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Rester fidèle à l’engagement initial — Centenaire du mouvement Travail-Études en France

2019-03-05 10:55:00 Source:La Chine au présent Auteur:DUANMU MEI
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Mars 1919, réunion organisée par la Fédération mondiale des étudiants chinois pour

saluer le départ d’étudiants pour la France dans le cadre du mouvement Travail-Études

 

 

DUANMU MEI*

 

Entre 1919 et 1920, plus de 1 700 jeunes chinois sont partis pour la France dans le cadre du mouvement Travail-Études. Cette initiative majeure, qui consistait à envoyer en masse des étudiants-travailleurs vers la France, a profondément influencé l’histoire de la Chine et joué un rôle phare dans sa modernisation. Un siècle s’est écoulé depuis. À l’occasion du centenaire de ce mouvement, l’heure est venue de revenir sur ce pan de l’histoire, pour que perdure l’amitié sino-française qui s’est nouée à cette époque.

 

Lancement

 

Dans la matinée du 17 mars 1919, un paquebot sous pavillon japonais quitta le port de Yangshupu à Shanghai à destination de la France. À bord de ce bateau se trouvaient 89 passagers, qui avaient embarqué en leur qualité d’étudiants-travailleurs. Ainsi, ces derniers s’apprêtaient à découvrir l’Hexagone, ce pays qui leur était inconnu et auquel ils aspiraient. De nos jours, ils sont considérés comme les premiers étudiants chinois à avoir eu l’opportunité de parfaire leurs connaissances en France, dans le cadre du mouvement Travail-Études.

 

De cette date à la fin de décembre 1920, plus de 1 700 étudiants venus de tout le pays, répartis sur 20 vagues successives, naviguèrent à travers les océans pour se rendre en France. Cette initiative menée à grande échelle, surnommée le « mouvement Travail-Études en France », a marqué en Chine le début des possibilités d’études en France dans les temps modernes. Cai Yuanpei (1868-1940), ancien président de l’université de Beijing, et Li Shizeng (1881-1973), un des pionniers qui avait effectué un séjour d’études en France à la fin de la dynastie des Qing (1644-1911), figuraient parmi les organisateurs et promoteurs de ce mouvement.

 

En tant que promoteurs, leur objectif premier consistait à inciter davantage d’élèves et de jeunes à partir étudier en France à moindre coût et à les orienter dans leur parcours, en vue de former des talents d’un nouveau genre qui, après leur retour en Chine, garantiraient le « salut de la patrie par l’industrie, l’éducation et la science ». Leur finalité se résumait à généraliser l’éducation, faire avancer la société et revitaliser l’industrie.

 

Certains de ces jeunes, en plus de leurs études, devaient travailler. En se confrontant ainsi à la réalité du monde professionnel, ils ont pu réfléchir à des idées pour relever leur propre nation et peuple. D’ailleurs, à leur retour au pays, ils sont devenus pour la plupart des fondateurs et bâtisseurs de la Chine nouvelle, de même que des porte-drapeaux du renouveau de la nation chinoise.

 

Origine

 

Tout commença dans la seconde moitié du XIXe siècle, avec les premiers élèves chinois s’en allant pour la France. Le Mouvement d’occidentalisation, déclenché à la fin de la dynastie des Qing, favorisa en effet l’envoi d’élèves à l’étranger, mais les heureux élus au départ pour la France étaient peu nombreux. À partir de 1904, le gouvernement des Qing envoya chaque année quelques rares boursiers en France, lesquels étudiaient dans la plupart des cas les affaires militaires et l’ingénierie. Après leur retour en Chine, nombre d’entre eux devinrent des pionniers de la lutte contre le féodalisme ; d’autres introduisirent dans le pays un certain nombre de sciences et technologies avancées venues des pays occidentaux, ainsi que des concepts pédagogiques, dans l’intention d’encourager la modernisation de la société chinoise ; d’autres encore devinrent les auteurs de disciplines nouvelles. Néanmoins, c’est Li Shizeng, qui lança et organisa par la suite le mouvement Travail-Études en France, qui s’est démarqué en jouant un rôle prépondérant dans l’histoire des séjours d’études en France à la fin de la dynastie des Qing. En 1902, il s’y rendit pour apprendre l’agriculture. S’intéressant particulièrement au soja, il ouvrit une usine de tofu à Paris et recruta son personnel parmi des travailleurs de son district natal de Gaoyang (province du Hebei). L’idée lui vint alors de former des talents en France par le biais d’un système mêlant travail et études.

