SEPTEMBRE 2004

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Le seul mensuel multilingue d'intérêt général en Chine, publié en français, anglais, espagnol, allemand, arabe et chinois.

 

La citerne de secours
Lutter contre la pauvreté
Changer des vies, une communauté à la fois

Lutter contre la pauvreté

RON GLUCKMAN

 

On offre ses souhaits aux volontaires.

Wei Mingrui s’étonne à l’idée que les collines karstiques derrière chez lui soient considérées comme des merveilles du monde. Pour lui, ces formations rocheuses coniques que l’on voit souvent en Chine du Sud sont simplement une scène devant laquelle il s’est émerveillé toute sa vie. Pour ce qui est des autres merveilles du monde, Wei n’en a pas d’idées. Le chef du village de Nongxiang, 45 ans, est l’homme qui a le plus voyagé dans son village, mais il n’a jamais été plus loin qu’à 30 kilomètres de la maison dans laquelle il est né et vit aujourd’hui.

Ces collines karstiques s’étendent jusqu’au Vietnam et embellissent les cartes postales de Guilin de Chine. Ici, elles ombragent les champs pierreux, le sol érodé par les inondations ou recouvert d’une croûte durant les sécheresses. Il est donc fort compréhensible que Wei n’arrive pas à s’émerveiller devant ces montagnes de roches. La plupart du temps, il doit porter son attention sur les crevasses percées entre ces collines rocheuses lorsqu’il rapporte de l’eau à la maison pour sa famille et leur champ de maïs desséché, car c’est tout ce dont la famille possède pour sa subsistance.

Ces derniers temps, Wei escalade encore les collines, mais ce qu’il balance sur sa palanche ce sont des chaises en bois et non de l’eau. Il fabrique ces chaises dans son atelier, puis il les transporte à la ville la plus proche, à une vingtaine de kilomètres, où il les vend 1 $US chacune. Avec les profits qu’il en tire, il achète du bois, car sa scie mécanique lui permet de fabriquer sept chaises par jour, alors qu’avant, il ne pouvait en fabriquer que deux. Et le mieux, c’est que Wei dispose de suffisamment de temps pour la menuiserie, maintenant que ses préoccupations pour l’eau sont chose du passé. Le village possède plusieurs énormes citernes. En outre, lors des jours de fête comme la fête du Printemps, les villageois profitent maintenant d’un petit plaisir qui, autrefois, aurait été impensable : manger un peu de viande.

L’eau potable, un progrès inimaginable

Ce n’est pas la prospérité, mais Wei note un progrès énorme dans son petit coin de terre. C’est à peu près la même chose à Nongma, situé à quelque 30 minutes à vol d’oiseau, mais assez loin à pied pour qu’aucun habitant de ces deux villages ne se soit jamais rencontré. Toutefois, il y a une ressemblance frappante entre les deux, tout comme avec la plupart des villes dans cette partie isolée de la région autonome zhuang du Guangxi, un lieu d’une pauvreté bouleversante de la Chine du Sud-Ouest, à proximité de la frontière du Vietnam. Les maisons à deux étages sont habituellement en pierre et en bois grossièrement équarri; les gens sont entassés à l’étage et le maïs est entreposé dans les greniers. Le plancher du rez-de-chaussée est en terre battue, et on y entend le grognement des porcs, si la famille a les moyens de s’en permettre.

Il y a quelques années, Nongma n’avait pas de porcs ni d’électricité. Personne ne s’en souciait parce que ces choses avaient toujours manqué, tout comme les écoles, les services sanitaires et les magasins. Le plus important, c’était l’eau qui se tarissait bien souvent, tout comme à Nongxiang d’ailleurs. Le point d’approvisionnement le plus près représentait un voyage aller-retour de quatre heures de marche dans les montagnes.Tan Zhi, 48 ans, le chef du village, se souvient d’avoir fait deux fois par jour cet aller-retour, son dos ployant bien involontairement sous une charge de 75 kg. Puis, il sourit et offre de montrer aux visiteurs ce qui fait la fierté de Nongma : le nouveau réservoir d’eau qui facilite la vie de tout le monde.

