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L’avant-gardisme des artistes chinois en France

2019-04-03 14:42:00 Source:La Chine au présent Auteur:ZHOU JIN
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法语词典
Réunion de l’Association des artistes chinois de France, à Paris en 1936. La petite fille est Chang Shana.
 
 
ZHOU JIN*
 
Organisée par l’Académie centrale des beaux-arts de Chine (Central Academy of Fine Arts, CAFA), l’exposition intitulée « Artistes chinois en France, pionniers de l’Art moderne en Chine (1911-1949) » a ouvert ses portes le 12 janvier 2019 au musée d’art de la CAFA à Beijing.

 

Cette exposition, qui a pu voir le jour grâce à la contribution d’une quarantaine d’établissements (publics et privés) et de collectionneurs, présente une sélection de plus de 200 œuvres de nombreux maîtres dont Xu Beihong (1895-1953) et Zao Wou-Ki (1921-2013), complétée par de nombreuses ressources historiques. Ce rendez-vous vise à faire découvrir la voie suivie par la vague d’artistes chinois partis étudier en France il y a cent ans et l’influence de cet épisode historique sur la postérité.

 

Selon Fan Di’an, président de la CAFA, il est fort intéressant d’explorer, au travers d’une exposition, les liens qui se dessinent entre ces artistes chinois ayant séjourné en France et l’art moderne chinois. En effet, les beaux-arts chinois au XXe siècle ont considérablement évolué au fil des échanges culturels. Les virtuoses de cette génération qui ont vécu en France ont su assimiler l’expérience étrangère pour la réutiliser dans leurs travaux en Chine. Ils sont ainsi devenus des pionniers qui, après leur résidence dans l’Hexagone, ont ouvert un nouveau chapitre dans l’art moderne chinois.

 

Le choc entre l’Orient et l’Occident

 

Chang Shuhong (1904-1994) est un artiste bien connu en Chine, car il a enchaîné les succès en France avant de revenir en Chine pour se consacrer à sa nouvelle passion : les grottes de Dunhuang. Chang Shuhong est arrivé en France en 1927 et a étudié à l’École nationale supérieure des beaux-arts de Lyon. Là, il a rencontré Wang Yilin et Lü Sibai, devenus respectivement sculpteur et peintre de renom.

 

Chang Shana, sa fille (dont le prénom fait référence en chinois à la Saône, rivière qui traverse la ville française de Lyon) n’a pas oublié cette période. « Quand j’étais petite, ma famille habitait dans le 14e arrondissement de Paris. Nous avions un bel appartement, avec un grand balcon décoré d’une jolie rambarde. » Chang Shana se souvient également que, chaque week-end, sa famille organisait à domicile un salon des étudiants chinois, où se sont côtoyés Wang Linyi, Lü Sibai, Zeng Zhushao, Tang Yihe, Chen Shiyou, Hua Tianyou. Xu Beihong et Jiang Biwei leur ont également rendu visite. Tous sont des artistes qui ont fini par se forger une grande réputation en Chine.

 

Dans la première moitié du XXe siècle, un certain nombre de talents chinois prometteurs sont montés à bord du paquebot Bordeaux en direction de l’Europe. Ils ont débarqué sur ce continent après plus d’un mois de voyage pénible, emportant dans leurs valises leurs idéaux artistiques. Nombre d’entre eux se sont installés à Paris, où ils ont entrepris des études et recherches en surmontant les difficultés du quotidien.

 

À l’époque, la plupart de ces artistes chinois avaient choisi d’étudier en priorité à l’École nationale supérieure des beaux-arts, notamment les techniques du croquis, peinture à l’huile, sculpture, etc. Ils ont aussi progressivement embrassé les écoles occidentales du classicisme et du réalisme. Ce faisant, ils ont introduit des concepts et genres artistiques non exploités dans l’art chinois traditionnel, comme la peinture à l’huile, la sculpture, le croquis, la gouache, tout en apprenant un nouveau mode de vie.

 

Sur les deux rives de la Seine, les artistes chinois sont devenus une communauté unique faisant partie intégrante des cercles artistiques parisiens. Non seulement ils étaient présents sur les campus et dans les musées, mais ils prenaient également part aux événements et recherches traitant de l’art européen, à dessein de progresser et de se faire un nom dans ce milieu.

