En pénétrant dans la vieille ville de Nanjing, une promenade le long de la ruelle de Dui Cao, pavée de pierres bleues, révèle des maisons traditionnelles en briques grises aux toits en ardoise. Non loin de là, serpente la rivière Qinhuai. C’est ici que se trouve l’atelier de Zhao Shuxian, héritier de l’art des fleurs de soie, aussi appelées ronghua, inscrites au patrimoine culturel immatériel.
Dès le seuil franchi, un mur orné de fleurs de soie en pleine floraison captive le regard. Depuis cinquante ans, Zhao Shuxian ne cesse d’innover, insufflant une nouvelle vitalité à cet art ancestral et révélant au public tout le potentiel de créativité des techniques du patrimoine culturel immatériel. À l’image des fleurs de soie, symboles de prospérité, cet artisanat ancestral continue de s’épanouir et de rayonner, traversant les siècles avec une vitalité intacte.
L’artisan, gardien d’un savoir-faire ancestral
Zhao Shuxian, natif de Nanjing, a découvert sa vocation durant la période de l’économie planifiée, lorsqu’il a été affecté comme apprenti à l’usine d’arts artisanaux de Nanjing pour y confectionner des fleurs de soie. Ce qui semblait être un simple concours de circonstances a marqué le début d’une passion qui allait durer toute sa vie.
À ses débuts, Zhao Shuxian a bénéficié d’une période faste pour l’artisanat chinois, où les produits en soie, largement exportés, constituaient un pilier économique pour Nanjing. En tant qu’apprenti, il a d’abord appris les techniques de base, se montrant si consciencieux qu’il pouvait produire entre 700 et 800 pétales de soie par jour, chacune d’une qualité irréprochable. Son talent a rapidement été reconnu, lui permettant de quitter la chaîne de production pour intégrer le studio de design, où il est devenu l’assistant de la célèbre artisane Zhou Jiafeng. Sous sa direction, il a perfectionné chaque étape de la fabrication des fleurs de soie : du cardage des fibres de soie à l’assemblage final, maîtrisant ainsi l’ensemble du processus avec rigueur et passion.
Cependant, dans les années 1980, le marché a changé : les commandes de fleurs de soie ont diminué, plongeant l’usine dans des difficultés financières. De nombreux artisans ont dû se reconvertir pour survivre. Zhao Shuxian a lui aussi dû quitter l’usine pour travailler comme éditeur d’images et de textes dans une maison d’édition. Mais contrairement aux autres, il n’a jamais abandonné son art. Pendant son temps libre, il continuait à étudier et à perfectionner la confection des fleurs de soie, préservant ainsi son précieux savoir-faire.
En 2005, la Chine a lancé son premier recensement des éléments du patrimoine culturel immatériel. À Nanjing, les médias ont commencé à appeler à « retrouver les anciens métiers ». Grâce aux recommandations des citoyens, les fleurs de soie ont peu à peu retrouvé leur place aux yeux du public. En 2006, cet art a été reconnu comme élément du patrimoine culturel immatériel au niveau provincial du Jiangsu, et Zhao Shuxian est devenu l’héritier de ce savoir-faire ancestral.
À plus de 50 ans, Zhao Shuxian a repris son ancien métier, son amour pour les fleurs de soie restant aussi vif qu’autrefois. Ce qui le touche encore profondément, c’est de voir que de nombreuses personnes se souviennent également de cet art. En 2008, il a établi son atelier au Musée du folklore de Nanjing, où il a recommencé à fabriquer et à vendre ses créations. Il se souvient : « Mon premier acheteur à l’époque était un Canadien d’origine chinoise. Sa mère, une ancienne actrice d’opéra cantonais à Guangdong, portait autrefois des fleurs de soie lors de ses performances. Elle n’en avait plus jamais revu depuis. Donc, quand il a découvert que j’en fabriquais encore, il a été très surpris. J’ai vendu cette première fleur pour 100 yuans, craignant qu’il trouve le prix trop élevé, mais il l’a achetée avec joie. »
La persévérance de Zhao Shuxian a porté ses fruits. En 2018, la série L’Histoire du Palais Yanxi a mis en lumière les accessoires de tête des impératrices et concubines, des ornements en soie délicats et élégants tous créés par Zhao Shuxian et ses apprentis. Avec cette soudaine popularité, les commandes ont afflué. Pourtant, Zhao Shuxian a toujours refusé de sacrifier la qualité sur l’autel de la rentabilité. « Créer une fleur, c’est comme forger son âme. L’excellence ne se négocie ni dans le choix des matériaux, ni dans l’exécution du travail ! » Une philosophie qu’il a fidèlement suivie tout au long de sa carrière.
