FÉVRIER 2002

 

 

 

 

 


Le seul mensuel multilingue d'intérêt général en Chine, publié en français, anglais, espagnol, allemand, arabe et chinois.

 

 

L’autre Yunnan

LOUISE CADIEUX

 

L'auteur devant la "Grande Marmite" où l'eau atteint 96,36°C.

Dans le train qui nous amenait de Beijing à Kunming, capitale de la province du Yunnan, un cadre à la retraite du ministère du Chemin de fer, qui partageait notre compartiment et qui était originaire de cette province, nous a déclaré : « Il y a 40 ans, on mettait dix jours pour faire ce trajet qui, aujourd’hui, prend 40 heures.» Cette phrase allait me rester en mémoire et prendre tout son sens au fur et à mesure de ma découverte de la topographie particulièrement accidentée de cette province, si renommée au plan touristique.

Après un mois sur les routes du Yunnan, j’avais « vécu » les barrières montagneuses qui parcourent la province et qui jadis la retranchaient des autres régions; j’avais expérimenté des routes en lacet à flanc de montagnes et en bordure de torrents ou de ruisseaux calmes; j’avais écarquillé des yeux ébahis à la vue de précipices si profonds qu’ils semblaient sans fond; j’avais apprécié les prouesses d’ingénierie que représente la construction de certaines autoroutes; je m’étais parfois demandé si notre autobus allait réussir à frayer sa voie parmi les camions, les animaux, les piétons et les vélos qui semblaient tous vouloir passer en même temps sur des routes étroites et caillouteuses. Cependant, il faut dire que j’étais surtout fière d’avoir découvert, hors des grands sites touristiques de Kunming, Dali, Lijiang et de la région du Xishuangbanna, tous bien desservis et procurant des heures de visites agréables, de vrais joyaux qui ne demandent, eux aussi, qu’à être admirés… à condition d’aimer poser les pieds hors des sentiers battus.

L’arrière-pays de l’ouest de la province

Des villageoises de Jiucheng, prêtes à négocier leurs légumes.

La porte d’entrée ou de sortie de cette région, selon le sens dans lequel on fait la route, est la ville de Ruili, préfecture de Dehong. Connue dans bien des endroits du monde comme l’un des carrefours du Triangle d’Or, cette ville très animée semble vivre jour et nuit : le soir, les néons surgissent de partout, et le jour, de nombreux hommes d’affaires s’activent au commerce transfrontalier du jade et de divers produits électroniques. Cette animation est particulièrement évidente dans la zone économique frontalière Jiegao, construite en sol birman mais d’administration chinoise. Là, une foule de petits magasins et d’étals n’attendent que la visite d’acheteurs friands de marchandage et de bonnes aubaines. La présence de l’ethnie birmane se fait fortement sentir à Ruili : de nombreux restaurants offrent des spécialités du Myanmar et l’on peut voir très souvent déambuler de jolies Birmanes dont le visage est maquillé avec la « tanaka », une pâte beige fabriquée à partir d’un arbre et servant à embellir la peau.

En quittant Ruili pour remonter vers le nord, via Longchuan et Yingjiang, la forêt tropicale luxuriante reprend ses droits; puis, ça et là, dans les éclaircies moins boisées, on peut apercevoir des stupas et des villages habités surtout par des ethnies minoritaires (Dai, Jingpo et Birmans). Dans cette région, seules les périodes de récoltes du riz semblent vouloir imposer un rythme plus accéléré à la vie quotidienne.

Le village de Jiucheng, situé à quelque douze kilomètres de Yingjiang, en est un bon exemple. L’arrivée d’un minibus et de ses passagers constitue, à n’en pas douter, un moment d’animation particulier dans l’unique grande rue, bordée de maisons à l’architecture ancienne. Chargés de gros paniers, certains passagers vont directement au marché local pour y vendre ou y acheter des produits courants. Des femmes qui tricotent, assises sur le pas de leur porte, relèvent un instant la tête pour essayer de distinguer qui peut bien descendre du bus, mais elles se replongent, sitôt fait, dans leur interminable mouvement d’aiguilles. Circuler dans ce village, c’est comme prendre le pouls d’un cœur qui aurait toujours battu au même rythme et qui battra toujours de même. Sous un arbre, que l’on dit avoir 800 ans, une villageoise a installé sa cantine et sert, en saluant tous et chacun, ses bons bols de nouilles maison. Non loin, dans des petites ruelles, de vieilles femmes marchent lentement, en transportant, à la palanche, l’eau qu’elles viennent de puiser; d’autres ont étalé par terre les légumes qu’elles sont prêtes à négocier. À d’autres endroits, des villageois se sont regroupés pour bavarder. Comment ne pas ressentir le bonheur tranquille qui émane de ces villageois…

L’effet-surprise  Tengchong

Le parc volcanique de Tengchong.

J’ai été agréablement étonnée de découvrir à Tengchong, une ville dont on n’entend encore peu parler, une variété de sites fort bien aménagés. Située sur le versant ouest des hauts monts Gaoligong, cette ville ne connaît pas encore une affluence de touristes étrangers.

