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« La Chine et l’Occident forment un ensemble » — Interview du sinologue français Joël Bellassen

2019-03-05 16:11:00 Source:La Chine au présent Auteur:LI YONGQUN
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Le 11 avril 2018, une étudiante française dessine sur un éventail à Suzhou (au Jiangsu). 

 

LI YONGQUN* 

Joël Bellassen est surnommé « le Chinois » par ses amis français. Âgé de 69 ans, il a dirigé la rédaction d’une trentaine d’ouvrages et traduit des œuvres de Lu Xun telles que Cris, Kong Yiji et Le Remède.  

En France, Joël Bellassen incarne la langue chinoise. Il a commencé ses études de chinois en 1969. De 2006 à 2016, il a été inspecteur général de chinois au ministère français de l’Éducation nationale. En 2013, des cours de chinois ont été mis en place dans toutes les académies de France. De 2004 à 2014, le nombre de collégiens et de lycéens apprenant le chinois a augmenté de 25 % à 30 % chaque année. Aujourd’hui, environ 700 collèges et lycées proposent des cours de chinois et presque 50 000 collégiens et lycéens apprennent le chinois comme langue vivante. 

De Paris à la « Lune » 

Le 18 novembre 1973, Joël Bellassen a quitté Paris pour la Chine. Sur une photo, il a écrit « J’arrive sur la Lune ». Le sinologue explique : « En Europe, la Lune est depuis longtemps un symbole de la Chine. La Chine est pour moi un pays éloigné et la distance m’attire. Comme beaucoup d’autres à l’université, j’étais fasciné par la langue chinoise. J’étais spécialisé en philosophie et j’apprenais aussi l’espagnol. J’ai finalement abandonné l’espagnol pour me concentrer sur le chinois. Le charme des caractères chinois a joué un rôle prépondérant dans ma décision. » 

Joël Bellassen a pris l’avion pour la Chine avec 29 autres étudiants français. Sa vie est depuis lors devenue « inséparable avec la Chine et la langue chinoise ». 

Lorsqu’il évoque son séjour en Chine, Joël Bellassen se souvient : « L’année où je suis arrivé en Chine, la Chine et la France venaient de rétablir un système d’échange pour les étudiants. Avant mon départ, ma famille m’avait demandé : “quand est-ce que tu reviendras de ce pays si lointain ?” J’avais répondu : “Je ne sais pas.” Parce que nous n’avions pas d’information précise sur la durée de nos études. Ce n’est qu’une fois arrivé en Chine qu’on m’a dit que notre séjour durerait deux ans. La première année était consacrée à l’étude de la langue et en deuxième année, nous avons rejoint différentes universités selon nos spécialités. Moi, je suis allé à l’université de Beijing pour étudier la philosophie. » Joël Bellassen a été très impressionné par le cours de chinois classique donné par Jin Dehou, professeur de l’Université des langues et cultures de Beijing. Pour les apprenants du chinois, le chinois moderne et le chinois classique sont deux orientations différentes : ceux qui sont doués en expression choisissent le chinois moderne, tandis que ceux qui excellent en compréhension choisissent le chinois classique. 

Joël Bellassen a choisi le chinois moderne. « Je n’avais qu’un seul cours de chinois classique en France. Mais je n’avais pas beaucoup progressé, parce que la méthode pédagogique de traduction ne me convenait pas. En Chine, j’ai beaucoup progressé en chinois classique, alors que ça n’était pas ma matière principale. M. Jin enseignait le chinois classique en ayant recours au chinois moderne, au lieu d’utiliser la traduction française comme on l’avait fait en France. Il y avait beaucoup d’interaction dans son cours et cela m’a beaucoup plu. En plus des cours de chinois moderne et classique, le jeune français a suivi des cours de taï-chi.

 

Joël Bellassen 

La motivation d’apprendre le chinois 

Selon Joël Bellassen, « la base de la culture chinoise est son écriture idéographique qui décrit la signification plutôt que la prononciation. Cette différence fondamentale dans l’écriture distingue la culture chinoise de la culture occidentale. Lorsqu’on apprend un caractère chinois, on identifie un sens et puis on l’associe à une prononciation. Et lorsqu’on apprend un mot composé de lettres alphabétiques, la prononciation précède le sens. À la différence des autres langues, le chinois est la seule langue qui n’analyse pas la phonétique. Les caractères chinois lient ensemble le sens de chaque partie et la structure cachée. » 

