FÉVRIER 2002

 

 

 

 

 


Le seul mensuel multilingue d'intérêt général en Chine, publié en français, anglais, espagnol, allemand, arabe et chinois.

 

 

L'agriculture mondiale et chinoise à un tournant sans précédent

 

JEAN-YVES GODBOUT

M. Xu Guanhua, président du comité organisateur de la conférence et ministre chinois de Science et Technologie.

La Chine a 1 300 millions d'humains à nourrir et à vêtir! Le plus grand nombre de tous les États de cette Planète!

Ce pays est donc mieux placé que quiconque pour tenter de trouver de meilleures solutions aux éléments les moins soutenables du fonctionnement actuel du système agroalimentaire mondial. Ces éléments contribuent à deux graves réalités : plus de 800 millions d'humains qui n'ont pas, de façon adéquate, à manger et à se vêtir; et l'accélération de la dégradation de l'environnement dans le monde, dont celle des ressources (sol, eau, etc.) et de la biodiversité.

Une conférence sur le savoir et la technologie agricoles vraiment impressionnante

C'est dans cet esprit et devant la continuelle croissance de la population mondiale que le gouvernement chinois a organisé, en novembre dernier, l'imposante Conférence internationale sur la science et la technologie agricoles 2001. La Chine considère que l'agriculture mondiale à un urgent besoin d'être transformée et que le développement d'une technologie et d’un savoir novateurs est essentiel.

La situation mondiale actuelle commande l'adoption de perspectives larges. Le thème de la conférence était : « Promouvoir une innovation d'ensemble du savoir et de la technologie agricoles [et même 'Une nouvelle révolution ...' tel qu'inscrit sur une banderole] et le développement durable de l'agriculture ».

Cette conférence se voulait «  une réunion internationale sans précédent » et « une occasion unique de faire se concentrer l'attention mondiale [ ... ] et de réclamer des solutions et des actions. » L'on voulait récapituler les réalisations et leçons apprises au XXe siècle, échanger les politiques et l'expérience professionnelle dans le développement du savoir et de la technologie agricoles dans différents pays, prévoir les tendances futures et imaginer une vision commune pour ce développement au nouveau siècle, par l'innovation et la coopération mondiales.

Dans ses remarques de bienvenue, M. Xu Guanhua, ministre chinois de Science et Technologie et président du comité organisateur, a interpellé les participants à «  prendre cette conférence comme un point de départ pour la coopération en science et technologie agricoles mondiales. » Il a ajouté «  Donnons-nous la main pour apporter une nouvelle et plus grande contribution au développement du savoir et de la technologie agricoles mondiales, et au développement durable de l'agriculture mondiale et de l'économie rurale. Apportons plus de soutien et d'aide aux 800 millions de gens qui n'ont pas assez d'aliments et de vêtements et déployons plus d'efforts pour la civilisation et le progrès des Humains, la paix et le développement dans le monde. »

Cette conférence de trois jours avait été parrainée par différents ministères chinois et administrations d'État et co-parrainée par quatre institutions internationales, soit le PNUD, la Banque mondiale, la FAO et l'UNESCO. Il a été estimé que quelque 1 000 scientifiques, entrepreneurs et officiels gouvernementaux de près de soixante pays y ont participé.

Les participants avaient à choisir parmi cinq ateliers et trois forums. Ces derniers étaient constitués l'un d'officiels de gouvernements nationaux, l'un de présidents d'universités et l'autre de dirigeants d'entreprises.

À eux seuls, les cinq ateliers totalisaient près de 200 exposés dont les présentateurs étaient des Chinois, pour une forte proportion, surtout vivant en Chine mais aussi beaucoup de l'étranger. Plusieurs présentateurs provenaient des États-Unis.

Les exposés des ateliers couvraient des disciplines et des sujets très variés. Le concept d'agriculture durable y a été très présent. Parmi les exposés, l'un qui a attiré particulièrement mon attention concerne beaucoup, d'après moi, l'économie agroalimentaire globale

Une vision pour le développement durable de l'agriculture

La culture du riz sera peut-être celle qui profitera le plus de marchés mondiaux moins perturbés.

