Les médias occidentaux avaient évoqué des yeux vigilants guettant à chaque coin de rue. Pourtant, dès mon arrivée, une hospitalité inattendue m’a enveloppé, bien plus chaleureuse que tout ce que j’avais pu imaginer.
Et ainsi commence le voyage…
Le premier jour, je suis parti interviewer des Ouïgours pour une vidéo sur les réseaux sociaux, dans l’espoir de découvrir l’esprit authentique du Xinjiang. En apercevant un groupe de jeunes insouciants, couverts de tatouages, sirotant de la bière, j’ai ressenti une petite inquiétude. Allaient-ils se méfier d’un étranger, étant donné tous les commentaires négatifs des médias occidentaux ? Risquerais-je des ennuis simplement en posant des questions ? En m’approchant d’eux, j’ai constaté que la surprise était de leur côté, car j’étais le premier étranger qu’ils rencontraient. Les rires ont vite remplacé ma nervosité, et avec mon chinois approximatif et leur anglais tout aussi imparfait, nous avons bavardé comme de vieux amis qui ne s’étaient pas rencontrés depuis des lustres. Ils ont insisté pour m’offrir un verre, puis m’ont généreusement invité chez eux. J’aurais hésité à accepter dans mon propre pays, où faire confiance à des inconnus n’est pas aussi facile. Pourtant, à ce moment-là, leur hospitalité semblait naturelle, voire impossible à refuser, et j’ai réalisé que très rapidement, mes préjugés sur le Xinjiang étaient mis à mal.
Ils m’ont accueilli chez eux, versé du thé fumant dans des théières finement ornées et préparé un festin de petits plats locaux. Ce n’était pas un simple repas. C’était une véritable initiation, un baptême de gentillesse, comme s’ils voulaient me faire comprendre : « Tu es ici, donc tu fais partie de la famille maintenant. » Ce jour-là, j’ai appris qu’au Xinjiang, la nourriture et l’affection allaient de pair, et à quel point les cœurs pouvaient s’ouvrir facilement devant un étranger curieux. Mes hôtes riaient et dansaient au rythme entraînant de la musique locale, leurs pieds battant la mesure sur les tapis colorés dans une célébration fervente de la vie. Mes mains ont pris le relais et mon cœur s’est envolé, porté par ce sentiment d’appartenance qui remplissait la pièce.
Des produits de broderie dans un atelier à Altay (Xinjiang)
Ressemblances et affinités
Il y a une coïncidence curieuse concernant mon apparence. D’une certaine manière, je ressemble un peu aux Ouïgours, avec ma peau claire et mes grands yeux. Dans les marchés et les restaurants, les passants me saluaient en langue ouïgoure avec un sourire chaleureux. Réalisant que je n’étais pas un local, ils riaient puis passaient au chinois standard. Cela me réconfortait, me rappelant que je pouvais m’intégrer plus dans la vie locale que je ne l’avais imaginé. En voyageant dans d’autres villes de Chine, je ressentais souvent des regards fixés sur moi, car j’avais l’air si différent des autres, mais ici, personne ne me remarquait. C’est ainsi que j’ai eu envie d’apprendre la langue ouïgoure, cette langue qui m’avait si bien accueilli dès le premier jour.
J’ai quitté le Xinjiang quelques jours après, mais deux ans plus tard, en 2023, et à nouveau en 2024, je suis revenu comme un oiseau migrateur. Partout où je vais, les gens m’invitent chez eux. Peut-être est-ce ainsi que le Xinjiang accueille les voyageurs. C’est pourquoi j’ai pris la décision courageuse, que peu d’étrangers ont prise, de m’installer au Xinjiang.