Nongma est encore un village pauvre. Son revenu annuel est d’environ 250 yuans (environ 30 $US), nous dit Tan, avec une fierté surprenante. C’est qu'il était de 24 $, avant qu’une source d’eau fiable vienne augmenter le rendement des cultures. Tan fait également l’éloge de quelque chose dont personne n’avait jamais entendu parler auparavant : les prêts. Grâce à eux, ils ont pu acheter les engrais pour les champs et les premiers animaux du village; maintenant, les 13 ménages du village possèdent des porcs ou des chèvres.

Les habitants proposent des changements

Nongma et Nongxiang ont l’impression d’avoir accompli une avancée quasi miraculeuse durant la dernière décennie. Et ils ne sont pas les seuls villages à être ainsi. Tan, Wei et leurs voisins font partie des millions de ruraux de la Chine du Sud-Ouest qui ont été tirés du cercle vicieux de la pauvreté grâce à un programme innovateur et global d’éradication de la pauvreté qui, pour la première fois en Chine, investit l’argent directement dans les villages, en finançant les projets suggérés par les villageois eux-mêmes.

À Nongma, un peu plus de 1 000 $US ont été versés. La majeure partie de l’argent a servi au béton des citernes d’eau, car les habitants ont fait le reste du travail. En plus des deux grosses citernes, ils ont construit une dizaine de citernes privées à l’intention de la plupart des maisons. À Nongxiang, les fonds de réduction de la pauvreté ont non seulement payé les citernes d’eau, mais aussi les cochonnets et la scie mécanique de Wei. Les deux villages ont maintenant l’électricité, et chacun a récemment accueilli une nouvelle innovation : la télévision.

Ce n’est qu’un petit exemple de l’impact du Programme de réduction de la pauvreté du Sud-Ouest (PRPSO) qui a été implanté de 1995 à 2001 dans les parties les plus pauvres du Guangxi, du Guizhou et du Yunnan. On a affecté quelque 500 millions $US à une surprenante variété de projets, différents de village en village, et qui couvraient différents secteurs. Ces projets concernaient la construction de routes et autres infrastructures sanitaires et d’éducation, allant du financement d’entreprises de village à l’assistance à la mobilité de l’emploi. Et peut-être, le plus révolutionnaire de tout, a été le fort accent mis sur la consultation publique à tous les niveaux, jusqu’à l’échelon du village.

Un problème de proportions épiques

La pauvreté sévit en Chine depuis des siècles. Selon des sources officielles, 250 millions de personnes, incluant 30 % de la population rurale, vivaient sous le seuil de la pauvreté en 1978. En dépit d’une série de campagnes d’éradication de la pauvreté, qui ont entraîné une chute spectaculaire de celle-ci –du jamais vu ailleurs dans le monde–, il y a encore 85 millions de personnes qui vivent encore sous ce que l’État a désigné, l’année dernière, comme seuil de la pauvreté, selon des estimations chinoises officielles.

Réalisant qu’une nouvelle approche était nécessaire, la Chine avait lancé le Plan 8-7 en 1994. Ce n’était toutefois pas une campagne centralisée ayant des objectifs nationaux. Elle ciblait les 592 districts les plus pauvres de Chine, habitat de plus de 70 % de la population indigente. L’objectif : tirer de la pauvreté 80 millions de personnes en sept ans.

Un autre changement a été la volonté des Chinois de travailler en partenariat étroit avec les agences étrangères comme les groupes d’aide. Au début, pour Beijing, la Banque mondiale a été un partenaire crucial qui a fourni 247,5 millions $US pour le PRPSO. Beijing a pour l’essentiel versé une somme équivalente, mettant ainsi une somme de près d’un demi-milliard $US à la disposition de l’un des plans les plus ambitieux, les plus complexes et les plus globaux de réduction de la pauvreté jamais tentés auparavant.