 

À vrai dire, Li Shizeng et Cai Yuanpei s’étaient préparés bien avant 1919 à encourager les jeunes chinois à partir étudier en France. Dès 1912, ils fondèrent à Beijing l’Association pour les études dans la frugalité en France, par le biais de laquelle ils envoyèrent dans l’Hexagone, entre 1912 et 1913, une centaine d’étudiants issus de la classe moyenne, soit plus que le nombre total de jeunes boursiers de l’État chinois jusque-là accueillis en France. Cependant, les foyers plus pauvres n’étaient pas en mesure de financer ces études à l’étranger fort onéreuses. De ce fait, Li Shizeng et Cai Yuanpei et bien d’autres encore établirent à Paris, d’abord en 1915, l’Association pour le travail diligent et les études dans la frugalité en France, puis en mars 1916, la Société franco-chinoise d’éducation en collaboration avec des amis français, deux organismes chargés d’orchestrer et de promouvoir le programme Travail-Études. En 1917, ils retournèrent à Beijing où ils mirent en place deux organisations similaires, en écho à ces institutions françaises, organisations qui appelaient à « la diligence dans le travail et à la frugalité dans les études, pour rehausser le niveau de sagesse et de connaissances des travailleurs ». Cette idée, conforme à la tendance d’émancipation de la pensée en vigueur à l’époque, se propagea rapidement dans toute la Chine. Elle incita un grand nombre de jeunes animés d’un noble idéal, en particulier ceux nés de familles pauvres, à partir à l’étranger pour découvrir le monde. Ainsi, ils frayèrent en Chine une toute nouvelle voie d’accès aux études à l’étranger, à la fois équitable et populaire, appelée à cultiver les talents pour façonner l’avenir du pays.

 

Depuis le quatrième groupe, dépêché tout juste après le Mouvement du 4 mai, le nombre de jeunes partant en France en quête de vérité dans l’espoir du salut national augmenta considérablement. Ces gens, originaires de 18 provinces chinoises au total, présentaient un profil très différent les uns des autres : ils étaient pour la majorité des lycéens et collégiens, mais figuraient également des écoliers, des normaliens, des étudiants en cycle court, des enseignants, des ouvriers, des commerçants, des hommes investis dans le milieu politique, des anciens combattants, etc. Après leur arrivée en France, la plupart d’entre eux étaient amenés à alterner entre travail et études. Selon des statistiques, au total, ils auraient fréquenté une trentaine d’établissements scolaires et travaillé dans une soixantaine d’usines. Ce mouvement Travail-Études, inédit en France, a donné naissance à un certain nombre d’élites dans les domaines de la politique, des sciences et des technologies, de l’enseignement, de la culture et de l’art chinois. Parmi elles, citons des dirigeants politiques et fonctionnaires de haut rang, dont Zhou Enlai, Deng Xiaoping, Chen Yi, Nie Rongzhen, He Changgong, Li Weihan, Li Fuchun et Cai Chang ; des scientifiques tels que Qian Sanqiang, Yan Jici et Zhang Jingsheng ; des artistes à l’image de Xu Beihong, Lin Fengmian et Pan Yuliang ; des traducteurs comme Li Jianwu ; des écrivains à l’instar de Sheng Cheng ; ainsi que d’autres talents exceptionnels dans diverses disciplines. Grâce au mouvement Travail-Études en France, ils se sont distingués pour s’ériger en une grande force guidant la Chine vers sa révolution et sa modernisation au XXe siècle, et pour devenir par là même des pionniers dans les échanges culturels sino-français.
 
En juin 1920, des étudiants chinois qui participent au programme
Travail-Études en France se font photographier à Marseille.

 

Modèles

 

