L'agriculture
mondiale et chinoise à un tournant sans précédent
JEAN-YVES
GODBOUT
 |
M. Xu Guanhua,
président du comité organisateur de la conférence et ministre
chinois de Science et Technologie. |
La Chine a 1 300 millions
d'humains à nourrir et à vêtir! Le plus grand nombre de tous les
États de cette Planète!
Ce pays est donc
mieux placé que quiconque pour tenter de trouver de meilleures
solutions aux éléments les moins soutenables du fonctionnement
actuel du système agroalimentaire mondial. Ces éléments contribuent
à deux graves réalités : plus de 800 millions d'humains qui n'ont
pas, de façon adéquate, à manger et à se vêtir; et l'accélération
de la dégradation de l'environnement dans le monde, dont celle
des ressources (sol, eau, etc.) et de la biodiversité.
Une
conférence sur le savoir et la technologie agricoles vraiment
impressionnante
C'est dans
cet esprit et devant la continuelle croissance de la population
mondiale que le gouvernement chinois a organisé, en novembre dernier,
l'imposante Conférence internationale sur la science et la technologie
agricoles 2001. La Chine considère que l'agriculture mondiale
à un urgent besoin d'être transformée et que le développement
d'une technologie et d’un savoir novateurs est essentiel.
La situation mondiale
actuelle commande l'adoption de perspectives larges. Le thème
de la conférence était : « Promouvoir une innovation d'ensemble
du savoir et de la technologie agricoles [et même 'Une nouvelle
révolution ...' tel qu'inscrit sur une banderole] et le développement
durable de l'agriculture ».
Cette conférence
se voulait « une réunion internationale sans précédent »
et « une occasion unique de faire se concentrer l'attention
mondiale [ ... ] et de réclamer des solutions et des actions. »
L'on voulait récapituler les réalisations et leçons apprises au
XXe siècle, échanger les politiques et l'expérience
professionnelle dans le développement du savoir et de la technologie
agricoles dans différents pays, prévoir les tendances futures
et imaginer une vision commune pour ce développement au nouveau
siècle, par l'innovation et la coopération mondiales.
Dans ses remarques
de bienvenue, M. Xu Guanhua, ministre chinois de Science et Technologie
et président du comité organisateur, a interpellé les participants
à « prendre cette conférence comme un point de départ pour
la coopération en science et technologie agricoles mondiales. »
Il a ajouté « Donnons-nous la main pour apporter une nouvelle
et plus grande contribution au développement du savoir et de la
technologie agricoles mondiales, et au développement durable de
l'agriculture mondiale et de l'économie rurale. Apportons plus
de soutien et d'aide aux 800 millions de gens qui n'ont pas assez
d'aliments et de vêtements et déployons plus d'efforts pour la
civilisation et le progrès des Humains, la paix et le développement
dans le monde. »
Cette conférence
de trois jours avait été parrainée par différents ministères chinois
et administrations d'État et co-parrainée par quatre institutions
internationales, soit le PNUD, la Banque mondiale, la FAO et l'UNESCO.
Il a été estimé que quelque 1 000 scientifiques, entrepreneurs
et officiels gouvernementaux de près de soixante pays y ont participé.
Les participants
avaient à choisir parmi cinq ateliers et trois forums. Ces derniers
étaient constitués l'un d'officiels de gouvernements nationaux,
l'un de présidents d'universités et l'autre de dirigeants d'entreprises.
À eux seuls, les
cinq ateliers totalisaient près de 200 exposés dont les présentateurs
étaient des Chinois, pour une forte proportion, surtout vivant
en Chine mais aussi beaucoup de l'étranger. Plusieurs présentateurs
provenaient des États-Unis.
Les exposés des
ateliers couvraient des disciplines et des sujets très variés.
Le concept d'agriculture durable y a été très présent. Parmi les
exposés, l'un qui a attiré particulièrement mon attention concerne
beaucoup, d'après moi, l'économie agroalimentaire globale
Une
vision pour le développement durable de l'agriculture
 |
La culture
du riz sera peut-être celle qui profitera le plus de marchés
mondiaux moins perturbés. |
Le titre de cet
exposé était : « L'agriculture du Royaume-Uni au XXIe
siècle. »Dans celui-ci, selon l'un des buts de la Conférence,
soit celui de récapituler les leçons apprises au XXe
siècle et d’imaginer une vision commune pour le développement
au nouveau siècle, Peter F. Bloxham nous a fait part de la métamorphose
récente de la structure gouvernementale -et de son mandat- responsable
de l'agriculture et de l'alimentation au Royaume-Uni.
