Le tourisme culturel dit « néoclassique » a le vent en poupe chez les jeunes Chinois.
À Chengdu, une nouvelle forme de tourisme axée sur la culture traditionnelle chinoise se popularise. Elle amène les gens à redécouvrir le quotidien, leur permettant d’explorer ce qui les passionne véritablement.
Les réseaux sociaux ressuscitent la beauté traditionnelle
À 17 h 30, alors que le Musée de l’étang Yanhua à Chongzhou est sur le point de fermer, le photographe Tang Xin, qui a fait deux heures de route depuis Chengdu, continue de capturer l’essence du lieu. « L’étang Yanhua est super photogénique ! », s’exclame-t-il.
Ce musée abrite un jardin du bureau gouvernemental fondé sous la dynastie Tang (618-907) et aménagé sous la dynastie Song (960-1279), un des rares du genre encore préservés en Chine. Le terme « Yanhua » signifie « peintures aux couleurs vives », connotant le pittoresque d’un paysage ou d’une architecture.
De nos jours, poster ses photos de voyage sur les réseaux sociaux est devenu contagieux, incitant à la création de sites spécifiquement photogéniques. Des études indiquent que plus de 40 % des jeunes sondés privilégient l’aspect photographique lors du choix de leur destination. Pour eux, le voyage a pour but principal d’arborer sur la toile leurs prises de vue.
En 2023, une série de photos de la célèbre actrice chinoise Zhao Liying, prises dans le village de Xunpu à Quanzhou, a fait fureur sur Internet, attirant une vague de touristes vers le lieu du shooting. Les clichés montrent la star en robe-chemise rouge, auréolée d’un soleil de fleurs piquées dans les cheveux, irradiant de charme. Le port de fleurs dans les cheveux s’est bientôt répandu dans le bourg de Luodai à Chengdu. Grâce à son architecture de style ancien, Luodai s’est fait une place au soleil sur les réseaux sociaux en attirant des touristes désireux de revêtir des costumes traditionnels et de porter des couronnes de fleurs. Pendant les congés de la fête du Travail, les fleurs pour cheveux s’y vendaient particulièrement bien. « On dirait qu’il y avait dix princesses avec des fleurs dans les cheveux par mètre carré », plaisante-t-on.
Si cette tradition de Quanzhou a pu atterrir à Chengdu, c’est parce que cette dernière possède une industrie prospère de l’habit traditionnel hanfu avec une chaîne industrielle complète et une énorme clientèle. L’association du port de fleurs dans les cheveux, du vêtement traditionnel et du cadre ancien du bourg de Luodai crée une harmonie parfaite. Au début de cette année, les amateurs de hanfu n’ont pas manqué l’inauguration d’un musée d’histoire à l’architecture de l’époque des Han (202 av. J-C.-220) et des Tang à Chengdu. Au Musée Guangdu, de jeunes femmes se rêvaient à l’orée de notre ère avec leur chignon tombant à la nuque ou au dos, et leur robe ruqun.
Une touriste revêtue d’une tenue traditionnelle et portant une couronne de fleurs dans le bourg de Luodai
Expériences immersives de la culture traditionnelle
Avec le boom de ce tourisme culturel dit « néoclassique », la culture traditionnelle chinoise s’échappe des écrans de cinéma et de télévision. De plus en plus de musées et de villes anciennes proposent des expériences culturelles immersives avec la reconstitution de scènes historiques.
Du 16 mars au 14 avril, le Musée de l’étang Yanhua a organisé chaque samedi des manifestations culturelles inspirées des anciens séminaires de lettrés, et les visiteurs en hanfu bénéficiaient d’un accès gratuit. Sous le charme printanier et par l’ondulation des mélodies d’instruments de musique traditionnels, ils se laissaient transporter aux dynasties Tang et Song, sous lesquelles l’étang Yanhua était un haut lieu de rencontre des lettrés. Autour de tasses de thé vert et de délicieux gâteaux sur de petits plats en céladon, les visiteurs se retrouvaient dans une ambiance à la fois rêveuse et réelle, ce qui a séduit la génération Z en quête d’immersion dans la culture traditionnelle.
