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« Apprendre la langue, vivre la culture » — Interview du délégué général de l’Alliance française Chine-Mongolie

2019-03-06 12:40:00 Source:La Chine au présent Auteur:JULIEN BUFFET
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法语词典
Une jeune chinoise apprend le français à l’Alliance française de Beijing.
 
JULIEN BUFFET, membre de la rédaction 
 
La Chine et la France ont une passion commune pour la culture qu’elles partagent toutes deux dans un art subtil de la conversation et de l’écriture où transparaissent des rationalités, des émotions et des sensibilités au monde. Elles se croisent et dialoguent depuis le début du XXe siècle sous la forme actuelle de l’Alliance française (AF), vaste réseau de 17 alliances dans toute la Chine, selon un modèle de coopération établi en 1883. Il a posé les principes de la diplomatie culturelle dans le monde. Cette tradition d’échanges aussi ancienne que prestigieuse est aujourd’hui perpétuée par le délégué général de l’AF Chine-Mongolie et co-directeur général de l’AF Beijing, Thierry Lasserre.

 

Utiliser les clichés et atteindre la réalité
 
Décoré par l’Organisation internationale de la francophonie Chevalier de l’ordre de la Pléiade pour sa contribution exceptionnelle à la francophonie et au dialogue des cultures, et Chevalier de l’ordre national du mérite, Thierry Lasserre incarne et diffuse à merveille l’esprit de bienveillance qui a fondé dès l’origine les relations entre la France et la Chine. Le français est une langue de cœur pour les Chinois qui sont aujourd’hui 130 000 à l’apprendre, dont près d’un tiers uniquement dans les AF. Il est aujourd’hui la troisième langue apprise en Chine, ce qui prouve bien l’intérêt des Chinois, dans le cadre de l’ouverture de la Chine sur le monde, non pas seulement pour la France mais aussi pour l’ensemble de la francophonie et on pense en particulier aux pays européens mais aussi aux pays africains. Bien sûr, à l’échelle de la Chine, le nombre d’apprenants peut encore largement progresser, ce dont témoigne le taux d’obtention du diplôme d’études en français qui augmente de 50 % chaque année, un record inégalé dans le monde.

 

Pourquoi un tel succès ? La raison en incombe, en partie, à l’ADN de l’AF comme l’explique son délégué général : « Le statut des AF est particulier en Chine. Là où elles sont des associations dans le monde entier, ici nous sommes des écoles de coopération sino-étrangère. Chaque AF est partenaire avec une université pour créer ce programme de grande qualité. Ceci est une chance, car nous sommes reconnus comme une institution d’enseignement chinoise et internationale, ce qui est très important en Chine. » L’AF est donc à la fois une institution de droit local au service du peuple chinois et un véritable passeport pour la mobilité internationale dans tous les pays francophones sur les continents européens, américains et africains.

 

De fait, avec la co-directrice chinoise Bao Yuehong, le système de diffusion de la francophonie en Chine s’adapte parfaitement aux attentes du pays. Ainsi, Thierry Lasserre rappelle que l’apprentissage du français ciblé sur le jeune public scolaire est un objectif souhaité tant par la France que par la Chine. Grâce à cette synergie, l’enseignement du français bénéficie d’une véritable bienveillance des autorités chinoises au point de devenir une option à l’examen d’entrée aux universités à l’été 2018. « C’est une grande avancée, car elle permet la multiplication du nombre de classes dans les écoles publiques et privées en Chine. D’ailleurs à Beijing, l’AF est en partenariat avec sept écoles publiques où nous délivrons des cours de français. » Cela ne signifie pas pour autant que tous les Chinois ressentent le même intérêt pour l’apprentissage du français. Thierry Lasserre note qu’à Hong Kong, la tendance est au « français loisir », à Shanghai ce sont les enfants les plus intéressés, tandis qu’à Beijing, on voit beaucoup plus d’adultes et d’étudiants en mobilité internationale. De même, la séduction exercée par le français varie suivant les générations. Les plus anciens se souviennent de la reconnaissance par De Gaulle de la République populaire de Chine en 1964, les plus jeunes parleront plus volontiers des films Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain de Jean-Pierre Jeunet et de Valérian et la Cité des mille planètes de Luc Besson.