La plupart de ces étudiants se sont rendus en France en caressant le rêve de rechercher la vérité, pour ensuite transformer la Chine et redresser le pays. Cependant, après la Première Guerre mondiale, la France a connu une période difficile, avec des fermetures d’usines, le licenciement de travailleurs, des pénuries de matériaux et une économie morose. Mais la majorité des étudiants chinois s’efforçaient toujours de chercher un emploi, de travailler dur, d’apprendre le français et d’autres connaissances, notamment sur la société. En fréquentant les écoles et les usines françaises, ils ont élargi leurs horizons et acquis une palette de savoirs et de compétences. Dans le même temps, ils ont noué des amitiés avec des travailleurs et des étudiants français, tout en renforçant la compréhension mutuelle. Certains « cerveaux » ont étudié sur place les théories et expériences concernant la révolution, à dessein de chercher une voie pour la révolution chinoise et l’établissement d’une Chine nouvelle. Leurs études en France leur offraient un « champ expérimental » d’une rareté intéressante : d’un côté, via la découverte de cette société inconnue caractérisée par des difficultés économiques et le dur labeur, ils ont pu comprendre de manière empirique la nature de la société capitaliste ; de l’autre, ils ont eu l’opportunité de sortir des frontières pour s’inspirer du passé révolutionnaire de divers pays, d’étudier le marxisme et de nourrir leur vision internationale globale. Résultat : ils ont fini par jouer un rôle unique dans la fondation du Parti communiste chinois (PCC), de l’Armée populaire de Libération (APL) et de la République populaire de Chine (RPC). Par conséquent, l’on peut affirmer que le mouvement Travail-Études en France, amorcé il y a un siècle déjà, a grandement contribué à la libération nationale et au renouveau de la nation chinoise, puisqu’il a permis de forger des dirigeants remarquables.

 

Citons quelques exemples. En France, Cai Hesen, proche ami et compagnon d’armes de Mao Zedong dans sa jeunesse, a traduit en chinois des ouvrages sur la théorie marxiste et a ainsi sensibilisé à ce courant les étudiants du mouvement Travail-Études. Grâce à ses études sur le terrain, il a été à même de fournir des références théoriques et pratiques d’un point de vue international, apportant ainsi une contribution significative aux activités liées à la fondation du Parti. Par ses pensées et ses actes sur la fondation du Parti, il a directement stimulé la constitution d’organisations communistes parmi ces étudiants et anciens travailleurs chinois.

 

Quant à Zhou Enlai, 1er premier ministre de la RPC, il a tout d’abord porté son attention sur l’avancement et le destin du mouvement Travail-Études en France, en rédigeant un grand nombre d’articles reflétant véritablement la vie et la lutte menées par ces étudiants, avant de les envoyer aux journaux nationaux. Parallèlement, il a examiné les mouvements communistes et ouvriers de différents pays européens. C’est en se fondant sur sa compréhension, ses analyses et ses recherches des institutions européennes et des divers courants de pensée socialistes que le jeune Zhou Enlai a affermi ses convictions communistes. Celles-ci ont été source de sa force spirituelle, qui l’a poussé à consacrer sa vie à la révolution ainsi qu’à œuvrer pour le renouveau de la nation chinoise, la construction de la Chine nouvelle et la réalisation des « quatre modernisations » (c’est-à-dire l’industrie, l’agriculture, la défense nationale de même que les sciences et les technologies).

 

Pour ce qui est de Deng Xiaoping, reconnu comme l’architecte en chef de la réforme et de l’ouverture de la Chine, il a lancé la politique sans précédent de la réforme et de l’ouverture, lesquelles ont profondément changé le visage de la Chine, non sans répercussions sur le monde. À son arrivée en France en octobre 1920, Deng Xiaoping, 16 ans, endura de dures épreuves au fil de ses études et de son travail. Il fut d’abord accueilli dans l’école publique de Bayeux pour apprendre le français. Mais quelques mois plus tard, à court de fonds, il n’avait d’autre choix que de travailler pour gagner sa vie. Il passa plus de cinq ans en France où il enchaîna les petits boulots (par exemple, dans l’aciérie Schneider, l’usine de caoutchouc Hutchinson à Châtelette-sur-Loing près de Montargis et l’usine Renault, et même dans la fabrication de fleurs en papier). Par le biais de ses études et de ses expériences professionnelles en France, il gagna progressivement en maturité. D’une part, il découvrit les maux de la société capitaliste ; d’autre part, il prit connaissance, dans la pratique, du niveau avancé des grandes usines modernes et apprit beaucoup au contact des travailleurs industriels français. Tout cela l’aida à appréhender la société ainsi qu’à envisager l’avenir pour son pays et à anticiper son destin personnel. De surcroît, au cours de son parcours, il fit la rencontre d’hommes visionnaires plus âgés, tels que Zhou Enlai, Zhao Shiyan, Nie Rongzhen et Li Fuchun. Sous leur influence, il rejoignit, en 1922, le Parti communiste de la jeunesse chinoise en Europe qui venait d’être créé, lequel sera rebaptisé plus tard la « Ligue de la jeunesse communiste chinoise en Europe ». Dès lors, en révolutionnaire convaincu, il s’engagea dans une carrière politique. En 1924, Deng Xiaoping alla à Paris pour participer à la rédaction de Lumière rouge (une publication relevant de l’organe de la Ligue), où il était loué pour son consciencieux travail d’écriture et d’impression, combattant alors aux côtés de Zhou Enlai et d’autres communistes. Après le départ de Zhou Enlai qui devait rentrer en Chine, Deng Xiaoping devint l’un des chefs de la Ligue en Europe. Au fil de ses activités révolutionnaires en France, Deng Xiaoping s’est donc métamorphosé, passant, d’un jeune ordinaire à l’esprit patriotique, à un révolutionnaire visionnaire, expérimenté et déterminé.

