L’autre
Yunnan
LOUISE
CADIEUX
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L'auteur devant la "Grande
Marmite" où l'eau atteint 96,36°C. |
Dans
le train qui nous amenait de Beijing à Kunming, capitale de la
province du Yunnan, un cadre à la retraite du ministère du Chemin
de fer, qui partageait notre compartiment et qui était originaire
de cette province, nous a déclaré : « Il y a 40 ans, on mettait
dix jours pour faire ce trajet qui, aujourd’hui, prend 40 heures.»
Cette phrase allait me rester en mémoire et prendre tout son sens
au fur et à mesure de ma découverte de la topographie particulièrement
accidentée de cette province, si renommée au plan touristique.
Après
un mois sur les routes du Yunnan, j’avais « vécu » les barrières
montagneuses qui parcourent la province et qui jadis la retranchaient
des autres régions; j’avais expérimenté des routes en lacet à
flanc de montagnes et en bordure de torrents ou de ruisseaux calmes;
j’avais écarquillé des yeux ébahis à la vue de précipices si profonds
qu’ils semblaient sans fond; j’avais apprécié les prouesses d’ingénierie
que représente la construction de certaines autoroutes; je m’étais
parfois demandé si notre autobus allait réussir à frayer sa voie
parmi les camions, les animaux, les piétons et les vélos qui semblaient
tous vouloir passer en même temps sur des routes étroites et caillouteuses.
Cependant, il faut dire que j’étais surtout fière d’avoir découvert,
hors des grands sites touristiques de Kunming, Dali, Lijiang et
de la région du Xishuangbanna, tous bien desservis et procurant
des heures de visites agréables, de vrais joyaux qui ne demandent,
eux aussi, qu’à être admirés… à condition d’aimer poser les pieds
hors des sentiers battus.
L’arrière-pays
de l’ouest de la province
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Des
villageoises de Jiucheng, prêtes à négocier leurs légumes. |
La
porte d’entrée ou de sortie de cette région, selon le sens dans
lequel on fait la route, est la ville de Ruili, préfecture de
Dehong. Connue dans bien des endroits du monde comme l’un des
carrefours du Triangle d’Or, cette ville très animée semble vivre
jour et nuit : le soir, les néons surgissent de partout,
et le jour, de nombreux hommes d’affaires s’activent au commerce
transfrontalier du jade et de divers produits électroniques. Cette
animation est particulièrement évidente dans la zone économique
frontalière Jiegao, construite en sol birman mais d’administration
chinoise. Là, une foule de petits magasins et d’étals n’attendent
que la visite d’acheteurs friands de marchandage et de bonnes
aubaines. La présence de l’ethnie birmane se fait fortement sentir
à Ruili : de nombreux restaurants offrent des spécialités
du Myanmar et l’on peut voir très souvent déambuler de jolies
Birmanes dont le visage est maquillé avec la « tanaka »,
une pâte beige fabriquée à partir d’un arbre et servant à embellir
la peau.
En
quittant Ruili pour remonter vers le nord, via Longchuan et Yingjiang,
la forêt tropicale luxuriante reprend ses droits; puis, ça et
là, dans les éclaircies moins boisées, on peut apercevoir des
stupas et des villages habités surtout par des ethnies minoritaires
(Dai, Jingpo et Birmans). Dans cette région, seules les périodes
de récoltes du riz semblent vouloir imposer un rythme plus accéléré
à la vie quotidienne.
Le
village de Jiucheng, situé à quelque douze kilomètres de Yingjiang,
en est un bon exemple. L’arrivée d’un minibus et de ses passagers
constitue, à n’en pas douter, un moment d’animation particulier
dans l’unique grande rue, bordée de maisons à l’architecture ancienne.
Chargés de gros paniers, certains passagers vont directement au
marché local pour y vendre ou y acheter des produits courants.
Des femmes qui tricotent, assises sur le pas de leur porte, relèvent
un instant la tête pour essayer de distinguer qui peut bien descendre
du bus, mais elles se replongent, sitôt fait, dans leur interminable
mouvement d’aiguilles. Circuler dans ce village, c’est comme prendre
le pouls d’un cœur qui aurait toujours battu au même rythme et
qui battra toujours de même. Sous un arbre, que l’on dit avoir
800 ans, une villageoise a installé sa cantine et sert, en saluant
tous et chacun, ses bons bols de nouilles maison. Non loin, dans
des petites ruelles, de vieilles femmes marchent lentement, en
transportant, à la palanche, l’eau qu’elles viennent de puiser;
d’autres ont étalé par terre les légumes qu’elles sont prêtes
à négocier. À d’autres endroits, des villageois se sont regroupés
pour bavarder. Comment ne pas ressentir le bonheur tranquille
qui émane de ces villageois…
L’effet-surprise Tengchong
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Le
parc volcanique de Tengchong. |
J’ai
été agréablement étonnée de découvrir à Tengchong, une ville dont
on n’entend encore peu parler, une variété de sites fort bien
aménagés. Située sur le versant ouest des hauts monts Gaoligong,
cette ville ne connaît pas encore une affluence de touristes étrangers.
La
ville proprement dite est fort coquette, et on peut y voir maints
exemples d’architecture traditionnelle en bois que l’on retrouve
de moins en moins en Chine, de sorte que se promener dans ses
petites rues pour voir vivre la ville revêt un charme incontestable.
