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Ma rencontre avec la Chine

2024-01-24 12:05:00 Source:Dialogue Chine-France Auteur:JEAN-FRANÇOIS VERGNAUD*
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Emmanuel Lenain, Consul général de France à Shanghai, remet la médaille de Chevalier de la Légion d’Honneur au professeur Jean-François Vergnaud sur le campus de Suzhou de l’Université Renmin de Chine, le 9 octobre 2014.  

J’ai exercé de nombreuses professions au cours de mon existence : d’ouvrier du bâtiment à juriste dans un cabinet d’avocat, de spécialiste d’informatique de gestion à diplomate, d’enseignant de chinois à chercheur en études chinoises. À chaque emploi ou à chaque métier correspond un moment de vie, mais une seule chose n’a jamais varié depuis ma rencontre avec mon professeur, c’est ma fidélité à son enseignement. 

Ma rencontre avec la langue et l’écriture chinoises 

Ma première approche de la langue et de l’écriture chinoises remonte à 1974. Cette année-là j’ai revu Nora Wang, une de mes anciennes professeures d’histoire contemporaine à l’Université de Nice. Un peu plus tard, elle m’a présenté son père, Wang Lengqiao, qui s’était retiré à Nice pour y passer sa retraite après avoir longtemps dirigé le service de presse chinoise de la Société des nations à Genève. M. Wang était le premier Chinois que je n’avais jamais rencontré et, j’ignore pourquoi, j’ai été fasciné et j’ai voulu très vite apprendre la langue chinoise classique et surtout son écriture. M. Wang est ainsi devenu mon professeur particulier, et pour tout dire mon seul et unique professeur de chinois. 

Sa méthode d’enseignement différait totalement des usages en cours à l’université française. À cette époque, l’enseignement du chinois reposait sur des manuels imprimés en Chine qui traitaient tous de la langue contemporaine. Avec M. Wang, rien de tel. Il a sorti de sa bibliothèque de vieux exemplaires jaunis des « Quatre livres », des classiques confucéens, et m’a dit : « Voilà par quoi nous allons commencer. » Une fois les « Quatre livres » terminés, nous avons abordé le Laozi et le Zhuangzi. Jamais il ne s’agissait d’extraits, c’est-à-dire que nous commencions la lecture à la première page et l’achevions à la dernière. Les textes plus modernes n’étaient pas négligés non plus, du moins ceux du début du XXe siècle, tels les ouvrages de Liang Qichao, Hu Shi, ou de tous les auteurs importants de cette époque, qui marquaient la transition entre langue classique et langue moderne. Autant dire que j’ai souffert, mais que j’y ai connu aussi quelques-uns des plus grands bonheurs de ma vie. 

Il est vrai aussi que M. Wang n’a pas seulement été mon professeur de langue. La langue écrite classique était un outil indispensable à l’apprentissage linguistique, mais elle était surtout le vecteur de transmission d’une culture, d’une civilisation et de valeurs d’humanité. Mon professeur ne m’a ainsi jamais donné à proprement parler de cours de civilisation, au sens où nous l’entendons aujourd’hui communément, la pensée d’un auteur, porteuse de civilisation, était contenue dans les textes et s’imprégnait en moi en profondeur. L’étude des textes chinois anciens m’a ouvert l’esprit, a élargi ma compréhension des situations, y compris du monde contemporain, et m’a permis d’établir des relations aux autres fondées sur des principes qui n’ont jamais été un carcan dogmatique, comme peuvent parfois l’être certaines religions. Cet apprentissage m’a ouvert aux autres, sans jamais m’amener à considérer que mes pensées pouvaient être supérieures à celles d’autrui. 

Mon expérience d’étudiant en Chine 

En 1981, en tant que doctorant en études chinoises, je suis venu à Beijing avec une bourse nationale française, pour mener des recherches dans les bibliothèques. À l’époque, mon chinois parlé était beaucoup moins fluide qu’aujourd’hui, mais dans la pratique, je n’avais pas beaucoup d’obstacle dans la communication, à défaut de toujours comprendre ce que l’on me disait ou de pouvoir exprimer clairement mes idées, je savais lire et écrire le chinois. 

À cette date, les étrangers ou les étudiants internationaux étaient encore rares en Chine et nous étions souvent l’objet de la curiosité bienveillante de la population. Il m’est même arrivé, finissant un repas dans un restaurant, de m’apercevoir au moment de régler l’addition que quelqu’un l’avait déjà payée. 

Les Chinois m’ont toujours réservé un accueil chaleureux. Aujourd’hui encore, marchant dans la rue, y compris dans les plus grandes villes, il n’est pas rare que les gens me saluent ou m’adressent un petit signe de sympathie. Moi-même, j’aime sourire aux personnes inconnues que je croise, et ce sourire m’est toujours rendu. Ces comportements humains contribuent à créer une forme de bonheur de vie pour un étranger en Chine. 