 

Pour appréhender le système artistique occidental, bien différent de l’art traditionnel chinois, ils ont persévéré avec enthousiasme dans l’apprentissage de nouveaux codes esthétiques, mais aussi dans l’approfondissement de leurs connaissances historiques et culturelles. Alors, ils ont peu à peu compris la portée de l’art dans la société.

 

L’exposition « Artistes chinois en France, pionniers de l’Art moderne en Chine » a présenté au public ce choc entre l’Orient et l’Occident dans les dimensions artistiques et culturelles. Après leur formation aux beaux-arts occidentaux, ces artistes ont intégré des éléments de la culture chinoise aux techniques artistiques qu’ils venaient d’assimiler, comme la peinture à l’huile et la sculpture, combinant les richesses de l’Orient et de l’Occident. Ils ont par là même fait souffler un vent nouveau sur la culture chinoise.

 

Lors de cette exposition, les visiteurs ont pu admirer pour la première fois certains chefs-d’œuvre légendaires signées par des grands maîtres, par exemple Qizhuang fu’nüxiang (Portrait d’une femme en robe) de Chen Fading, Yang Zhongzi quanjiafu (Famille de Yang Zhongzi) de Xu Beihong ou encore Nanrenti (Homme nu), une peinture à l’huile de Wu Zuoren.

 

Selon la commissaire d’exposition Guo Hongmei, Homme nu de Wu Zuoren avait obtenu en son temps le prix d’or de l’Académie Royale des Beaux-arts de Bruxelles. Après avoir décroché une si importante distinction, un grand atelier avec tout le matériel nécessaire avait été mis gratuitement à la disposition de l’artiste. Dans ces conditions favorables, il avait engendré pléthore d’excellents travaux, y compris Qianfu (Burlak).
 
Chang Shana, la fille de Chang Shuhong, a participé à l’exposition. (PHOTOS FOURNIES PAR L’AUTEUR)

 

Contacts entre professeurs français et étudiants chinois

 

Cette année 2019 marque à la fois le centenaire du mouvement Travail-Études en France et le 55e anniversaire de l’établissement des relations sino-françaises. Elle commémore donc le fait que, dans la première moitié du XXe siècle, ces artistes chinois basés en France avaient construit un pont facilitant les échanges culturels entre les deux pays.

 

Par exemple, suivant les enseignements de son professeur français, Xu Beihong refusa d’adopter un style dans l’exagération et suivit une voie artistique plus large. Son choix influença profondément l’art contemporain chinois. Quant à Wu Guanzhong, il révéla s’être inspiré de Jean Souverbie et André Lhote du point de vue de la composition et de la palette de couleurs pour trouver son style artistique.

 

Au XXe siècle, ces artistes chinois ont écrit l’un des plus beaux chapitres de l’art moderne en France. Ils ont appris les techniques occidentales et les ont réemployées dans leurs œuvres à leur retour en Chine, de telle sorte que la patte de leurs maîtres français transparaît dans certains de leurs travaux. En effet, les contacts entre artistes chinois et artistes français ont joué un rôle essentiel dans ce processus.

 

Aussi bien à l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris que dans les académies libres de la capitale, ou encore à l’Académie de la Grande Chaumière, les jeunes artistes chinois ont tous noué de solides relations avec leurs professeurs français. En témoignent non seulement leur maîtrise des procédés occidentaux, mais également leur réflexion sur diverses questions, telle que la place de l’esthétisme, de l’art et des artistes dans la société.

 

D’après Philippe Cinquini, chercheur spécialiste de l’histoire des artistes chinois en France, qui a participé à l’organisation de l’exposition, toutes les œuvres exposées sont exceptionnelles, chacune racontant une aventure. Il explique : « Il s’agit-là d’une odyssée qui révèle amplement le courage de ces jeunes, prêts à traverser l’océan pour concrétiser leurs rêves. Dans le même temps, cet épisode historique a donné lieu à un mouvement de groupe et une nouvelle vague pour l’art. »

 

À l’occasion de cette exposition, M. Cinquini est parti en France en quête d’œuvres des Français qui ont été les maîtres des ces artistes chinois, parmi lesquels figurent Pascal Dagnan-Bouveret, François Flameng et Fernand Cormon, professeurs de Xu Beihong, ainsi que Jean Souverbie et André Lhote, professeurs de Wu Guanzhong. De plus, l’exposition a également dévoilé la peinture La Cité Interdite d’André Claudot, qui enseigna l’art en Chine (à Beijing et à Hangzhou) entre 1926 et 1931.

