leur tour entraîner d’autres paysans qui eux-mêmes pourront ainsi se débarrasser de la pauvreté.

Les paysans participant à la formation peuvent acquérir des connaissances élémentaires dans divers domaines, dont l’utilisation de l’ordinateur; les techniques de culture des légumes et autres plantes agricoles; les techniques de base pour travailler en ville; et l’expérience de fonctionnement des coopératives rurales, présentée par certains fondateurs de ces coopératives, venus de tout le pays. La coopérative du village de Zhaicheng a été organisée par les villageois eux-mêmes, après qu’ils aient suivi un cours de ce genre.

 « À travers la technique, on développe la capacité des paysans à s’entraider », a dit Wen. Tel est le principe de formation de cet institut. On peut le voir facilement dans le programme des cours. Mentionnons, par exemple : Théorie du développement continu de la campagne; Connaissances de l’économie politique et Fonctionnement coopératif en agriculture; Protection de l’environnement et biodiversité; Histoire et édification de la campagne dans les pays étrangers; et Art et culture. Ceux qui participent à la formation sont des intellectuels ayant l’idéal de transformer l’aspect de la campagne et approuvant la conception de construire la campagne (des jeunes qui sont retournés à la campagne après avoir obtenu leur diplôme de l’école secondaire), des paysans d’élite, des médecins de campagne, des techniciens agricoles, des cadres de la base et des jeunes volontaires qui ont l’intention de servir les paysans. « Une fois que la qualité des paysans s’est élevée, ces derniers peuvent protéger leurs propres intérêts », a expliqué Wen.

Et celui-ci a déclaré aux paysans : « Si nous établissons une coopérative et achetons ensemble les engrais chimiques et les fourrages, le risque d’être escroqués sera beaucoup diminué. Si nous contrôlons et prévoyons ensemble les maladies et les parasites, le résultat sera radical et économique. Si nous vendons nos fruits ensemble, nous pourrons partager les bénéfices. En plus, quand nous ne pourrons pas emprunter de l’argent à la banque, grâce à notre coopérative, nous pourrons nous entraider. »  Les premiers participants à la formation ont établi une dizaine de coopératives dans leur village natal, et les deux tiers de ces personnes travaillent actuellement selon cette idée. Suivant la pensée de Wen Tiejun, le but ultime de la coopérative est de généraliser l’agriculture biologique. « Quand les villageois n’utiliseront plus d’engrais chimique pour cultiver leurs céréales, je pourrai les aider à trouver des débouchés en ville », affirme-t-il. Pour le moment, ce que la coopérative fait le plus, c’est de s’occuper de l’achat regroupé des biens de production et de réduire le coût de revient de la production agricole.

Une visite instructive

L’Institut de la reconstruction rurale James Yen est situé dans une école secondaire abandonnée du village de Zhaicheng. Quand on y entre, on peut voir la statue de son fondateur, de même que le mot d’ordre, écrit des deux côtés de la porte : Former la capacité du peuple et construire la campagne. Quelques rangées de locaux en brique, avec des fenêtres dont certains carreaux sont manquants, se trouvent dans la cour de l’école. Qiu Jiansheng, directeur du bureau de l’Institut, et sa famille habitent dans une classe rudimentaire.

Il y a quelques années, sous les regards envieux de ses compatriotes, Qiu quittait son village natal de la province du Fujian pour entrer à l’université. Cependant, moins de dix ans après avoir obtenu son diplôme universitaire, il s’est réinstallé dans la campagne du Hebei avec sa famille; il a épousé une paysanne de la province du Hubei qu’il avait rencontrée lors de sa formation.

Au moment de la visite, il n’y avait pas de paysans en formation à cause de la saison morte de l’hiver. Il n’y avait que six étudiants volontaires et quelques villageois embauchés pour s’occuper de la terre de l’institut.

Pan Jia’en est diplômé depuis peu de l’Université agricole de Chine; il est directeur adjoint du bureau de l’Institut. Recruté par le bureau de l’Aide internationale en Chine, il gagne presque 2 000 yuans par mois, un salaire très supérieur à celui d’autres étudiants et employés de cet institut (500 yuans environ). Originaire de la campagne du Fujian, il connaît bien la vie pénible des paysans. Alors qu’il était à l’université, il avait organisé des enquêtes à la campagne. « Je n’ai pas osé dire à ma famille que j’avais donné ma démission d’une unité d’État pour venir travailler ici, a-t-il dit; pour un enfant originaire du milieu rural, ce n’est pas facile de sortir de la campagne. Ma famille ne voulait pas que je fasse mes études dans une université d’agriculture et mes parents espéraient que je cherche un emploi en ville. Maintenant, je suis obligé de leur dire que ma compagnie est à Beijing et que je dois souvent aller un peu partout en mission. » Il n’a pas du tout regretté d’avoir pris cette décision. Il y a bien d’autres volontaires comme lui qui se sont installés ici à l’insu de leur famille.

À l’institut, chaque volontaire trouve rapidement sa place. Tôt après son arrivée, Xiao Zhou, rentré de Grande-Bretagne, a rapidement mis de l’ordre dans la bibliothèque. Bien qu’originaires du milieu rural, la plupart des personnes qui travaillent ici n’avaient jamais fait de travaux agricoles auparavant. Peu de temps après leur arrivée, ils sont déjà capables de conduire le véhicule agricole à trois roues. Mais par manque d’expérience en production agricole, ils n’ont pas bien cultivé ces trois hectares de terre de l’institut, et leur récolte était moins du tiers de celle des paysans locaux, ce qui a beaucoup affligé ces étudiants en agriculture. Mais ils ont quand même dit qu’ils continueraient de refuser d’employer des engrais chimiques et qu’ils cultiveraient la terre selon le rapport d’examen du sol effectué par le laboratoire, et ce, jusqu’à ce qu’ils puissent donner un bon modèle aux paysans locaux.

« Le budget de l’institut provient d’organisations de Hongkong et d’organisations internationales non gouvernementales, mais ce budget est uniquement utilisé pour la formation des paysans. Quant aux dépenses quotidiennes encourues par les travailleurs et les volontaires de l’institut, ceux-ci doivent gagner de l’argent en travaillant. Actuellement, l’institut possède une bibliothèque, un laboratoire et une salle d’ordinateurs aux installations rudimentaires, et la plupart des matériaux sont fournis par les volontaires de tout le pays. Ils ont encore besoin d’argent pour améliorer les installations.

La nourriture des volontaires est très simple, mais ils ne trouvent pas la vie dure. Ils ont fait paraître le journal de l’institut et du village de Zhaicheng, et ils ont remis sur pied la troupe artistique dissoute il y a des années. Comme Xiao Pan l’exprime : « Nous menons quand même une vraie vie. Ce à quoi nous nous intéressons et ce que nous faisons ont une certaine portée. N’est-ce pas la vraie vie que de travailler avec des amis qui ont le même espoir : celui de transformer l’aspect de la campagne ? »

 

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Des artisans de la reconstruction rurale à Dingzhou
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