 

Au-delà de ces différences, tous vous parleront le plus sincèrement du monde de la belle sonorité du français et du romantisme qu’il véhicule, vague réminiscence de Julien Sorel de Stendhal que les Français, une fois en Chine, réintègrent dans leurs manières grâce à ces clichés ! Car oui, les clichés sont indispensables selon Thierry Lasserre. « Chaque pays vit de ses clichés. En ce qui concerne l’amitié sino-française, ce qui est intéressant c’est de jouer des clichés pour pouvoir ensuite s’accrocher à la réalité. Alors, oui, parlons du romantisme français, parlons de la Nouvelle Vague du cinéma français et pour ensuite entrer dans la réalité contemporaine. » Cette réalité chinoise et française s’exprime autant dans la diplomatie et le sport avec les Jeux olympiques d’hiver de Beijing 2022 et ceux d’été de Paris 2024 que dans les nouvelles technologies, l’innovation, la recherche fondamentale ou l’énergie nucléaire et l’économie numérique (pour laquelle la Chine a pris une avance considérable avec le porte-monnaie numérique et les nombreuses applications du « couteau suisse » WeChat).
 
 
Thierry Lasserre

 

Multiculturalisme et multilatéralisme
 
Aujourd’hui, tous les pays ont développé une diplomatie culturelle plus ou moins active via des centres, des instituts ou des maisons de la culture. Conséquence directe, une fois plongés dans la culture plurimillénaire de la Chine, tous les pays du monde vantent leurs héritages culturels prestigieux : Goethe, Cervantes, etc. Mais à y regarder de plus près, la France est sans doute le seul pays à bénéficier d’une vraie adhésion des Chinois, qui ne se limite pas seulement aux grands noms de la littérature et de la pensée mais s’étend à un art de vivre qui est l’essence d’une culture vivante. Au cours de l’entretien, vif et alerte, Thierry Lasserre ne manque pas de souligner les grands points communs qui rassemblent les Français et les Chinois autour de la table et de l’humour. Mais celui qui nous réunit plus encore est la culture vécue à travers la langue, qui marque de son empreinte les gestes de notre quotidien et construit l’intelligibilité sensible du monde qui nous entoure. Sans être identiques, la proximité de ces sensibilités a convaincu Thierry Lasserre que « les Chinois et les Français sont beaucoup plus proches que ce qu’on veut bien nous faire croire ».

 

À l’heure où la diversité culturelle est de plus en plus plébiscitée sous diverses formes et pratiques, l’apprentissage du français et du chinois émerge comme une tendance qui va s’amplifier à long terme. Avec le changement des équilibres mondiaux, certains chiffres annoncent qu’en 2050 le français sera la deuxième langue la plus parlée au monde derrière le mandarin. Ici, la valorisation des cultures et des langues crée une passerelle inattendue entre le multiculturalisme et le multilatéralisme. Deux idées que la Chine et la France défendront à l’avenir ensemble contre une certaine incarnation du « monoculturalisme pluriel », pour reprendre l’expression d’Amartya Sen, et de l’unilatéralisme. Ainsi la France, un État devenu polyethnique ou la diversité culturelle provient de l’immigration individuelle et familiale, et la Chine, un État multiethnique fondé sur des groupes culturels autonomes et territorialement concentrés, prônent-t-elles une certaine idée du respect des libertés et des droits fondamentaux des cultures et des langues qui alimentent le rapprochement de leurs diplomaties culturelles et éducatives respectives. « Je crois que la Chine et la France partagent une même vision, à savoir que ces deux pays sont contre l’hégémonie mondiale d’une langue ou d’une culture. Et de fait, l’apprentissage d’une nouvelle langue est la première étape de cette lutte contre l’unicité et toutes les formes de prosélytismes.»