Zhao Shuxian taille une fleur de soie.
Quand la tradition rencontre le marché
Les fleurs de soie, artisanat emblématique de Nanjing, trouvent leur origine sous la dynastie Tang (618-907), où elles ornaient les coiffures des femmes de la cour impériale. Sous les dynasties Ming et Qing, elles se sont intégrées à la vie quotidienne principalement durant les mariages, le Nouvel An chinois, la fête des Bateaux-Dragons et la fête de la Mi-Automne. Dans le célèbre roman Le Rêve dans le pavillon rouge, les « fleurs de soie fraîchement fabriquées dans la cour impériale » évoquées font référence à celles de Nanjing.
Zhao Shuxian a su moderniser les fleurs de soie en les intégrant à la mode et au design contemporains. Autour de 2008, alors que le hanfu connaissait un regain de popularité en Chine, il a saisi l’occasion en créant des accessoires assortis à ces tenues traditionnelles. Fort de ce succès, il a élargi ses horizons : ses fleurs de soie ornent désormais des cadeaux d’exception, des tableaux décoratifs ou encore des espaces haut de gamme comme les salons de thé. Sa collaboration avec des marques prestigieuses a donné une dimension internationale à son savoir-faire. On retrouve ses créations dans les robes de Laurence Xu, sur les flacons de parfum Acqua di Parma (LVMH), ou même en tant qu’ornements dans la collection printemps-été 2024 de Dior Men.
Pour lui, la survie des savoir-faire traditionnels passe par l’innovation. Témoin de la disparition progressive de la vannerie en bambou – des paniers délaissés par la société moderne –, il a cherché comment lui redonner sa place. Et si on transformait ces techniques ancestrales en arbres à chat ? « Le patrimoine immatériel doit rester ancré dans le réel. Son avenir dépend de notre capacité à lui trouver des usages contemporains », explique-t-il, convaincu que marier tradition et besoins actuels est la clé.
L’art des fleurs de soie est inscrit au patrimoine culturel immatériel.
Transmettre le patrimoine
Autrefois considéré comme « le dernier artisan de fleurs de soie », il forme aujourd’hui une nouvelle génération de talents dans son atelier. Parmi ses apprentis, on trouve aussi bien des diplômés d’écoles d’art que des passionnés autodidactes, tous unis par une même ambition : faire vivre ce patrimoine.
Zhao Shuxian consacre désormais son énergie à former la nouvelle génération : « Le marché des fleurs de soie est prometteur. En enseignant cet art, je perpétue un savoir-faire tout en créant des emplois pour les jeunes », explique-t-il. Cet artisanat, très demandeur en main-d’œuvre, bénéficie ainsi d’un cercle vertueux : plus les jeunes s’y forment, plus l’art se renouvelle et le marché se développe, garantissant à son tour de nouvelles opportunités professionnelles.
L’artisan a noué des partenariats stratégiques avec des établissements comme l’école professionnelle Xinzhi de Nanjing pour former l’équipe bénévole du patrimoine créatif Jinling Xinzhi et a plusieurs fois introduit le patrimoine culturel immatériel dans le milieu scolaire. Il propose également des stages vacances pour les adolescents dans son atelier.
Zhao Shuxian nourrit une ambition : voir les jeunes s’approprier cet artisanat pour le transformer en véritable secteur économique. « C’est en professionnalisant notre art que nous le préserverons vraiment », explique-t-il, convaincu que cette approche permettra de pérenniser ce patrimoine immatériel.