On dit que la grande région de Tengchong serait sujette aux tremblements
de terre. En effet, elle en a subi plus de 71 d’une intensité
de plus de 5 sur l’échelle de Richter depuis l’an 1500, mais il
y a de fortes chances que votre visite s’y déroule dans le plus
grand calme, tout comme celle que j’y ai faite.
La
région regroupe des volcans qui sont dormants depuis 380 ans et
dont l’histoire et la formation sont magnifiquement expliqués
au parc volcanique, d’échelon national, situé près du village
de Mazhan, à quelque 25 km de Tengchong. Au musée très bien conçu
de ce parc, on y apprend que, sur une superficie de plus de 220
km2, on retrouve 97 cônes volcaniques, de sorte que
la région est l’une des quatre grandes régions volcaniques du
pays. Vingt-trois de ces volcans sont situés dans la région immédiate
de la ville de Tengchong. De nombreuses enseignes, fort explicatives
et écrites en anglais et en chinois, renseignent le visiteur sur
les différentes caractéristiques des formations rocheuses, de
la lave, de certains arbres fossiles qu’on y trouve, etc. On y
voit également des formations hexagonales en basalte que l’on
dit très rares dans le monde. Elles semblent avoir été taillées
des mains d’un artiste, mais elles sont le résultat des seules
forces de la nature. Après avoir grimpé au sommet du volcan Dakong,
on peut bien voir son cratère de 50 mètres de profondeur et de
200 mètres de diamètre, les deux autres volcans, Xiaokong et Heikong,
sans compter le superbe panorama de la région. Tout en bas, au
pied de ce « mont de feu », dans les rues du petit village, le
maïs est étendu pour se faire tranquillement sécher au soleil…
À
12 km de Tengchong, se trouve la région que l’on appelle poétiquement
Rehai « mer de chaleur » et qui est, sur 9km2,
un regroupement de geysers, de sources chaudes de ruisseaux
et d’étangs dont les eaux sont réputées pour leurs effets curatifs.
C’est la deuxième concentration de ressources géothermiques au
pays, après la région de Yangbajain du Tibet. Un complexe hôtelier
attend les visiteurs qui veulent y passer quelques jours de cure
ou tout simplement la nuit, après avoir visité différents sites
dont les noms évoquent, pour la plupart, cette « chaleur » intense
qui émane de la zone. À un endroit, l’eau atteint même 96,36 °C!
Pour
les amateurs de villages traditionnels typiques, la visite de
Heshun, un village bâti à la fin des Qing (1644-1911), est un
vrai régal pour les yeux. La publicité en parle comme d’un village
écologique et culturel, et la réalité semble être à la hauteur
de cette promesse. Les rues dallées, l’immense arbre plusieurs
fois centenaire du village sous lequel se rassemblent les anciens,
l’entrecroisement des toits aux bordures retroussées entre lesquels
les rayons de soleil tentent un signe furtif, l’amabilité des
villageois que l’on rencontre au détour du dédale des ruelles,
tout concourt à former une image que le visiteur ne sera pas près
d’oublier, avec ou sans appareil-photo. Particularité de ce village,
on dit que la plupart des familles ont des parents outre-mer,
soit dans plus de vingt pays. Mais c’est surtout du bâtiment de
leur bibliothèque dont les habitants sont fiers. Ce bâtiment raffiné
de 90 ans, où de jeunes lecteurs semblent éternellement rivés
à leur livre malgré le va-et-vient des visiteurs, abrite la plus
ancienne et la plus grande bibliothèque en milieu rural de Chine.
Elle conserve plus de 100 000 exemplaires de livres précieux,
anciens ou contemporains.
C’est
donc en me promettant de revenir un jour ou l’autre dans la région
de Tengchong que j’ai quitté cette belle ville, non sans avoir
goûté à quelques-unes de ses spécialités culinaires et apprécié
les visages souriants qu’on y trouve. Tengchong a beaucoup à proposer
à ceux qui veulent s’y attarder.
Xizhou,
un village bai « au naturel »
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Xizhou,
un village dont l’architecture bai est particulièrement bien
conservée. |
Si,
comme moi, vous n’aimez pas particulièrement faire partie d’une
horde de touristes qui se pressent tous au même endroit, Xizhou
ne vous décevra pas. On peut tout doucement y entrer en contact
avec la vie d’un village des Bai, une des ethnies du Yunnan.
Là, tout est « au naturel ».
Point de reconstructions neuves tape-à-l’œil, de cafés
terrasses à l’occidentale, de vendeurs de souvenirs insistants :
rien que la vie quotidienne des habitants d’un village parsemé
de maisons bai typiques. De Dali, un minibus permet de se rendre
à la croisée d’une route qui, elle, se rend à Xizhou. Là, des
« taxis » vous attendent, c’est-à-dire des voiturettes tirées
par des chevaux, et ce transport d’antan vous emmènera finalement
jusqu’au village. Presque chaque maison attire le regard par le
détail de ses gravures bleutées. Alors que, curieux, nous déambulions
tranquillement, une villageoise particulièrement fière de la beauté
des lieux, nous a déclaré qu’il ne fallait pas manquer de visiter
la mairie dont la décoration intérieure est remarquable. Ses conseils
et ses démarches n’ont pas été vains, et notre visite nous a fait
réaliser à quel point des trésors sont parfois très bien cachés.
Désormais,
quand je pense au Yunnan, vanté avec raison par les brochures
touristiques, je pense également
à L’autre Yunnan, celui dont les routes montagneuses
m’ont amenée dans des endroits si typiques.