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Confinement en France : du « moi d’abord » à la responsabilité collective

2020-07-03 16:59:00 Source:La Chine au présent Auteur:HU YU
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Ma résidence à Beijing compte beaucoup de familles françaises ou mixtes comme la mienne. Les enfants ont l’habitude de se retrouver l’après-midi pour jouer au foot et les mamans pour bavarder. Mais à la veille de la fête du Printemps, la pandémie s’est glissée insidieusement sous l’épaisse blancheur silencieuse de la neige. Les retrouvailles se sont raréfiées tout comme les discussions, celles-ci étant alors dominées par les conjectures sur l’évolution du virus et la question de la pertinence de partir en France. En Chine, les gens imaginaient mal qu’un désastre sanitaire s’installerait pour de longs mois.

 

Mais les faits se sont imposés. On a fini par reconnaître que le virus rôdait bien autour de nous, tangible dans tous les sens du terme. Qu’il fallait s’enfermer dans une bulle, comme si le temps était suspendu, et renoncer aux petits plaisirs du quotidien. On sait ô combien c’est dur, d’autant plus que c’est la fête du Printemps. Mais cela a été accepté. Et cela a été d’une efficacité remarquable.

 

Lorsque le virus a commencé à sévir deux mois plus tard en France, le président Macron a décrété le 12 mars la fermeture des écoles et la limitation des sorties. Pour les Français, la liste des plaisirs à suspendre était longue : plage, parc, berge de la Seine, restaurant, apéro, musée, cinéma, festival, le PSG contre l’OM… Autrement dit, la quintessence d’un mode de vie envié par le monde entier et, sacré pour les Français.

 

« Épidémie » : un mot oublié en France
 
Le discours présidentiel n’a pas eu tout de suite l’effet escompté, pour plusieurs raisons. Les Français, comme beaucoup d’autres, ne croyaient pas au danger. Le mot « épidémie » existe bien dans la langue française, mais est surtout utilisé dans l’histoire et la littérature - pensons à La Peste d’Albert Camus. Il est aussi courant dans les médias en rubrique « Actualité internationale » : SRAS, Ebola, MERS… Mais ce mot ne semblait plus avoir de réalité en France, étant donné les conditions hygiéniques et médicales du pays. De plus, dans l’inconscient collectif, le danger s’arrête à la frontière.

 

Il est probable que les élites ne croyaient pas réellement au danger non plus. Ceci explique peut-être, certes très partiellement, l’incohérence entre la mise en place de l’état d’urgence et le maintien des élections municipales. Le virus, lui, n’a épargné personne, pas même les politiques : l’ancien ministre Patrick Devedjian a attrapé le COVID-19 pendant la campagne électorale et y a succombé le 29 mars. Un grand ami de mon mari, Martin, 45 ans, lui aussi membre d’une équipe de campagne électorale dans le sud de la France, a fini en réanimation, sous appareil respiratoire. Après avoir lutté jour et nuit, il s’en est sorti avec 12 kilos en moins.

 

Et puis, dans le sang des Gaulois coule la rébellion, comme la Révolution française l’a démontré au monde entier. C’est une autre raison qui explique le manque de suivi du discours du 12 mars. Il y a aussi le célèbre « Interdit d’interdire ». Cet état d’esprit est encouragé et même secrètement vénéré. On se rappelle par exemple avec quelle sympathie la figure du « cancre » est dépeinte par le grand poète moderne Jacques Prévert. C’est presque un réflexe d’aller à droite lorsque l’autorité dit d’aller à gauche.
 

 

L’importance du groupe dans une crise

 

À cela s’ajoute le complexe rapport entre le « je » et le groupe. Dans les sociétés de tradition confucéenne, la collectivité prime dans bien des aspects de la vie sociale. Lors d’une pareille crise, l’individu se plie aux consignes par habitude mais aussi parce qu’il a compris depuis longtemps que dans une crise collective, l’individu ne saurait s’en sortir sans le groupe. La prédominance du groupe peut être lourde à supporter dans nos sociétés de plus en plus modernes et nos familles de plus en plus nucléaires. Cependant, force est de constater que devant le COVID-19 le sacrifice personnel et la solidarité ont joué un rôle majeur. Or ce qui relève d’une évidence dans une culture ne l’est pas forcément dans une autre. En France, la culture et l’éducation poussent depuis longtemps les enfants vers l’indépendance. Mais il y a peut-être un revers à la médaille : dans le culte de l’indépendance, les liens sociaux s’affaiblissent et les sentiments d’appartenance s’amenuisent. D’autant que depuis 1945 la France n’a plus connu de crises de cette ampleur. Dès lors, le « chacun responsable de soi » peut laisser la place au spectre du « chacun pour soi ». C’est bien pour cela que dans sa deuxième allocution télévisée, le président a eu besoin d’invoquer l’image du « temps de guerre » pour réveiller la conscience civique des Français.

 

En France, j’ai pu observer, en commençant mes études à Paris en 1999, qu’on fait la queue, qu’on cède le passage patiemment aux piétons, qu’on parle très doucement au téléphone dans les trains. J’adorais et j’adore cela. Or, la vie sur place m’a aussi fait découvrir un esprit marginal, mais non moins cultivé, qui consiste à enfreindre les règles surtout quand il s’agit de « moi ». Comme dirait Frédéric Beigbeder, ça aussi, c’est bien français.

 

Ainsi, en début de confinement en France, Sarah, ma voisine française, originaire de Grenoble, m’a raconté un entretien téléphonique avec sa mère. Cette dernière disait qu’elle ne sortait plus de chez elle pour se protéger… mais qu’elle allait « seulement » déjeuner avec son autre fille et ses petits-enfants ! Sarah a essayé d’expliquer que c’était irresponsable, mais sa maman a fini par raccrocher.

 

Un esprit de rébellion, mais aussi un sens des responsabilités

 

Ce serait pourtant puéril de tomber dans le cliché du Français indiscipliné et égoïste. Malgré un début d’état d’urgence quelque peu houleux, l’évolution de l’épidémie a vite fait comprendre aux Français que c’était du sérieux. Le sens des responsabilités a pris le dessus. Dès les premières heures du confinement en France, certains ont également cherché à conscientiser au respect des consignes. Des Français vivant à Shanghai ont réalisé une vidéo intitulée Restez chez vous. Préoccupés par la propagation du virus et l’insouciance de leurs compatriotes, ils ont partagé leur vécu à Shanghai.

 

On connaît la suite : gestes barrières, fermeture de (presque) tout, télétravail, cours en ligne, attestation sur l’honneur de sortie…

 

En fin de compte, lorsque le confinement est devenu routine, les Français ont honoré leur réputation de romantiques en applaudissant, chaque soir à 20 h, à la fenêtre ou au balcon, le personnel soignant luttant corps et âme contre le virus ! Une fois l’ajustement psychologique fait, on vit avec. Cela peut paraître surprenant, mais selon un article publié le 8 mai dans le journal Ouest France, citant les statistiques de Google, les Français ont bien respecté les consignes. Et plus encore. À la veille du déconfinement, une partie de la population s’est opposée à la reprise par crainte d’une nouvelle dégradation sanitaire. Bien sûr, on peut y percevoir… l’éternelle fibre de rébellion qui brave toute décision officielle !

 

Ah, sacrés Français !

 

*HU YU est professeure de français à l’Université des études internationales de Beijing et interprète indépendante. 

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