La ville proprement dite est fort coquette, et on peut y voir maints exemples d’architecture traditionnelle en bois que l’on retrouve de moins en moins en Chine, de sorte que se promener dans ses petites rues pour voir vivre la ville revêt un charme incontestable. On dit que la grande région de Tengchong serait sujette aux tremblements de terre. En effet, elle en a subi plus de 71 d’une intensité de plus de 5 sur l’échelle de Richter depuis l’an 1500, mais il y a de fortes chances que votre visite s’y déroule dans le plus grand calme, tout comme celle que j’y ai faite.

La région regroupe des volcans qui sont dormants depuis 380 ans et dont l’histoire et la formation sont magnifiquement expliqués au parc volcanique, d’échelon national, situé près du village de Mazhan, à quelque 25 km de Tengchong. Au musée très bien conçu de ce parc, on y apprend que, sur une superficie de plus de 220 km2, on retrouve 97 cônes volcaniques, de sorte que la région est l’une des quatre grandes régions volcaniques du pays. Vingt-trois de ces volcans sont situés dans la région immédiate de la ville de Tengchong. De nombreuses enseignes, fort explicatives et écrites en anglais et en chinois, renseignent le visiteur sur les différentes caractéristiques des formations rocheuses, de la lave, de certains arbres fossiles qu’on y trouve, etc. On y voit également des formations hexagonales en basalte que l’on dit très rares dans le monde. Elles semblent avoir été taillées des mains d’un artiste, mais elles sont le résultat des seules forces de la nature. Après avoir grimpé au sommet du volcan Dakong, on peut bien voir son cratère de 50 mètres de profondeur et de 200 mètres de diamètre, les deux autres volcans, Xiaokong et Heikong, sans compter le superbe panorama de la région. Tout en bas, au pied de ce « mont de feu », dans les rues du petit village, le maïs est étendu pour se faire tranquillement sécher au soleil…

À 12 km de Tengchong, se trouve la région que l’on appelle poétiquement Rehai « mer de chaleur » et qui est, sur 9km2,  un regroupement de geysers, de sources chaudes de ruisseaux et d’étangs dont les eaux sont réputées pour leurs effets curatifs. C’est la deuxième concentration de ressources géothermiques au pays, après la région de Yangbajain du Tibet. Un complexe hôtelier attend les visiteurs qui veulent y passer quelques jours de cure ou tout simplement la nuit, après avoir visité différents sites dont les noms évoquent, pour la plupart, cette « chaleur » intense qui émane de la zone. À un endroit, l’eau atteint même 96,36 °C!

Pour les amateurs de villages traditionnels typiques, la visite de Heshun, un village bâti à la fin des Qing (1644-1911), est un vrai régal pour les yeux. La publicité en parle comme d’un village écologique et culturel, et la réalité semble être à la hauteur de cette promesse. Les rues dallées, l’immense arbre plusieurs fois centenaire du village sous lequel se rassemblent les anciens, l’entrecroisement des toits aux bordures retroussées entre lesquels les rayons de soleil tentent un signe furtif, l’amabilité des villageois que l’on rencontre au détour du dédale des ruelles, tout concourt à former une image que le visiteur ne sera pas près d’oublier, avec ou sans appareil-photo. Particularité de ce village, on dit que la plupart des familles ont des parents outre-mer, soit dans plus de vingt pays. Mais c’est surtout du bâtiment de leur bibliothèque dont les habitants sont fiers. Ce bâtiment raffiné de 90 ans, où de jeunes lecteurs semblent éternellement rivés à leur livre malgré le va-et-vient des visiteurs, abrite la plus ancienne et la plus grande bibliothèque en milieu rural de Chine. Elle conserve plus de 100 000 exemplaires de livres précieux, anciens ou contemporains.

C’est donc en me promettant de revenir un jour ou l’autre dans la région de Tengchong que j’ai quitté cette belle ville, non sans avoir goûté à quelques-unes de ses spécialités culinaires et apprécié les visages souriants qu’on y trouve. Tengchong a beaucoup à proposer à ceux qui veulent s’y attarder. 

Xizhou, un village bai « au naturel »

Xizhou, un village dont l’architecture bai est particulièrement bien conservée.

Si, comme moi, vous n’aimez pas particulièrement faire partie d’une horde de touristes qui se pressent tous au même endroit, Xizhou ne vous décevra pas. On peut tout doucement y entrer en contact avec la vie d’un village des Bai, une des ethnies du Yunnan.  Là, tout est « au naturel ».  Point de reconstructions neuves tape-à-l’œil, de cafés terrasses à l’occidentale, de vendeurs de souvenirs insistants : rien que la vie quotidienne des habitants d’un village parsemé de maisons bai typiques. De Dali, un minibus permet de se rendre à la croisée d’une route qui, elle, se rend à Xizhou. Là, des « taxis » vous attendent, c’est-à-dire des voiturettes tirées par des chevaux, et ce transport d’antan vous emmènera finalement jusqu’au village. Presque chaque maison attire le regard par le détail de ses gravures bleutées. Alors que, curieux, nous déambulions tranquillement, une villageoise particulièrement fière de la beauté des lieux, nous a déclaré qu’il ne fallait pas manquer de visiter la mairie dont la décoration intérieure est remarquable. Ses conseils et ses démarches n’ont pas été vains, et notre visite nous a fait réaliser à quel point des trésors sont parfois très bien cachés.

Désormais, quand je pense au Yunnan, vanté avec raison par les brochures touristiques, je pense également  à L’autre Yunnan, celui dont les routes montagneuses m’ont amenée dans des endroits si typiques.