Il y a tant à explorer au Xinjiang, qui est sept fois plus grand que mon pays, le Royaume-Uni. En effet, je n’ai parcouru qu’une infime partie du Xinjiang, car peu importe combien de fois j’y retourne, il reste des vallées, des déserts et des sommets à découvrir. De Tourfan, l’endroit le plus chaud de Chine, à Altay, où l’on peut s’imaginer dans les Alpes, avec de nombreuses pistes de ski, en passant par les prairies d’Ili, avec de nombreux Kazakhs vivant dans leurs yourtes, faisant paître leur bétail. Chaque ville est un royaume à part entière, avec des langues variées ainsi que des coutumes et des plats différents qui reflètent une culture diversifiée.
Peut-être l’une des raisons pour lesquelles le Xinjiang regorge de diversité est sa localisation sur l’ancienne Route de la Soie. Pendant des siècles, les gens ont emprunté cette route, apportant des marchandises, des idées et des traditions. Le Xinjiang est limitrophe de huit pays, à savoir la Russie, la Mongolie, le Kazakh-stan, le Kirghizistan, le Tadjikistan, l’Afghanistan, le Pakistan et l’Inde. L’interaction de tant de cultures a créé un kaléidoscope qui stimule mes sens à chaque instant tout comme elle stimule le commerce, le tourisme et la coopération dans les sciences et technologies. Le Xinjiang est un lieu plein de promesses pour les entreprises et les entrepreneurs, qui peuvent ressentir le pouls du progrès battre sous les sables anciens.
Un nouveau chapitre
Parce que je suis doctorant en intelligence artificielle (IA) à l’Université Jiao Tong de Shanghai, on me demande souvent : « Pourquoi le Xinjiang ? Beijing ou Shanghai ne seraient-ils pas des pôles technologiques plus évidents ? » Mais je regarde vers l’avenir, imaginant comment l’IA pourrait tisser des liens entre les multiples cultures et paysages de la région. Le Xinjiang, en particulier la ville de Karamay, a déjà commencé à explorer cette voie.
Historiquement connue pour sa production pétrolière, Karamay a tourné la page pour entrer dans une nouvelle ère, alimentée par des centres de données ultramodernes. Par exemple, le centre de données de la société Carbon Neutral Network Technology, doté d’un système de refroidissement à eau qui chauffe les bureaux tout en maintenant les équipements au frais, permet désormais des calculs d’IA gigantesques ainsi que le stockage sur le nuage pour des entreprises mondiales. Beaucoup l’ignorent peut-être, mais DeepSeek, une entreprise technologique basée à Hangzhou, qui a récemment créé un impressionnant modèle de langage open-source en IA, a travaillé avec Karamay. La localisation du Xinjiang, au carrefour de l’Asie et de l’Europe, lui confère des avantages logistiques précieux.
Ainsi, avec des ressources naturelles riches et des infrastructures modernes, de plus en plus de centres de recherche, de pôles d’innovation et d’usines de fabrication avancée s’y sont établis, incluant de nombreuses entreprises d’IA, et contribuant à en faire le cœur de l’IA en Chine.
Me voici donc de retour au Xinjiang pour un nouveau chapitre, et mon premier mois à Urumqi a été fascinant. On m’avait prévenu qu’il y aurait peu d’anglophones et beaucoup de défis de communication. Pourtant, j’ai découvert des « English Corners » où des apprenants se réunissent fréquemment pour parler en anglais, bien que leur niveau soit parfois imparfait.
D’autres m’avaient averti que la vie ici semblerait terne, comparée à celle à Shanghai. Mais j’ai trouvé une ville animée jusqu’aux premières heures du matin — des rues entières transformées en marchés alimentaires, des salles de concerts résonnant des sons de groupes locaux, et des feux d’artifice illuminant chaque aube en célébration du Nouvel An chinois (ce que Shanghai n’autorise pas !). Pour moi, cet endroit est plein de nature, de paix et de vie. Voilà pourquoi je suis venu au Xinjiang et c’est pourquoi j’y reste : en explorant cet endroit, je découvre des facettes de moi-même que j’ignorais.
*LUKE JOHNSTON est un créateur de contenu YouTube britannique résidant à Urumqi.