En avril, trois nouveaux éléments chinois du patrimoine documentaire ont été intégrés au registre international de la Mémoire du monde. Parmi eux figure le Bianzhong du marquis Yi de Zeng, le plus grand et le mieux conservé des ensembles de cloches en bronze jamais découverts.
Le programme Mémoire du monde, lancé en 1992 par l’UNESCO, a pour mission de protéger et de promouvoir le patrimoine documentaire de l’humanité. Il regroupe des documents, des manuscrits, des traditions orales, des archives audiovisuelles et des collections muséales d’exception, issus de différents pays du monde.
L’inscription au registre international joue un rôle crucial pour le patrimoine documentaire. Elle permet d’affirmer publiquement sa valeur exceptionnelle et contribue à le faire connaître à un plus large public. Elle en facilite également l’accès aux chercheurs comme aux citoyens. Exhumé à Suizhou (Hubei) en 1978, le Bianzhong du marquis Yi de Zeng, vieux de 2 400 ans, témoigne des remarquables réalisations musicales du Ve siècle avant J.-C.
Découverte impressionnante
Dans la banlieue ouest de Suizhou se trouve une tombe datant du début de l’époque des Royaumes combattants (457-221 av. J.-C.), son propriétaire est le marquis Yi du royaume des Zeng. D’une superficie imposante de 220 m2, cette sépulture présente une forme polygonale irrégulière. Découverte fortuitement en 1977, elle a fait l’objet d’une campagne de fouilles archéologiques à partir de mai 1978, mobilisant une centaine d’archéologues.
Après plus d’un mois d’intenses travaux pour évacuer les eaux et les boues, les archéologues ont exhumé un trésor inestimable : un ensemble musical complet en bronze, comprenant les célèbres cloches bianzhong. Cette découverte sans précédent a révolutionné nos connaissances sur l’histoire de la musique et de la métallurgie de la Chine ancienne. « Chaque fois que je lis de nouveaux résultats de recherche ou des reportages sur la tombe, je me souviens encore de toutes les difficultés et de l’émotion que j’ai ressenties lors des fouilles archéologiques », confie Tan Weisi, responsable de l’équipe archéologique.
La fosse mesure 13 m de profondeur. Elle est divisée en quatre sections distinctes : la chambre est qui abrite le cercueil du propriétaire de la tombe, la chambre centrale qui abrite de nombreux instruments de musique de cérémonie, dont les précieuses cloches, la chambre ouest qui abrite 13 cercueils funéraires, et la chambre nord qui abrite les armes et les chars. Au total, plus de 15 000 pièces ont été découvertes dans la tombe.
Un concert de chants classiques avec le Bianzhong du marquis Yi de Zeng, dans la salle de concert du musée du Hubei, le 2 juin 2014
Documentation précieuse
Le bianzhong, emblématique des anciens instruments de musique chinois, trouve son origine dans les rituels et la musique de cour. Cet ensemble de cloches en bronze produit une mélodie distinctive lorsqu’il est frappé avec un maillet.
La découverte du Bianzhong du marquis Yi a réécrit l’histoire musicale de la Chine. Composé de 65 cloches, cet ensemble pèse plus de 2,5 tonnes. Les cloches sont divisées en huit groupes et suspendues en trois rangées sur le cadre en bois. Plus de deux millénaires après son enfouissement, il conserve une sonorité remarquable et une large gamme de tons couvrant cinq octaves.
Ce qui est le plus précieux, ce sont les 3 755 caractères gravés sur cet ensemble immense. Ces inscriptions précisent le type de note produit par chaque cloche ainsi que son appellation selon les différents royaumes. Elles constituent un véritable guide d’utilisation, faisant de cet ensemble une référence incontournable pour comprendre les fondements mathématiques de la musique chinoise.
Grâce à cette découverte, un vaste corpus de pratiques et de savoirs musicaux perdus a pu être retrouvé. L’expertise qu’elle révèle dépasse largement les archives écrites existantes, témoignant de la capacité des musiciens chinois d’il y a 2 400 ans à allier théorie et pratique dans la conception de ces cloches en bronze.
Détail du Bianzhong du marquis Yi de Zeng
Invention mélodieuse
Les différents sons des cloches sont obtenus grâce à leur poids, leur taille et la position où elles sont frappées. Chaque pièce adopte une forme unique, composée de deux tuiles emboîtées, formant ainsi un système unique dit « une cloche à deux tons ». La partie centrale de la cloche et sa partie latérale peuvent produire deux notes musicales différentes, ce qui a été réalisé par les artisans en ajustant l’épaisseur et la courbure de la paroi interne de chaque cloche.
Après la dynastie Han (206 av. J.-C. – 220 apr. J.-C.), le système « une cloche à deux tons » s’est progressivement perdu. La découverte de ce bianzhong affirme que la Chine ancienne possédait des connaissances très avancées en matière de fabrication d’instruments de musique. De plus, les cloches sont ornées de décorations raffinées qui témoignent du savoir-faire extraordinaire des artisans de l’époque.
« Pour que le public puisse entendre cette magnifique musique plutôt que de simplement voir l’instrument, nous avons décidé d’en jouer sur scène », explique M. Tan. Ainsi, le 1er août 1978, après des siècles de silence, l’instrument a résonné à nouveau. Son timbre romantique, inchangé après deux millénaires, a émerveillé le monde.
En 1984, la première réplique du Bianzhong du marquis Yi a été réalisée grâce aux efforts déployés par de nombreux experts chinois en archéologie, en musique et en métallurgie. À partir de cette première réplique, plusieurs autres ont été réalisées, permettant ainsi à un plus large public de découvrir le charme superbe de cet instrument immense. Aujourd’hui, le musée provincial du Hubei propose quatre spectacles quotidiens, offrant aux visiteurs une immersion sonore exceptionnelle.
Reconnu comme un trésor national, l’instrument a été propulsé sur la scène internationale, se produisant dans plus de 20 pays et régions. Devenu un véritable pont culturel, il continue d’émerveiller et d’inspirer, reliant les traditions du passé aux générations présentes.