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Annie Ernaux et la Chine

2022-10-27 11:35:00 Source:La Chine au présent Auteur:TIAN JIAWEI
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Le 6 octobre, l’Académie suédoise a annoncé que l’écrivaine française Annie Ernaux avait remporté le prix Nobel de littérature 2022. En Chine, les médias ont présenté cette écrivaine « relativement inconnue » du grand public sous différents angles.
Des œuvres traduites en chinois
Trois livres de cette écrivaine, La Place, Une femme et La Honte ont déjà été traduits en 2003 par Guo Yumei, professeur de l’Université des langues étrangères de Tianjin, et publiés par les Éditions littéraires et artistiques Baihua (Cent Fleurs). « Ses œuvres sont comme des enquêtes sociales basées sur l’autobiographie personnelle. Elle pense que c’est sa responsabilité de montrer la vie des classes sociales inférieures qui n’ont pas droit à la parole », estime Mme Guo.
En 2006, Yu Zhongxian, alors rédacteur en chef du bimestriel Littérature mondiale, a choisi des extraits du Journal du dehors traduits par Sun Tingting pour les publier dans le numéro 6 de la revue de cette année-là.
En 2008, Les Années a connu un grand succès en France. L’année suivante, les Éditions littéraires du Peuple ont invité Wu Yuetian à traduire ce livre, qui sera sélectionné parmi les meilleurs romans étrangers annuels du XXIe siècle par cette maison d’édition. « Les Années d’Annie Ernaux, par la description sur des photographies des années 1940 jusqu’aujourd’hui, et le genre sans précédent d’autobiographie impersonnelle qu’elle a créé, évoque la durée déterminée qu’elle a traversée à cette période historique. La narratrice mêle son intime aux grands événements de l’époque, fait souvenir en se souvenant, de sorte que cette autobiographie est devenue la mémoire des Français, surtout des Françaises de toute une génération. Le style tout neuf et le langage extraordinaire font de cette autobiographie une œuvre d’élite, et Annie Ernaux est ainsi digne d’entrer dans le rang des écrivains contemporains de premier ordre en France », avait écrit le jury. On constate à travers ces lignes que les membres du jury ont bien appréhendé les caractéristiques de ce livre et que la communauté littéraire chinoise est entrée dans une phase de compréhension approfondie de cette œuvre.
En 2020, Retour à Reims, du sociologue français Didier Eribon, a été traduit en chinois. L’œuvre de traduction a décroché le Prix Fu Lei, qui met à l’honneur la traduction en chinois d’ouvrages français. Le « transfuge de classe » mentionné dans ce livre a trouvé un écho chez les lecteurs chinois. Dans ce livre, l’auteur rend hommage à Annie Ernaux à plusieurs reprises, permettant au public de connaître davantage cette écrivaine.
Fin octobre, les Éditions du Peuple de Shanghai ont publié trois livres d’Annie Ernaux, à savoir deux rééditions de La Place et Une femme, ainsi qu’une première traduction de Mémoire de fille. Avec l’obtention du prix Nobel de littérature, ses œuvres auront plus de chances de rencontrer des lecteurs chinois.
De la traduction à la recherche
Outre les traducteurs, les personnalités du milieu universitaire font également nombre de recherches sur Annie Ernaux et ses œuvres. En 2015, la revue Littérature étrangère a publié l’article Dimension transpersonnelle de « Je » dans Les Années, autobiographie d’Annie Ernaux rédigé par Lu Yichen, docteur à l’Université Paris-Sorbonne en cotutelle avec l’Université de Beijing. Quatre ans plus tard, elle a passé sa soutenance avec sa thèse L’écriture de soi à l’épreuve de la photographie : Annie Ernaux et Hervé Guibert, dans laquelle la relation étroite entre l’écriture de soi d’Annie Ernaux et la photographie a été soulignée.
En 2016, les Presses de l’Université de Wuhan ont publié Le pacte autobiographique, la mémoire sociale —analyse sur l’auto-socio-biographie d’Annie Ernaux, la thèse doctorale de Peng Yingying, professeur à l’Institut des langues étrangères de l’Université normale de Chine centrale à Wuhan. L’auteure a utilisé la théorie du pacte autobiographique de Philippe Lejeune pour analyser les œuvres d’Annie Ernaux et saisi la notion importante d’« auto-socio-biographie » que le milieu littéraire français emprunte pour étudier cette écrivaine.