 

« La culture est une arme d’éducation massive »

 

Depuis son expérience au Canada dans l’Ontario, où les tensions entre francophones et anglophones restent présentes malgré la reconnaissance du bilinguisme, l’actuel délégué général de l’AF Chine-Mongolie a renforcé ses convictions sur la richesse plurielle des cultures francophones et sur l’urgence du dialogue interculturel entre les civilisations.

 

Il était donc naturel que l’AF de Beijing ouvre depuis quelques mois une classe de chinois pour les francophones suivant ce constat : de nombreux professionnels, et leurs familles, arrivent en Chine sans même maîtriser les rudiments de la langue du pays qui les accueille et il est bien plus facile d’apprendre le mandarin à partir de sa langue natale qu’à partir de l’anglais. « Nous ne sommes pas dans la seule promotion de la France en tant que telle mais, et c’est le plus important pour nous, du pont qui peut être fait entre nos deux cultures. La culture est une arme d’éducation massive. Si on connaît l’Autre, on n’en a pas peur ; et la porte d’entrée sur une culture c’est évidemment la langue. Nous promouvons donc l’apprentissage du français et du chinois. » Cet échange est permanent. À l’occasion du 20e anniversaire de l’AF de Beijing en 2018, réunissant l’ambassadeur de France et d’autres pays francophones comme la Belgique, l’Algérie…, Thierry Lasserre a remis les premières bourses de talent du français dont le but est de soutenir financièrement les enfants chinois issus de familles modestes et particulièrement méritants dans leur apprentissage du français. Il lance d’ailleurs un appel aux investisseurs publics et privés afin de donner cette chance à plus de Chinois, expliquant : « Notre particularité est que pour chaque yuan versé par une institution publique ou une personne privée, l’AF versera l’équivalent, avec le soutien supplémentaire de l’Université des langues et cultures de Beijing et du Bureau de l’éducation de Beijing. »

 

Pour Thierry Lasserre, tout l’équilibre des bonnes relations entre la Chine et la France est contenu dans le maître-mot de réciprocité qui doit favoriser une logique de porte ouverte et d’écoute mutuelle afin que nos gouvernements puissent aller de l’avant. Cette réciprocité est évidente à travers la collaboration entre les AF et les instituts Confucius qui s’échangent leurs conférenciers, intellectuels et artistes respectifs. Du point de vue de Thierry Lasserre, le soft power qui émane de cette collaboration fonctionne à la manière d’un dialogue interculturel dont l’initiative « la Ceinture et la Route » est la parfaite illustration : « Je dis souvent à mes interlocuteurs que dans chaque ville traversée par “la Ceinture et la Route”, vous trouverez une AF. Nous avons le pouvoir de vraiment changer les choses au travers du soft power. » La qualité des relations sino-françaises dépend en effet de cet échange permanent où les Chinois sont formés à comprendre la francophonie grâce, entre autres, aux AF et à l’Institut français, et où les Français peuvent via les instituts Confucius appréhender la sinophilie de l’intérieur et de manière plus profonde. La recette fonctionne parfaitement, car les AF font du français à la sauce chinoise et les instituts Confucius font du chinois à la sauce française. Nul besoin de dogmatisme dans les arts et les lettres selon le délégué général de l’AF Chine-Mongolie. Ce constat, le célèbre écrivain Italo Calvino en donnait déjà la raison dans la Machine littérature : « La littérature est comme une oreille qui peut entendre plus de choses que la politique ; elle est comme un œil qui peut percevoir au-delà de l’échelle chromatique à laquelle est sensible la politique. » Tant que la francophonie et la sinophilie échangeront dans un cadre inclusif, les relations sino-françaises atteindront des sommets toujours plus hauts.

 

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