Le titre de cet exposé était : «  L'agriculture du Royaume-Uni au XXIe siècle. »Dans celui-ci, selon l'un des buts de la Conférence, soit celui de récapituler les leçons apprises au XXe siècle et d’imaginer une vision commune pour le développement au nouveau siècle, Peter F. Bloxham nous a fait part de la métamorphose récente de la structure gouvernementale -et de son mandat- responsable de l'agriculture et de l'alimentation au Royaume-Uni.

« On n'a jamais vu auparavant au Royaume-Uni un débat plus énergique sur l'avenir de l'agriculture et de la campagne. [ ... ] Les effets désastreux des maladies du bétail [ ... ] ont ébranlé la confiance du public dans l'agriculture et ce que subit l'industrie comme pression pour le changement est sans précédent. » Le gouvernement aurait-il désormais un support populaire suffisant pour remettre cette industrie sur la voie ?

« À l'été 2001, le gouvernement a mis au rancart son ministère de l'Agriculture, Pêcheries et Alimentation (MAFF), plus que cinquantenaire, et il a créé le nouveau ministère de l'Environnement, Alimentation et Affaires rurales (DEFRA) avec mandat de promouvoir le développement durable, le renouveau rural et des chaînes alimentaires durables et compétitives, tant au  Royaume-Uni qu'internationalement. [...] L'agri-culture n'était désormais plus un ministère du gouvernement ! » Le nouveau DEFRA veut ainsi se donner une perspective mondiale de poursuite du développement durable, à l'exemple des graves problèmes environne-mentaux globaux.

Le texte de M. Bloxham rapporte que, en octobre 2001, la Secrétaire d'État du nouveau DEFRA aurait déclaré que l'agriculture doit changer ou mourir parce que le contribuable européen se fatigue de subventionner l'industrie telle qu'elle est maintenant. Elle aurait alors dit aux fermiers qu'ils devaient être «  axés sur le marché et concentrés sur les consommateurs » s'ils sont pour survivre. M. Bloxham inclut pour sa part dans sa conclusion que les entreprises agricoles voulant demeurer dans cette industrie doivent « accepter les principes de l'économie basée sur le marché ».

Il m'apparaît très heureux que cette conférence à dénomination « science et technologie » ait inclus à part entière de tels sujets à caractère d'économie agroalimentaire. Ce serait donc sur l'ensemble du savoir et de la techno-logie agricoles que l'on appele à une urgente innovation et à une nouvelle révolution.

La recherche et la technologie de pointe agricoles sont sûrement précieuses pour le mieux-être des Humains et le développement durable, et le Royaume-Uni ne l'ignore pas. Toutefois, à travers cette démarche de révision du type d' « intervention » à avoir, les autorités gouvernementales de ce pays mettent aussi un accent très fort, voire même prioritaire, ailleurs que sur une « science et technologie » prise au sens plus restreint. 

Ne peut-on pas penser, en effet, que les retours sur investissements en recherche agricole et en  application de technologie de pointe en agriculture seront bien supérieurs, que l'utilisation des ressources de tout type sera beaucoup plus efficiente et que les développements nationaux et mondial de l'agriculture et de l'économie rurale seront beaucoup plus durables, quand les bases du fonctionnement de cette industrie seront plus rationnelles, donc moins faussées, économiquement parlant, et cela, pas seulement à l'étape de la ferme ? Ne serait-ce pas cela la compétitivité authentique ?

À titre de pays en développement, la Chine est sûrement bien consciente de ces réalités sur lesquelles, dès 1987, le rapport final de la Commission mondiale de l’ONU sur l'environnement et le développement -de laquelle origine  le concept de développement durable- dressait les recomman-dations très directes suivantes :

«  La charge économique et financière que représentent les subventions doit être allégée et le tort que les régimes incitatoires causent à l'agri-culture des pays en développement en perturbant les marchés mondiaux doit être éliminé. »

Lancé lors d'une conférence d'une telle envergure et qualité, le vibrant appel à la coopération du gouvernement de l'État le plus peuplé est très encourageant. Dans le présent « ordre » mondial, le succès de l’appel de la Chine sera-t-il à la mesure des défis à relever?

Ces idées n’engagent que l’auteur.