Au cours de ces 20 dernières années, plus d’une vingtaine d’articles sur Annie Ernaux ont été publiés dans les revues chinoises. Ses œuvres gagnent en popularité parmi les étudiants qui font leurs études à l’étranger, surtout les étudiantes. Certains ont essayé de rédiger un article en imitant son style d’écriture. Plusieurs étudiants chinois ont proposé le sujet de leurs mémoires ou thèses sur Annie Ernaux dans les universités françaises, et certains la comparent avec les écrivaines chinoises Xiao Hong et Lilian Lee. Ce phénomène s’explique par la grande popularité d’Annie Ernaux auprès des universitaires et du public, ainsi que la montée en puissance d’une nouvelle vague féministe depuis 2017.
Ce mouvement féministe, lancé aux États-Unis, s’étend dans beaucoup de pays, notamment en France et en Chine. De plus en plus de lecteurs chinois s’intéressent à l’égalité et à la libération des femmes dans la relation amoureuse, le mariage, la famille et la société, ainsi qu’aux droits des femmes. Ces sujets ont été largement traités dans les œuvres d’Annie Ernaux. Malgré les controverses qu’elle a suscitées au sein de la société française, y compris au sein du féminisme français, elle est devenue la nouvelle icône du féminisme après Simone de Beauvoir et Marguerite Duras. En même temps, les films adaptés des livres d’Annie Ernaux, tels que Passion Simples et L’événement, sont sortis les uns après les autres. Grâce au cinéma, un moyen plus influent de la culture populaire, et en particulier grâce au Lion d’or du Festival international du film de Venise pour L’événement, qui porte sur le droit des femmes à l’avortement, les lecteurs et les spectateurs chinois ont pu ressentir la puissance des œuvres d’Annie Ernaux, le courage de ses interventions sur des questions sociales et la délicatesse de ses descriptions émotionnelles. Tout donne à penser que ses œuvres feront l’objet de plus de discussions dans les milieux littéraires et la société en Chine.
Des échanges précieux
Annie Ernaux a effectué sa première visite en Chine en 2000. Dans la version traduite en chinois de Les Années, elle y partage ses expériences de Beijing et de Shanghai. Elle a été invitée à parler de son écriture dans plusieurs universités et a observé ce pays où elle rêvait d’aller depuis l’enfance.
J’ai fait mes études de doctorat sous la direction de Dominique Viart en France entre 2014 et 2021. Le 5 février 2016, Mme Ernaux était présente lors d’une réunion de projection du film adapté de son roman Regarde les lumières mon amour, dans lequel elle a partagé ses expériences de courir les supermarchés. J’ai eu la chance de lui parler et elle m’a dit qu’elle avait fait une promenade le long du Bund à Shanghai. Elle m’a fait une dédicace en écrivant « Une promenade dans l’hypermarché » sur mon livre. Ses écrits sur la Chine ne se contentent pas seulement d’exprimer son aspiration et son affection pour le pays, car ils décrivent aussi constamment la vie quotidienne et expriment ses pensées sur le monde et la vie. Cette écriture est à la fois une expérience personnelle et une sensibilité que ses lecteurs peuvent partager.
Les œuvres d’Annie Ernaux sont passés de l’expression de soi par les récits de filiation à la réflexion sur la société contemporaine française, montrant une grande capacité stylistique. Ses œuvres trouveront à coup sûr un écho auprès d’un public plus large à l’avenir en Chine.


*TIAN JIAWEI est titulaire d’un doctorat en littérature française, moderne et contemporaine, de l’Université de Paris X, et enseigne actuellement au département de littérature comparée de l’Université normale de la Chine de l’Est. Il est également l’auteur de Vies et leçons des lettrés chinois : Selon Gérard Macé, Pascal Quignard, et Christian Garcin.

 

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