Yu Zhongxian participe à une table ronde sur les poèmes de Pablo Picasso et leur traduction à l’Institut Cervantes de Beijing, le 26 juin 2019.
« De grands classiques de la littérature française tels que des romans d’Honoré de Balzac et Les Trois Mousquetaires d’Alexandre Dumas père ont déjà plusieurs versions chinoises, par conséquent, je préfère traduire des œuvres littéraires dont l’auteur est peu connu en Chine », déclare Yu Zhongxian, ancien rédacteur en chef de Littérature mondiale et professeur à l’École supérieure de l’Académie des sciences sociales de Chine, à La Chine au présent. Constatant que la plupart des classiques français étaient déjà traduits en chinois, il a préféré travailler sur d’autres œuvres pour les faire connaître auprès des lecteurs chinois.
Faire connaître plus d’œuvres littéraires françaises
En 1985, après avoir terminé son master de français à l’Université de Pékin, M. Yu a commencé à travailler en tant que rédacteur chez Littérature mondiale relevant de l’Institut de recherche sur la littérature étrangère de l’Académie des sciences sociales de Chine. À cette époque, cette revue était le meilleur moyen de connaître la littérature mondiale en Chine. Grâce à ce travail, M. Yu a acquis une meilleure connaissance de la littérature française et de sa place dans le monde. Il a constaté qu’à partir du XVIIe siècle, la littérature française s’était taillé un rôle pionnier dans la littérature mondiale. Plutôt que d’être romantique, la littérature française contemporaine est originale. Pour répondre au désir des lecteurs chinois de connaître davantage d’œuvres littéraires étrangères, il a commencé à traduire des livres français en marge de son travail.
En 1988, le premier roman traduit par M. Yu, Bonjour tristesse de Françoise Sagan, a été publié. Cette œuvre met en avant l’écart générationnel et a marqué son époque en France. Cependant, sa version chinoise n’a pas connu le même succès avant sa republication en 2006. « Dans les années 1980, le problème du fossé générationnel n’était pas répandu en Chine. Mais depuis 2000, ce problème a émergé et cette œuvre trouve un écho auprès des lecteurs », explique M. Yu.
M. Yu affirme que les œuvres littéraires remarquables peuvent susciter les émotions communes de l’humanité et que leur valeur se révèle avec le temps. Il est convaincu de l’importance de traduire les grands classiques de la littérature française, mais il a une prédilection pour la découverte d’autres œuvres françaises encore inconnues du public chinois. « J’ai une carte de la littérature française dans mon cœur. Je connais la valeur littéraire des œuvres », renchérit-il.
Il cite l’exemple de Paul Claudel, poète et dramaturge français, qui a été consul à Shanghai, à Fuzhou et à Tianjin entre 1895 et 1909. Beaucoup de ses œuvres, inspirées de ses expériences en Chine, ont aidé les Français à mieux connaître le pays. « Bien que Paul Claudel ne soit pas connu en Chine, beaucoup de ses œuvres méritent d’être traduites en chinois », note M. Yu.
Depuis 2001, M. Yu fait partie du jury du prix « Meilleurs romans étrangers du XXIe siècle ». Beaucoup d’écrivains français qu’il a proposés, tels que Patrick Modiano, Jean-Marie Gustave Le Clézio et Annie Ernaux, ont par la suite reçu le prix Nobel de littérature, ce qui a témoigné de son expertise. Son travail sur la littérature française a également été récompensé. En 2002, le ministère français de la Culture l’a nommé Chevalier des Arts et des Lettres. De plus, plusieurs de ses traductions, dont Plonger, Les Filles du feu et La Bibliothèque idéale, ont remporté des prix en Chine.
Les œuvres de Paul Claudel traduites par Yu Zhongxian (PHOTOS FOURNIES PAR YU ZHONGXIAN)
Une forme de création
En près de 40 ans, M. Yu a traduit plus de 100 romans, pièces de théâtre et recueils de poèmes français. Il n’a pas une vision spécifique de la traduction, son seul principe est la fidélité au texte original. Pour chaque œuvre à traduire, il lit plusieurs fois le texte original, consulte des dictionnaires, acquiert les connaissances nécessaires, corrige la traduction de longues phrases à plusieurs reprises et explore le style d’écriture de l’auteur. Parfois, il cherche à contacter par plusieurs moyens l’auteur pour clarifier certains points.
Lorsqu’il a traduit La Reprise d’Alain Robbe-Grillet, il a contacté l’auteur par courrier électronique pour confirmer le sens du mot « reprise ». Après avoir reçu la réponse, il a trouvé le mot chinois le plus approprié pour le titre du livre, une traduction appréciée par Alain Robbe-Grillet. M. Yu constate que les écrivains français accordent également une grande importance à la traduction fidèle de leur œuvre. Lorsqu’il a traduit Les Testaments trahis de Milan Kundera, il a eu de nombreux échanges avec l’auteur par courrier électronique. Plus tard, lors d’un voyage d’affaires en France, M. Yu a pris un rendez-vous avec M. Kundera. Ce dernier a apporté Les Testaments trahis, l’a ouvert, choisi un paragraphe et trouvé la traduction de ce passage. Il a par la suite demandé à M. Yu de le retraduire vers le français pour comparer avec le texte original.
M. Yu prend la traduction très au sérieux. Il n’hésite pas à réviser ses traductions publiées pour proposer une version améliorée lors de leur republication. En 1988, il a commencé à traduire Le Soulier de Satin de Paul Claudel. Face à la longueur de l’histoire, à la multitude des personnages et au style à la fois prosaïque et poétique, il a choisi de traduire en prose. Plus de 20 ans plus tard, cette pièce a eu l’occasion d’être rééditée et M. Yu a estimé qu’une traduction en vers serait plus appropriée. Il a donc retravaillé sa traduction, apportant une dizaine de milliers de modifications, et ne regrette pas son choix.
Selon M. Yu, la traduction est une forme de création. Parfois, les subtilités du texte original, notamment les jeux de mots, ne trouvent pas d’équivalent en chinois. Dans ce cas, il ajoute des notes pour aider les lecteurs à mieux comprendre. Il aime également écrire un avant-propos pour de nombreuses œuvres après la traduction pour exprimer son point de vue. Lorsqu’il a traduit À rebours de Joris-Karl Huysmans, il a visité la résidence et la tombe de l’auteur à Paris et a inclus des photos de ces lieux et de ses manuscrits dans la traduction pour que les lecteurs puissent mieux connaître l’auteur.
En 2014, M. Yu a pris sa retraite et a accepté l’invitation de l’Université de Xiamen pour y enseigner. Ces dernières années, il a siégé au jury du Prix Fu Lei de la traduction et de l’édition. De plus, il continue de se consacrer à la traduction littéraire et à la rédaction de livres. En tant que professeur, traducteur, écrivain, conférencier et membre de jury, ce septuagénaire n’a pas ménagé ses efforts pour renforcer les échanges littéraires et culturels entre la France et la Chine.