Mon expérience professionnelle en Chine 

Après avoir exercé pendant près de trente ans le métier d’enseignant de langue et de civilisation chinoises à l’Université Paul-Valéry de Montpellier et consacré toute mon énergie à créer et faire vivre un département de chinois, il m’est apparu que le moment était sans doute venu pour moi de quitter ma routine quotidienne et d’essayer d’apporter en Chine même, au service de la coopération éducative, les leçons apprises et l’expérience acquise. À l’époque, ma modeste réputation ayant sans doute dépassé le cercle de mon université, le ministère français des Affaires étrangères m’a proposé de me rendre à Beijing et d’y occuper un poste à l’ambassade de France, en charge de la coopération universitaire entre les deux pays. J’ai aussitôt accepté, car cette fonction me permettait d’élargir à partir d’un angle de vue différent le lien éducatif entre les deux pays. À l’ambassade, je continuais à aider les autres à monter des coopérations, mais l’action de terrain me manquait. J’ai compris qu’il me valait mieux m’en tenir à mon métier de professeur d’université. C’est la raison pour laquelle, au terme des trois ans de ma mission à l’ambassade de France, j’ai accepté avec enthousiasme l’invitation de l’Université Renmin de Chine de participer à la construction du premier institut franco-chinois dans le domaine des sciences humaines et sociales. 

Par rapport aux universités chinoises classiques, les étudiants de notre institut bénéficient des avantages des modes d’enseignement français et chinois. Ils profitent à la fois d’une perspective et d’une expérience de communication interculturelle qui ne s’acquièrent pas uniquement à travers les livres, mais grâce à l’immersion dans un environnement pluriculturel et plurilinguistique. Le processus d’enseignement lui-même y est aussi une pratique de communication interculturelle. Outre l’acquisition de connaissances professionnelles et la maîtrise de plusieurs langues vivantes, les étudiants apprennent à connaître la société française, les modes de pensée à la française, ils acquièrent une forme d’intelligence de la France. Peut-être plus important encore à mes yeux, l’ouverture à une autre culture leur permet aussi, comme à travers une sorte de miroir, d’avoir une meilleure compréhension d’eux-mêmes et de la valeur de leur propre culture. 

Comparé à d’autres établissements de coopération entre la Chine et l’étranger, l’IFC de l’Université Renmin de Chine est l’un des rares instituts de coopération portant sur les sciences humaines et sociales. Ce sont des spécialités fortes de l’Université Renmin, mais aussi des trois établissements français qui en sont partenaires, à savoir les Universités Paul-Valéry et de la Sorbonne, ou la Kedge Business School. 

À l’heure où les êtres humains sont de plus en plus conscients de partager une seule et même planète, la Chine, la France, comme le reste du monde, ont besoin de talents capables de comprendre et de promouvoir un véritable dialogue entre les cultures. Pour la première fois peut-être dans notre histoire humaine, toutes les civilisations existantes se rencontrent directement et simultanément. Mon espoir est alors que nous puissions donner aux jeunes générations les moyens d’appréhender le mieux possible les sagesses de l’Orient et de l’Occident dont ils sont les héritiers, et ainsi leur permettre d’être les pionniers d’un monde que l’on espère toujours meilleur. 

La coopération éducative renforce la compréhension et les échanges 

L’internationalisation de l’éducation en Chine couvre de nombreux aspects, aussi ne parlerai-je ici que de ma compréhension personnelle de la coopération entre établissements supérieurs de Chine et de France, ou d’autres pays. Il est hasardeux de généraliser, car il s’agit toujours en fait de coopérations entre des établissements spécifiques inscrits dans des contextes spécifiques. Mais, une chose est claire, c’est dans le cours du processus de coopération que la compréhension mutuelle entre les deux parties s’approfondit et que les complémentarités apparaissent. La coopération internationale est une nécessité à laquelle nous ne devons jamais déroger, car elle permet la compréhension et la communication et surtout d’apprendre mutuellement de nos différences. Par exemple, les étudiants chinois sont formés depuis leur enfance à la mémorisation des connaissances, tandis que les étudiants français le sont dans l’aptitude à régler des problèmes absents de leurs manuels d’enseignement. De telles différences ne sont pas tant un obstacle qu’un avantage pour nos étudiants de l’IFC, car les différences agissent en complément l’une de l’autre. Grâce à leur formation, les étudiants acquièrent ainsi la capacité de communiquer à travers les cultures, ils peuvent circuler confortablement entre les cultures chinoise et française, sans jamais cesser pour autant d’être fidèles à leur identité originelle.  

*JEAN-FRANÇOIS VERGNAUD est directeur français de l’Institut franco-chinois (IFC) de l’Université Renmin de Chine à Suzhou. 

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