La transmission de la culture ancestrale ne saurait passer par le bourrage de crâne. Il est nécessaire de creuser les éléments intéressants afin d’en distiller la quintessence et d’instiller ces idées intemporelles dans les esprits en les interprétant sous des formes contemporaines.
« Après une séance de murder-party immersive dans une ville antique, j’enquête sur l’affaire même en rêve », confient certains internautes en parlant de l’attrait du jeu de rôles. Fin 2018, une entreprise de Chengdu a créé la murder-party immersive « Deux jours et une nuit » dans le mont Qingcheng, attirant des amateurs, dont certains qui prennent l’avion pour y participer. Depuis lors, plusieurs bourgs anciens aux environs de Chengdu voient ces « scénarios de meurtre » se dérouler, et des jeunes en robe aux manches larges emplir les rues.
Dans le bourg ancien de Huanglongxi, une histoire de cape et d’épée « La Poussière à la loupe » se produit dans une auberge à la décoration antique. La ville même offre un univers historique en restaurant et en revitalisant des vestiges de forge, de mont-de-piété, de maison de jeu et de banque privée. Les vielles ruelles Shanghequ au bord de la rivière, l’Hôtel de la Sincérité et de la Droiture, la Mare du Dragon et le Pont aux Cinq arches ont été mis en valeur. À cela s’ajoutent la danse du dragon aux feux d’artifice (patrimoine culturel immatériel national de Huanglongxi) et le chant des navigateurs de la rivière Fujiang (patrimoine culturel immatériel provincial du Sichuan). Pour parfaire l’atmosphère, des écoles de tourisme et des troupes artistiques apportent également leur pierre à l’édifice.
Les enfants découvrent la peinture chinoise et la calligraphie dans une scène traditionnelle aménagée à Chengdu. (PHOTOS : HAN JIE)
La tradition sous un nouveau jour
Ce souffle « néoclassique » du tourisme émane de la synergie des amateurs et des promoteurs de la culture traditionnelle. Il reflète en particulier la confiance dans la culture chinoise chez les jeunes générations.
À Chengdu, le hanfu tend à devenir un habit de tous les jours et à la mode. Une jeune femme appelée « rainbow » sur les réseaux sociaux aime partager les photos de hanfu qu’elle porte quotidiennement. « Qui dit que le hanfu ne convient pas à l’été ? », a-t-elle commenté sur une robe en soie xiangyunsha. Lorsqu’il fait frais, elle enfile deux robes à col croisé.
Elle aurait pu rencontrer beaucoup de passionnés à l’Exposition horticole internationale 2024 de Chengdu pendant la fête des Bateaux-Dragons. Les jeunes en hanfu, un éventail du Sichuan en toile Xiabu (Boehmeria nivea) à la main, déambulaient dans les cours fleuries et les pavillons aménagés, pratiquaient des jeux à boire à l’ancienne, à l’image d’illustres poètes d’autrefois, ou admiraient la course des bateaux-dragons illuminés dans la nuit.
Le 1er mai, le Musée des douze marchés mensuels de Chengdu a ouvert un atelier de confection des « éventails d’eau aux fleurs de pêcher », le marché du mois étant traditionnellement consacré aux éventails. Ce type d’éventail, fort en vogue sur les réseaux sociaux, est une matérialisation innovante de l’esthétique traditionnelle par les jeunes générations. La fabrication est très simple, que ce soit pour un éventail plié ou de forme ronde. Son écran est fait d’une couche de colle UV, durcie avec une lampe de polymérisation, ornée de quelques ondulations d’eau avec de la colle et agrémentée de pétales de fleur de pêcher. En mettant la main à la colle, les jeunes entrent en contact avec un artisanat traditionnel, ce qui est susceptible d’éveiller ou d’aiguiser leur intérêt pour la culture traditionnelle chinoise.
*WANG YUE est journaliste à