Un départ en trombe

Sous plusieurs aspects, le PRPSO a connu un départ en trombe, franchissant bon nombre de nouvelles étapes, certaines « risquées et provocantes », avoue le chef d’équipe de la Banque mondiale, Alan Piazza, qui a travaillé à ce projet depuis le tout début de la planification, il y a une décennie. Le facteur de la mobilité de la main-d’œuvre n’avait jamais été tenté auparavant. Près de 300 000 personnes ont participé. Ces pauvres villageois des régions montagneuses, sans espoir d’emploi, étaient mal équipés pour s’intégrer à la vague des quelque 100 millions de migrants qui se déplaçaient déjà dans les villes en plein essor de la Chine.

Toutefois, les consultations ont révélé que c’était exactement ce que les montagnards désiraient. « Au début, nous avons tiré une leçon clé : si le paysan n’est pas intéressé, le projet ne fonctionnera pas », a déclaré Piazza. « Ceci est devenu pratiquement la devise de notre projet : écoutez les villageois. Nous les avons consultés et, sans exception, ils ont dit : "Trouvez-nous du travail, aidez-nous à sortir de la ferme". Le projet leur a fourni une formation spéciale et a aidé des centaines de milliers de personnes à se trouver un travail, surtout dans les villes en plein essor situées au nord de Hongkong. C’était comme réduire la pauvreté du jour au lendemain », déclare fièrement Piazza. En tout, plus de 163 millions $US ont été versés aux travailleurs durant le projet.

En raison de son ampleur et de son aspect multisectoriel, les programmes et le financement ont dépassé la période de six ans; en fait, certains programmes se sont poursuivis pendant quelques années de plus.

Succès enregistrés dans le district de Duan

Peu de projets étaient aussi inhabituels que celui d’une entreprise villageoise du district de Duan. Fondée en 1969, la Yaoling Winery bouchait ses bouteilles de vin à la main avant qu’un prêt de 650 000 $US du PRPSO ne vienne financer une chaîne d’embouteillage et un entrepôt. Le directeur général Qin Qiyang déclare que sa part de marché augmente et que les distributeurs étrangers commencent à développer un goût pour ces crus uniques. Les bénéfices qu’en retire le district de Duan vont bien au-delà de l’emploi à l’usine ou des revenus fiscaux. Yaoling utilise un raisin sauvage qui pousse autour des collines de roche. La production peut fournir un revenu aux vendangeurs dans les collines où les raisins sauvages sont considérés comme une ressource renouvelable ayant un potentiel énorme.

Créer de l’emploi dans des endroits comme le district de Duan représente un défi. Avec une population de 620 000 personnes, le district n’est situé qu’à deux heures de route de Nanning, ville dotée d’un aéroport et d’une liaison ferroviaire avec les autres carrefours chinois. Cependant, le district de Duan est en grande partie un district rural, regroupant 584 300 ménages paysans sur ses 4 095 km2, dont la grande proportion n’est pas favorable à la culture. Les estimations officielles évaluent que 89 % de la terre du district est occupée par des formations karstiques. La structure ethnique du district de Duan est pratiquement aussi évocatrice que les montagnes de pierre. Le district abrite au moins une dizaine d’ethnies minoritaires différentes, dont les Miao, les Mulao et les Maonan. Cependant, à l’échelon de l’autorité centrale à Beijing, le district est considéré comme un district autonome de l’ethnie yao et se voit accorder des privilèges spéciaux, puisque les Yao forment 22 % de la population du district de Duan. Toutefois, les Yao ne forment pas le groupe ethnique majoritaire; ce sont les Zhuang. On en compte quelque 17 millions à travers le pays, mais 90 % d’entre eux vivent dans la région autonome zhuang du Guangxi.

Un plan adaptable

La complexité linguistique et culturelle et les alliances claniques sont typiques de la Chine du Sud-Ouest, ce qui contribue au défi qu’affronte un plan de réduction de la pauvreté régional qui se veut efficace. Vous marchez quelques kilomètres dans ce paysage féerique, puis au détour d’une courbe, soudain, les gens, les dialectes et les vêtements changent. Toutefois, il y a une caractéristique constante : la pauvreté harcelante qui semble attachée à ces collines pierreuses.