 

Ouverture et transmission

 

En janvier 1926, Deng Xiaoping quitta la France pour étudier en Union soviétique. En 1975, après près d’un demi-siècle, il fut invité, en tant que vice-premier ministre de la RPC, à effectuer une visite en France au nom du premier ministre Zhou Enlai. Cai Fangbai, ancien ambassadeur de Chine en France, qui l’accompagnait durant toute sa visite, s’est remémoré : « Deng Xiaoping a souligné dans son discours que la France était un lieu où il avait vécu dans sa jeunesse et que l’hospitalité du peuple français l’avait profondément touché. Et d’ajouter qu’il était très heureux de revenir sur les traces de son passé. » Cette fois-ci, parallèlement aux dialogues fructueux dans les domaines politiques et diplomatiques qu’il tint avec la France au nom de la Chine, il prit le temps de visiter des fermes, des usines, des centres d’énergie atomique, etc. Ces endroits représentaient des secteurs dans lesquels la Chine devait apprendre de toute urgence à l’époque. Ces visites lui ont permis de réfléchir dans les grandes lignes à son plan de modernisation de la Chine.

 

Il faut dire que Deng Xiaoping a acquis, grâce à son expérience d’études en France dans sa jeunesse, un regard ouvert, une vision internationale et une largesse d’esprit, des bases solides qu’il a su exploiter pour devenir l’un des fondateurs de la Chine nouvelle et l’architecte en chef de la réforme et de l’ouverture du pays.

 

Il convient de rappeler que c’est sa décision historique qui a marqué le prélude de cette politique de la réforme et de l’ouverture à laquelle adhère toujours la Chine contemporaine. Le 23 juin 1978, Deng Xiaoping donna une instruction importante, soulignant qu’il se prononçait pour l’augmentation du nombre d’étudiants chinois à l’étranger, ouvrant ainsi un nouveau chapitre dans la coopération et les échanges éducatifs de la Chine avec le monde extérieur. Le 26 décembre de la même année, un premier groupe de 52 étudiants envoyés par la Chine s’est mis en route pour les États-Unis. L’envoi de ce premier lots d’étudiants vers les États-Unis s’est avéré fructueux, puisque quarante ans plus tard, nombre de ces pionniers de la réforme et de l’ouverture sont devenus, après leur retour, des professeurs, des experts renommés ou des chefs de file académiques dans leurs domaines respectifs. Ainsi, la Chine a embrassé l’avènement d’une nouvelle vague d’études à l’étranger, dans la continuité du mouvement Travail-Études en France.

 

Tout comme l’a indiqué le président Xi Jinping lors de la commémoration du 100e anniversaire de la création de la Western Returned Scholars Association (WRSA) en 2013, « depuis la réforme et l’ouverture, le Comité central du PCC et le camarade Deng Xiaoping ont pris une décision stratégique : celle d’accélérer l’envoi d’étudiants à l’étranger. Cette initiative a donné lieu à une vague d’études à l’étranger et une vague de retour au pays sans précédent dans l’histoire de la Chine, au vu de son envergure, de la variété de domaines concernés, de la multitude de pays vers lesquels partent les étudiants et de la quantité de régions chinoises dans lesquelles ils reviennent s’installer par la suite ». Et de poursuivre : « La pratique a prouvé que les nombreux étudiants chinois faisant ou ayant fait des études à l’étranger sont dignes d’être considérés comme une richesse précieuse du Parti et du peuple, ou encore les forces vives qui contribueront au grand renouveau de la nation chinoise. Le Parti, l’État et le peuple peuvent être fiers de disposer d’un si vaste bassin de talents, qui continue de s’élargir. »

 

Rester fidèle à l’engagement initial, commémorer l’esprit du mouvement Travail-Études en France et cultiver cet héritage : telle sera la mission des étudiants chinois faisant ou ayant fait des études à l’étranger, et ce de génération en génération.

 

*DUANMU MEI est chercheuse à l’Institut d’histoire du monde relevant de l’Académie des sciences sociales de Chine et présidente honoraire de la Société chinoise d’études de l’histoire de France.

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