« On n'a jamais
vu auparavant au Royaume-Uni un débat plus énergique sur l'avenir
de l'agriculture et de la campagne. [ ... ] Les effets désastreux
des maladies du bétail [ ... ] ont ébranlé la confiance du public
dans l'agriculture et ce que subit l'industrie comme pression
pour le changement est sans précédent. » Le gouvernement
aurait-il désormais un support populaire suffisant pour remettre
cette industrie sur la voie ?
« À l'été 2001,
le gouvernement a mis au rancart son ministère de l'Agriculture,
Pêcheries et Alimentation (MAFF), plus que cinquantenaire, et
il a créé le nouveau ministère de l'Environnement, Alimentation
et Affaires rurales (DEFRA) avec mandat de promouvoir le développement
durable, le renouveau rural et des chaînes alimentaires durables
et compétitives, tant au Royaume-Uni
qu'internationalement. [...] L'agri-culture n'était désormais
plus un ministère du gouvernement ! » Le nouveau DEFRA veut
ainsi se donner une perspective mondiale de poursuite du développement
durable, à l'exemple des graves problèmes environne-mentaux globaux.
Le texte de M. Bloxham
rapporte que, en octobre 2001, la Secrétaire d'État du nouveau
DEFRA aurait déclaré que l'agriculture doit changer ou mourir
parce que le contribuable européen se fatigue de subventionner
l'industrie telle qu'elle est maintenant. Elle aurait alors dit
aux fermiers qu'ils devaient être « axés sur le marché et
concentrés sur les consommateurs » s'ils sont pour survivre.
M. Bloxham inclut pour sa part dans sa conclusion que les entreprises
agricoles voulant demeurer dans cette industrie doivent « accepter
les principes de l'économie basée sur le marché ».
Il m'apparaît très
heureux que cette conférence à dénomination « science et
technologie » ait inclus à part entière de tels sujets à
caractère d'économie agroalimentaire. Ce serait donc sur l'ensemble
du savoir et de la techno-logie agricoles que l'on appele à une
urgente innovation et à une nouvelle révolution.
La recherche et
la technologie de pointe agricoles sont sûrement précieuses pour
le mieux-être des Humains et le développement durable, et le Royaume-Uni
ne l'ignore pas. Toutefois, à travers cette démarche de révision
du type d' « intervention » à avoir, les autorités
gouvernementales de ce pays mettent aussi un accent très fort,
voire même prioritaire, ailleurs que sur une « science et
technologie » prise au sens plus restreint.
Ne peut-on pas penser,
en effet, que les retours sur investissements en recherche agricole
et en application de technologie de pointe en agriculture
seront bien supérieurs, que l'utilisation des ressources de tout
type sera beaucoup plus efficiente et que les développements nationaux
et mondial de l'agriculture et de l'économie rurale seront beaucoup
plus durables, quand les bases du fonctionnement de cette industrie
seront plus rationnelles, donc moins faussées, économiquement
parlant, et cela, pas seulement à l'étape de la ferme ? Ne serait-ce
pas cela la compétitivité authentique ?
À titre de pays
en développement, la Chine est sûrement bien consciente de ces
réalités sur lesquelles, dès 1987, le rapport final de la Commission
mondiale de l’ONU sur l'environnement et le développement -de
laquelle origine le concept
de développement durable- dressait les recomman-dations très directes
suivantes :
« La charge
économique et financière que représentent les subventions doit
être allégée et le tort que les régimes incitatoires causent à
l'agri-culture des pays en développement en perturbant les marchés
mondiaux doit être éliminé. »
Lancé lors d'une
conférence d'une telle envergure et qualité, le vibrant appel
à la coopération du gouvernement de l'État le plus peuplé est
très encourageant. Dans le présent « ordre » mondial,
le succès de l’appel de la Chine sera-t-il à la mesure des défis
à relever?
Ces idées n’engagent que l’auteur.