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La France et la Chine face à la menace de l’unilatéralisme

2019-03-04 16:27:00 Source:La Chine au présent Auteur:MICHEL AGLIETTA
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Le 31 mars 2016, à Paris, le gouverneur de la Banque populaire de Chine
Zhou Xiaochuan participe à une réunion sur le système monétaire international.
 
MICHEL AGLIETTA*
 
 
En 1950, après un siècle de pillages par les Occidentaux puis le Japon, la Chine était l’un des pays les plus pauvres du monde. Selon les données historiques d’Angus Maddison, économiste britannique de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), le PIB par habitant était deux fois plus faible que celui de l’Afrique, 20 fois plus faible que celui des États-Unis. En 2010 il était environ 4,5 fois plus faible que celui des États-Unis, et en 2020, il sera trois fois plus faible. Le XIXe Congrès du Parti communiste chinois (PCC) a ouvert une nouvelle ère, reposant sur l’excellence technologique mise en œuvre dans le plan « Made in China 2025 » pour soutenir une croissance qualitative.

 

Briser l’hégémonie du dollar

 

L’administration des États-Unis est décidée à bloquer le développement chinois par tous les moyens. La guerre commerciale n’en est qu’un avatar. Bien plus graves sont les entraves aux investissements directs des entreprises chinoises aux États-Unis, mais aussi dans les autres pays avancés par intimidation. Le pire est l’extraterritorialité arbitraire contre les entreprises et les banques étrangères, qu’elles soient européennes ou chinoises, qui ont des échanges avec les pays que le gouvernement américain n’aime pas (Cuba, Soudan et surtout Iran après le retrait unilatéral des États-Unis de l’accord nucléaire). Cette extraterritorialité s’appuie sur le rôle du dollar dans les transactions internationales en tant que devise clé. Elle favorise délibérément l’activité internationale des entreprises américaines en violation des règles du libre-échange.

 

Les conséquences néfastes commencent à apparaître et pourraient s’aggraver sensiblement, car l’influence de la Chine sur l’économie mondiale est considérable. En 2018 la Chine pesait 16 % du PIB mondial, mais surtout la contribution de la Chine dans la croissance mondiale de la période 2011-2018 a été de 30 %. La combinaison d’un ralentissement de croissance économique en Chine et d’une politique américaine qui élargit le double déficit commercial et budgétaire, tout en prétendant le supprimer par le protectionnisme, serait catastrophique pour l’économie mondiale. Le FMI met en évidence un risque majeur pour la croissance mondiale (growth-at-risk) par une montée générale de l’aversion pour le risque dans les marchés financiers. L’impact sur l’Allemagne est d’ores et déjà une récession du secteur industriel par diminution des exportations vers l’Asie. Un fort ralentissement vers 1,2 % à 1,5 % de croissance est attendu dans la zone euro en 2019-2020 selon les institutions internationales.
 
Août 2018, Paris, un magasin de vente en gros vend des produits importés de Chine. 
 
Développer les synergies de la finance verte

 

Quel domaine de coopération sino-européenne la France peut-elle susciter pour contrecarrer cette évolution ?

 

Le domaine environnemental paraît prépondérant, car son impact sur la croissance mondiale peut être considérable, surtout qualitativement. Le rapport 2018 du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) ne laisse aucune ambiguïté : la fenêtre d’opportunité pour un monde en dessous ou égal à 2° C de réchauffement est en train de se fermer. Or la France a été l’architecte de l’Accord de Paris de 2015. Elle peut être la garante de sa mise en œuvre en Europe et une initiatrice de coopérations plus larges, indispensables au financement des investissements requis dans les pays en développement. Quant à la Chine, dès 2015 le gouvernement a montré sa priorité pour la croissance soutenable en organisant la « Green Finance Task Force » pour appliquer les principes du 3e plénum du Comité central issu du XVIIIe Congrès du PCC : restructurer la production en développant des industries bas carbone et réduisant les activités polluantes. Pour accélérer la transition dans la production d’énergie, l’industrie et les transports, il faut un système financier vert, ayant autorité pour imposer des normes environnementales guidées par un prix du carbone suffisamment incitatif. L’expérience européenne des difficultés du marché des droits à polluer et des réformes qui en ont résulté peut donner lieu à une collaboration fructueuse pour la bonne gestion du marché chinois.

 

Cette collaboration devrait avoir une ampleur plus grande en s’élargissant à un plus large ensemble de pays liés par l’Accord de Paris. Un récent rapport présentant une initiative pour la finance climatique rappelle que la reconversion de l’investissement devrait croître de 0,7 à 1,3 trillion de dollar par an, dont les deux tiers devraient être investis dans les pays en développement qui ont le moins de moyens financiers pour le faire. Or les investissements dits bas carbone sont difficiles à financer. Ils sont, en effet de longue durée, ont un apport de capital initial élevé et sont particulièrement risqués, car ils culminent le risque technologique et le risque environnemental. En outre, leur rendement social dépasse le rendement financier privé, parce qu’ils concernent des réseaux de distribution d’électricité, de transport, des chaînes de valeur bouleversées par les nouveaux matériaux, tous investissements handicapés par des coûts sociaux et grevés d’incertitude que les marchés financiers ne prennent pas en compte.

 

Pour attirer les masses d’épargne liquide oisive, il faut transformer la finance et la soutenir par des garanties publiques. Or l’Europe et la Chine disposent des acteurs financiers capables de prendre la direction de ce mouvement. Ce sont les banques publiques de développement nationales et internationales, les investisseurs financiers publics et les fonds souverains. Un large pool de ces investisseurs au sein d’un fonds multinational, soutenu par une garantie des risques de défaut abondée par une association d’États souverains engagés dans la transformation du régime de croissance, pourrait avoir un effet multiplicateur considérable par l’engagement d’épargne privée.

 

Reste la dimension monétaire. Dès 2009, Zhou Xiaochuan, ancien gouverneur de la Banque populaire de Chine, avait plaidé pour un système monétaire multilatéral fondé sur les DTS en tant qu’actif ultime de réserve, donc pour l’abolition du système de la devise clé fondé sur le dollar. Il y a plus de cinquante ans déjà, les dirigeants français avaient dénoncé le privilège exorbitant du dollar. Avec le démantèlement systématique de l’ordre monétaire international et l’usage de l’arme du dollar à des fins partisanes par le gouvernement américain, il serait grand temps de hâter la fin de la devise clé.

 

*MICHEL AGLIETTA est professeur émérite de sciences économiques à l’université de Paris X Nanterre et conseiller au Centre d’études prospectives et d’information internationale (CEPII).

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