« Il y a dix ans, lorsque nous sommes arrivés pour la première fois avec l’équipe préparatoire, nous avons vraiment senti que la situation était sans espoir, avoue Piazza. Nous avions l’impression qu’aucune somme investie n’arriverait à changer les choses, que ces gens étaient au bord du précipice, comme suspendus, et qu’ils n’avaient pas autre chose que de la bouillie de maïs à manger. Par rapport à il y a dix ans, le changement est spectaculaire. »

La leçon à tirer, c’est qu’un plan de bataille coordonné contre la pauvreté peut être adapté, quel que soit l’endroit. Déjà, la Chine et la Banque mondiale ont étendu la campagne à d’autres régions souffrant de pauvreté. L’an prochain, un projet de 185 millions de $US débutera au Ningxia, au Sichuan et au Shaanxi. D’autres projets sont en cours au Gansu et en Mongolie intérieure, et un budget de 130 millions sera alloué à 18 districts pauvres du Guangxi, du Yunnan et du Sichuan. « Ceci nous conduit au Programme 4 », déclare Piazza avec fierté.

Mais tout ne s’est pas déroulé sans heurts. Les efforts clés pour étendre les bénéfices aux ethnies minoritaires des régions les plus reculées ont connu peu de succès. Il y a plusieurs causes à cette situation, mais en gros, le manque d’infrastructures et des incompréhensions ont nui à l’assistance : les officiels de district n’étaient pas suffisamment familiarisés avec les tribus éloignées. Pour l’avenir, du personnel d’assistance autochtone à ces régions montagneuses éloignées doit être recruté.

Et encore des retombées…

Les gens de l’endroit, comme Li Jian, ont une opinion différente de nous à propos des chiffres importants : pour lui, ceux qui comptent, ce sont ceux dans les livres et sur le tableau noir de l’école San Li. Li est le directeur d’une école qui compte 230 enfants. Grâce au PRPSO, les élèves ont des pupitres, et les professeurs peuvent utiliser de vraies craies et des tableaux noirs. Auparavant, les élèves de San Li étaient entassés dans un abri en pierre construit en 1932. « Tout a été amélioré, déclare Li, non seulement l’enseignement, mais toute l’ambiance d’éducation ». Les anciennes classes sont des dortoirs; les étudiants des régions montagneuses n’ont plus besoin de marcher de 6 à 8 kilomètres chaque jour. « Nous avons même des manuels », s’enthousiasme Li.

L’autre situation n’est pas difficile à imaginer. Dans les collines qui surplombent San Li, se trouve l’école Long Shi. Celle-ci ressemble à une ancienne gare de train abandonnée, et le toit d’une aile entière est effondré. Une ribambelle d’élèves, pieds nus, sortent de classes non éclairées et aux planchers en terre battue, et ils entourent le directeur Wei Jinshou, 50 ans, qui avoue : « C’est horrible, le pire endroit que j’aie connu durant ma vie d’enseignant. Il n’y a aucune lumière. Les conditions sont misérables. » Même un demi-milliard de dollars semble être une somme dérisoire, dans un endroit où la pauvreté est si bien enracinée.

Il y a dix ans, note Mo Xiugen, chef adjoint de la planification du Centre de gestion des projets du Guangxi à Nanning, de telles écoles étaient chose courante. Heureusement, des cas comme Long Shi sont de plus en plus rares dans ces régions, tout comme l’illettrisme et le manque d’eau potable. Dans une grande partie de la Chine du Sud-Ouest, c’est cela qui est une véritable merveille du monde.

Document

Bref aperçu des résultats

Projet de réduction de la pauvreté du Sud-Ouest

Durée : 1995-2001

Aide de la Banque mondiale : 47,5 millions $US en prêts + 200 millions $US de crédits de l’Association internationale du développement

Coût total du projet : 485 millions $US

Couverture : 35 districts pauvres; plus de 600 000 ménages

Taux de pauvreté : De 31,5 % en 1995 à 12,9 % en 2001

Scolarité primaire complétée : 46 % en 1995 à 78 % en 2001

Construction : 2 349 km de routes rurales et 1 398 km de lignes de transmission d’électricité dans les campagnes.

Eau potable : Sources propres pour 830 000 personnes

Soins de santé : 232 hôpitaux à l’échelon du bourg, et construction ou rénovation de 1 648 dispensaires de village.