 

Retour en Chine

 

Le 2 avril 1933, un groupe d’étudiants chinois, entre autres Chang Shuhong et Liu Kaiqu (1904-1993) ont constitué, dans l’appartement de Chang Shuhong à Paris, la célèbre Association des artistes chinois en France, dans le cadre de laquelle des activités académiques ont été organisées jusque dans les années 1950. Ces manifestations artistiques ont attiré 111 artistes chinois en France, parmi lesquels Pan Yuliang (1895-1977), Wu Guanzhong (1919-2010) et Zao Wou-Ki. Cette association d’artistes chinois en France est la plus illustre qui a été créée, étant donné sa longue histoire, son vaste rayonnement et son grand nombre de membres. Effectivement, elle comptait dans ses rangs aussi bien des jeunes qui étudiaient la peinture, la sculpture, la musique et l’architecture, que des étudiants en physique et en chimie manifestant un goût pour l’art.

 

En 1935, alors qu’il chinait chez les bouquinistes sur les quais de la Seine, Chang Shuhong a mis la main sur l’ouvrage Les Grottes de Touen-houang en six volumes. Cette série de livres rassemble des photographies prises en 1907 par le sinologue et explorateur Paul Pelliot (1878-1945). Restant bouche bée devant ces images, Chang Shuhong s’est rendu compte, pour la première fois de sa vie, du charme artistique que renfermait son pays natal.

 

« J’étais fasciné par la culture occidentale, mais à ce moment-là, j’ai été conquis par mon propre pays présentant une si longue histoire et une si brillante culture, a déclaré Chang Shuhong. Subitement, j’ai décidé d’abandonner tout ce que j’avais en France et de retourner en Chine pour visiter les grottes de Dunhuang. » Peu de temps après, Chang Shana, qui ne savait pas parler chinois à l’époque, l’a rejoint en Chine avec sa mère.

 

En 1937, à la veille de l’agression japonaise dirigée contre la Chine, une multitude d’étudiants chinois séjournant en France sont retournés en Chine par vagues successives, bien décidés à défendre leur patrie et à résister face à l’ennemi. Dans le même temps, ils ont activement promu l’enseignement et la pratique des diverses formes d’art en Chine. Parmi ces artistes chinois, une dizaine seulement ont décidé de rester dans l’Hexagone, pour poursuivre les réunions et activités quotidiennes de l’Association, tout en soutenant la résistance qui s’organisait à l’intérieur de la Chine par différents moyens, tels que la vente de peintures et calligraphies chinoises dans le cadre d’événements caritatifs, la publication de numéros spéciaux traitant de la résistance, l’achat d’obligations gouvernementales émises en septembre 1937 par le Kuomintang et l’offre de contributions volontaires à long terme.

 

En 1949, après l’annonce de la fondation de la Chine nouvelle, Wu Guanzhong s’est décidé à rentrer au pays. Avant son départ, il a adressé une lettre à son professeur Wu Dayu (1903-1988), dans laquelle il a écrit : « Finalement, l’art ne s’apprend pas en Europe, ni à Paris, ni dans un atelier d’artiste ; c’est dans sa patrie, dans sa région natale, dans son foyer et au plus profond de son cœur qu’il convient de l’étudier. Il me faut donc rentrer tout de suite et tout reprendre à zéro. »

 

Ces « pèlerins » ont rapporté dans leur pays des connaissances sur le système artistique occidental et les méthodes d’éducation associées, avec, en plus, une volonté profonde de dynamiser l’enseignement de l’art en Chine. Ainsi, le retour de ces talents chinois a vivement contribué au développement et à la diversification des arts chinois.

 

L’exposition « Artistes chinois en France, pionniers de l’Art moderne en Chine » s’est terminée à Beijing au début du mois de mars. Mais elle sera proposée dans d’autres villes chinoises, telles que Shanghai, Chongqing et Qingdao. Selon Fan Di’an, cette exposition revêt une grande valeur académique pour la reconstitution complète de l’histoire de l’art moderne chinois, puisqu’elle permet aux spectateurs de fixer leur regard sur l’avant-gardisme de ces jeunes Chinois en France qui sont devenus des artistes accomplis, au talent créatif et légendaire.

 

 

*ZHOU JIN est journaliste pour China Pictorial.

 

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