Après toutes ces années, Joël Bellassen résume ainsi les trois principales motivations qui ont guidé son apprentissage du chinois : premièrement, la découverte. Les Français pensent toujours que la Chine est différente, y compris la langue et l’écriture. La différence appelle la découverte. Au moment de son premier voyage en Chine, la Chine était moins développée qu’aujourd’hui. L’apprentissage du chinois n’avait pas de valeur pratique. « C’était purement par intérêt linguistique. Nous avons hérité inconsciemment de la fascination pour l’exotisme de Voltaire. Nous avons envie de découvrir des pays différents. Ce qui est particulier nous semble plus intéressant. » Deuxièmement, la tradition. La France est au premier rang mondial en matière de sinologie et d’enseignement du chinois. D’après Joël Bellassen, la France, comme la Chine, attache une grande importance à la langue et à l’écriture, d’où le Séminaire international sur les politiques et programmes linguistiques sino-français qui a lieu tous les deux ans depuis 2012. Troisièmement, le chinois est inexhaustible. Plus on l’étudie, plus il devient intéressant. 

La diffusion de la culture chinoise est essentielle 

Il y a un proverbe chinois qui dit « Du bon vin ne nécessite pas d’éloges ». Mais Joël Bellassen a une opinion différente : la Chine possède des choses merveilleuses qui sont uniques dans le monde mais qui sont restées méconnues de l’Occident pendant une longue période parce qu’elles n’ont pas été diffusées. 

Une des raisons est que certains Chinois manquent de confiance dans leur culture. Joël Bellassen raconte : « Depuis 1973, mon premier séjour à Beijing, j’ai effectué environ 300 visites en Chine. Ce qui m’a toujours étonné, c’est l’exercice matinal. C’est vraiment quelque chose de propre à la Chine. Je trouve cela très intéressant et instructif. Mais pour les Chinois, l’exercice matinal est quelque chose de banal, voire une pratique un peu rétrograde pour certains, parce que ce n’est pas international et que les Occidentaux ne font pas ça. N’est-ce pas la preuve d’un manque de confiance dans sa propre culture ? Les Français ne jugent jamais leurs traditions dépassées, par exemple, on aime toujours manger des escargots. Les Français accordent une grande attention à la protection de leur histoire et de leur patrimoine. À Paris, il y a de vieilles ruelles comparables aux hutong de Beijing. Même s’il est difficile d’y circuler, elles ont été préservées car elles font partie du patrimoine historique. » 

Selon Joël Bellassen, tous les Chinois doivent être fiers de leur culture. Tous les Occidentaux qui connaissent la culture chinoise la trouvent fascinante. « Par exemple, la calligraphie est un art unique. Un pays qui possède un art aussi unique, c’est quelque chose ! » Il déclare : « La calligraphie est omniprésente en Chine, dans les maisons, dans les parcs et même au sommet des montagnes, gravée sur des pierres. Certains pensent que la calligraphie est une belle étiquette culturelle. En Chine, la calligraphie est étroitement associée à la nature. » 

En tant que linguiste, Joël Bellassen trouve que la culture occidentale a un caractère très auditif et est basée sur l’alphabet latin qui indique la prononciation. Alors que la culture chinoise a un caractère visuel et est basée sur les caractères qui véhiculent le sens. Grâce à cette particularité de la langue chinoise, la poésie chinoise a un statut exceptionnel dans le monde entier. 

Pour Joël Bellassen, la culture chinoise est fortement liée à la langue et l’écriture chinoises. Par exemple, beaucoup d’Occidentaux estiment que les Chinois sont très habiles de leurs mains. Une délégation de chirurgiens s’est rendue en Chine pour découvrir le développement de la microchirurgie en Chine et ils se sont rendus compte que c’était plus l’habileté des docteurs chinois que les équipements de pointe qui avaient permis ce développement. « C’est directement lié à la longue tradition d’écriture des caractères », explique Joël Bellassen. En outre, les lauréats des concours de musique internationaux sont souvent des Chinois et des Japonais. Leur atout n’est pas tant l’expressivité, mais plutôt la technique. « En Chine, j’ai découvert la micro-calligraphie et je me suis demandé, pourquoi cette technique n’existe-t-elle qu’en Chine ? Pourquoi les Chinois aiment-ils écrire sur des supports aussi petits qu’un grain de riz ? C’est étroitement lié à l’écriture des caractères chinois. Selon des études de neurologie, les caractères chinois et les lettres de l’alphabet jouent des rôles très différents. » 

Pour résumer, le sinologue français affirme : « L’humanité a la chance d’avoir la Chine et l’Occident. La Chine et l’Occident forment un ensemble. »

 

*LI YONGQUN est correspondant en chef en France pour Le Quotidien du peuple.

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